On sait que l’imprimerie occidentale apparait entre Strasbourg et Mayence entre 1440 et 1454. Mais c’est un autre aspect que choisit Olivier Deloignon, Docteur en histoire de la typographie et du livre, enseignant à la Haute École des arts du Rhin et chercheur associé à l’université de Strasbourg. Il porte son attention sur la manière dont la chose imprimée a été et est encore perçue par ses usagers. Il veut souligner sur le temps long les essais plus ou moins constants et réussis des pouvoirs pour réduire l’emprise des gens du livre sur la fabrication de l’objet.

Questions de terminologie

Le terme de typographe apparait en français en 1554 et désigne le compositeur d’imprimerie qui aligne les lettres mobiles. Le terme coquille est apparu au XVIII ème siècle. Quant au terme libraire, c’est à la fin du XVe siècle qu’il commence à désigner celui qui fait commerce de livre.

Etat de l’art en Occident

La question de la reproduction et de l’accélération de livres hante les éditeurs bien avant Gutenberg. Des formes hybrides perdurèrent au-delà de la mise au point de la typographie. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le personnage historique de Gutenberg commence à se sédimenter. Avec le temps, on s’aperçoit que la question de la paternité de l’invention comporte une dimension géopolitique, idéologique et confessionnelle. Olivier Deloignon passe en revue les noms qui ont été avancés comme inventeur de l’imprimerie. Par ailleurs, ce ne sont pas moins de quinze villes qui ont revendiqué l’honneur d’avoir vu naître l’art typographique. Pour finir, il faut quitter une vision européanocentrée et rappeler l’existence du jikji coréen qui précède de plus de 70 ans l’invention de Gutenberg.

La typographie savante contre l’imprimerie marchande

Les troubles religieux liés à la Réforme ont poussé le pouvoir à accentuer la surveillance sur les acteurs du livre. L’auteur raconte le monde des compagnons.  L’humanisme a comme ambition de publier tous les textes en editio princeps et en langue originale. En France, jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, il n’existe aucune  réglementation régissant les métiers de l’imprimerie.

Contrôler, châtier

Avec l’apparition de l’imprimerie, les pouvoirs sont confrontés à un triple phénomène : le foisonnement de livres à l’orthodoxie pas toujours irréprochable, l’extension du lectorat et la perte de maitrise sur la production et la diffusion intellectuelle. La révolution de juillet 1830 est déclenchée par suite des ordonnances renforçant la surveillance de la presse. Le dernier livre mis à l’Index en 1961 est une biographie de Jésus. En 2022, plus de 1650 livres ont été interdits aux Etats-Unis par des républicains obtus.

Casser les bras

Les pratiques mutualistes d’entraide chez les typographes sont attestées depuis l’Ancien Régime. La première innovation majeure pour l’imprimerie typographique est l’apparition en 1795 des presses métalliques qui remplacent les anciennes en bois. La désormais très longue tradition de combat syndical des ouvriers du livre et de l’imprimerie et une forte culture corporatiste présente dès les origines permettent d’imposer un modèle social caractérisé par un fort paritarisme.

Statufier, statufier !

En 1840, à l’approche du quatrième jubilé de l’imprimerie, la guerre des statues débute entre les différentes villes et pays.

Une ingénierie du consentement

La pratique du voyage du compagnon a de longue date permis aux typographes des pays européens d’entrer en contact, d’échanger des idées et savoir-faire.

Zodiaque et l’édifice-livre

En France, en terme de mise en livre, la première moitié du XXème siècle a été assez terne. Le futurisme en Italie ou la nouvelle typographie en Allemagne constituent eux des trésors d’inventivité. L’auteur raconte l’histoire de la revue Zodiaque. Elle s’inscrit dans un mouvement qui associe à la fois la redécouverte de l’art roman, la prise de conscience des implications des arts premiers sur la modernité et la remise en cause de l’espace graphique classique. La revue fut novatrice au début des années 50 avant de devenir graphiquement plus consensuelle.

L’invention du 9 ème art

La loi de juillet 1949 a pour but d’empêcher une déferlante de bande dessinée américaine. La censure est particulièrement tatillonne sur la question de la famille. La bande dessinée « Barbarella » avec son questionnement sur la nouvelle morale amoureuse et sexuelle est interdite à l’affichage, à la publicité et à la vente aux mineurs en 1964.

Ca ne te plait pas ? Fais-le toi-même

Dans les années 1970, les jeunes créateurs de fanzines européens découvrent la free presse américaine mais aussi l’intérêt du photocopieur de bureau. L’idée se développe de pouvoir réaliser des publications en s’affranchissant des contingences. L’auteur évoque la destinée de plusieurs revues dont Viper. Lorsque la revue trouve un modèle économique plus stable, son prototype graphique évolue vers l’uniformité et la fait ressembler à d’autres.

Ce livre se focalise sur la chose imprimée et son processus de production. Prise entre les intérêts économiques, politiques ou religieux, traversant les doctrines économiques, l’imprimerie catalyse un mouvement dans lequel le pouvoir d’abord royal et laxiste finit par comprendre la nécessité pour lui de rassembler les outils de contrôle de ces métiers.