Une entrée dans l’histoire de la Révolution française par les arts grâce à deux auteurs de génie (Yslaire et Carrière) qui dépeignent avec talent les évènements révolutionnaires par le prisme de l’inauguration du musée du Louvre et des liens entre Robespierre et David : savoureux !

« Ouvrir un musée public est un devoir révolutionnaire !… C’est mettre à la disposition du peuple les œuvres d’art usurpées par quelques-uns… C’est offrir au peuple des exemples de patriotisme et de vertu… Dans l’ancienne demeure des tyrans justement déchus, au moment où nos troupes luttent victorieusement contre les ennemis de la Révolution, se dressent maintenant, en pleine lumière, les images idéales des temps nouveaux !… Car la République doit se défendre par les armes, mais aussi par les idées, par les images, par les symboles, PAR LA BEAUTÉ !!».

Maximilien de Robespierre, discours fictif prononcé lors de l’inauguration du musée du Louvre, 1793 (p. 15).

 

« C’est l’histoire d’un tableau, au temps de la Révolution française. Celle du portrait de l’Être suprême, commandé par Robespierre à David. Un tableau qui ne sera jamais peint. C’est aussi l’histoire d’une autre œuvre, que le peintre laissera inachevée : le portrait de Bara, un jeune éphèbe de 13 ans, martyr de la République.

De l’inauguration du musée du Louvre à la fête de l’Être suprême, d’août 1793 à la mort de Robespierre, c’est aussi l’évocation écrite et dessinée en vingt «tableaux» urgents, eux aussi inachevés, d’un face à face entre deux acteurs majeurs d’une Révolution trop presséePrésentation de l’éditeur. http://www.futuropolis.fr/fiche_titre.php?id_article=717120 & http://editions.louvre.fr/fr/les-ouvrages/bandes-dessinees-jeunesse/le-louvre-et-la-bande-dessinee/le-ciel-au-dessus-du-louvre.html.».

 

C’est en 2009 qu’Yslaire ainsi que Nicolas de Crécy, Marc-Antoine Mathieu, Éric Liberge, et Hirohiko Araki sont invités à réaliser pour la collection Musée du Louvre des albums mettant en scène le Louvre. À cette occasion ils y exposent leur travail lors d’une exposition intitulée Le Louvre invite la bande dessinée. De cette invitation naît une collaboration remarquable entre l’auteur d’origine belgeBernard Hislaire signe notamment des œuvres que l’on ne saurait que conseiller au lecteur ou la lectrice de bandes dessinées : Sambre, XXe siècle, Le Ciel au-dessus de Bruxelles, ou plus récemment La Guerre des Sambre. et Jean-Claude CarrièreMais Jean-Claude Carrière est aussi dramaturge, romancier, comédien et homme de lettres de talent. qui avait collaboré comme scénariste avec bon nombre de réalisateurs de cinéma comme Luis Buñuel, Milos Forman, Louis Malle, Nagissa Ōshima ou encore Andrzej Wajda avec qui il avait déjà abordé le sujet de la Révolution dans son film Danton (1983). Le duo Yslaire/Carrière apporte un regard neuf sur la RévolutionLes auteurs évoquent le scénario ici et . ; celui d’une plongée magistrale et fascinante sous l’angle de la représentation, au sein même de l’atelier de l’artiste, des évènements et débats qui animent cette période imbriquant Histoire et fiction, politique et Art.


À la suite de l’annonce à la Convention de la mort de Marat le 13 juillet 1793, le député Guiraut réclame à Jacques-Louis David de faire pour Marat ce qu’il avait fait pour Lepeletier de Saint-Fargeau, à savoir, représenter la mort du conventionnel par ses pinceaux. L’ouvrage s’ouvre ainsi par la visite amicale de Robespierre à David dans l’atelier du Louvre, en pleine Terreur révolutionnaire et alors que les guerres de Vendée battent leur plein. Ce dernier vient d’achever son Marat assassiné, nouveau martyr des évènements, et le commente ainsi en s’attachant à l’arrière-plan « […] Il pourrait être un des instruments de la Passion… Mais il n’y a plus aucun ange dans le ciel ! Aucun zéphyr, aucune déesse ! Personne n’est là pour accueillir le martyr de la République !! … Le nouveau ciel est vide, Maximilien… Trop vide…» (p. 4-5) , alors que l’ombre de Robespierre semble vouloir le remplir. Reste au génie David, peintre prônant la rupture avant l’Ancien Régime mais également membre de la Convention nationale, vivant au cœur de la vie politique d’alors, de représenter l’Être suprême (selon la formule de Rousseau) qui hante Robespierre, déiste, comme une partie des révolutionnaires montagnardsUn des points d’achoppement idéologique d’une partie des révolutionnaires les plus engagés dans les évènements reste les questions religieuses. Le culte de la Raison des hébertistes athées (automne 1793 – printemps 1794) puis le culte de l’Être suprême des montagnards déistes (printemps – été 1794) sont, en France, un ensemble d’événements et de fêtes civiques et religieuses qui illustrent ces tensions. Quelques planches de la BD traduisent cela : débat sur les cultes libres (p. 27-28), discours à la Convention de Robespierre sur les idées religieuses et morales, dans lequel il insistait habilement sur la nécessité de rassurer l’Europe effrayée et scandalisée par le mouvement de déchristianisation et décret par lequel le peuple français « reconnut l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme », le 18 floréal an II (p. 55-56). La première fête en l’honneur de l’Être suprême fut fixée au 20 prairial suivant (8 juin 1794) et la cérémonie, minutieusement préparée par David, se déroula sur le champ de Mars par un temps radieux (chapitre XVIII)..

L’ouvrage débute le 8 août 1793 à Paris, alors que le Louvre, premier musée de la Nation ouvre ses portes au publicIl semble ici que les auteurs aient commis une petite coquille puisque la création d’un « Muséum de la République », où seront mis à la disposition du peuple les collections royales et des œuvres d’art confisquées aux émigrés et aux églises, a été décidée le 10 août 1793 pour fêter le premier anniversaire de la chute de la royauté. Ce n’est que le 18 novembre de la même année que le Louvre connaît sa consécration en ouvrant ses portes et collections au public dans une inauguration signant le triomphe et l’accomplissement du rêve des révolutionnaires.. Un jeune inconnu à l’accent slave, Jules Stern, disant venir de Khazarie, un vieil empire au nord de la Baltique, arrive à Paris à la recherche de sa mère et souhaite rencontrer le peintre David, ne réussissant qu’à croiser son regard lors de son discours inaugural au Musée. Ce n’est qu’un mois plus tard que l’adolescent, introduit au Comité de Sûreté générale où siège David en fervent patriote, que les deux protagonistes se rencontrent et la vue de ce jeune trouble l’artiste. Aurait-il rencontré son « Être suprême » ?

Alors que la Terreur et la loi des suspects suscite méfiance, défiance et morts, Robespierre est de plus en plus convaincu que les symboles, emblèmes et principes doivent nourrir le peuple mais que la Révolution peine à en trouver un qui soit unificateur : la nécessité d’un « idéal, [d]une mystique » (p. 20) lui apparaît alors que ses amis refusent de proclamer les cultes libres. Le 8 nivôse an II (28 décembre 1793), à la Convention, on apprend la mort de Joseph Bara, jeune tambour de l’armée républicaine, tué par des Vendéens à l’âge de treize ans. Robespierre prononce un discours où il fait mourir l’enfant entouré de royalistes en criant : « Vive la République ! » (p. 30). Il érige ce dernier en héros et martyr de la Révolution et David participe à cette célébration, chargé de lui trouver une place immortelle entre Marat et Le Peletier. Le récit décrit ensuite deux obsessions conjointes : celle de Robespierre de voir émerger une figure consensuelle et mystique de l’Être Suprême des pinceaux de David qui, lui, peine à matérialiser ce qui par essence ne doit pas l’être ; et celle du peintre pour Jules Stern qui lui sert de modèle pour immortaliser le jeune Bara. Alors que les têtes tombent, ce dernier va-t-il enfin réussir à achever son œuvre quasi-divine ?

En somme, Le Ciel au-dessus du Louvre est plus qu’une rencontre entre deux auteurs d’immense talent, il s’agit bien d’une œuvre d’art. Au fil des pages, cet album nous plonge dans l’élaboration des tableaux éternels de David, que le lecteur ou la lectrice (re)découvre: une fresque historique et artistique sous les traits romantiques et tragiques du crayon optique désormais célèbre de Bernard Yslaire, tout en nuances de rouge et de noir. Présentes au musée du Louvre, les toiles méritent qu’on retourne les contempler et peuvent servir de base à l’enseignant.e de collège et de lycée pour une entrée originale et passionnante sur la Révolution françaiseQuelques aspects chronologiques sont toutefois à vérifier.. Un album à acquérir, naturellement !


Rémi Burlot, pour Les Clionautes