Comment Jérusalem, petite ville bâtie au milieu des montagnes de Judée, éloignée des grandes routes commerciales et des échanges, fortement encaissée et sujette au déchaînement des forces naturelles (extrêmes météorologiques, tremblements de terre), a pu devenir le centre du monde et le foyer des trois grands monothéismes ? C’est sur ce paradoxe bien connu que débute la B.D. de Vincent Lemire et Christophe Gaultier, parue en cette fin d’année 2022 aux éditions Les Arènes. Historien installé à Jérusalem et dirigeant le centre de recherche français, Vincent Lemire rencontre le dessin de Christophe Gaultier afin de donner une histoire globale de la cité. 255 pages pour revenir, à travers le regard du plus vieille olivier de la cité, sur l’histoire millénaire de Jérusalem.

Jérusalem juive

La ville précède les hébreux et les plus vieilles traces de cette dernière remonte à -1900. Rushalimum est alors une cité-État dans le giron égyptien est en lutte contre tribus nomades nommées Habiru. La ville prend son essor à partir des récits bibliques remontant à Moïse, Abraham, David, Salomon. Ézéchias ce sera le premier roi biblique dans la trace archéologique confirme l’existence. Il développera la ville qui, malgré l’adoption du monothéisme, maintient encore des traces de polythéisme. C’est la chute en -586 face à Babylone qui « crée » le judaïsme : le besoin de racines culturelles et cultuelles renforceront le prestige de la cité.

Au retour des juifs, Jérusalem entre dans une longue période de changement politique. Les influences perses, grecques et romaines se succéderont, tout comme les dynasties (famille des Macchabées) et autres dirigeants placés par les puissances contemporaines (Hérode) afin de diriger une ville qui ne cesse de se développer jusqu’à atteindre 80 000 habitants. Les diverses communautés religieuses locales se côtoient et la présence de Jésus a dû passer inaperçue à l’époque. Les révoltes et la répression de Titus en 70 entraîne la destruction du Temple, point central du judaïsme, et la dispersion des habitants. La cité devient alors romaine, et rebâti selon les plans, traditions et pratiques religieuses romaines et ceci jusqu’au quatrième siècle après J.-C.

Jérusalem chrétienne

Avec la conversion de Constantin, l’édit de Milan puis de Thessalonique, le christianisme s’impose dans l’empire et la cité de Jérusalem. Les hauts lieux chrétiens aimantent les imaginaires et attirent les pèlerins et les trafics en tout genre, au grand dam des évêques et saints de la période. Le commerce autour du pèlerinage gonfle au point où se développeront de vrais « guides du pèlerin » qui n’ont rien à envier à nos guides du routard. Les bienfaiteurs et bienfaitrices finiront de christianiser la cité au sixième siècle.

Jérusalem musulmane

Conquise en 636 par les musulmans, Jérusalem subit l’influence du troisième grand monothéisme. Au cours des siècles et des successions des dynasties, juifs chrétiens et musulmans vivent ensemble, s’influençant mutuellement. La mosquée Al Aqsa, second lieu le plus saint de l’islam, s’inspire de l’architecture byzantine. Cette période de relative paix sur la ville prend fin avec la croisade 1095 qui atteint les portes de la cité en 1099. La ville est alors livrée aux massacres et désertée. Peu à peu les « francs » installés s’assimilent aux populations musulmanes et juives. Malgré tout la faiblesse numérique aura raison des Etats Latins d’Orient et Saladin mènera la contre croisade. Il reprend Jérusalem en 1187 et fait revenir juifs et chrétiens orientaux, s’attachant préserver les lieux de culte respectif.

Les diverses croisades successives rendront la situation de la cité sainte pour le moins précaire et la stabilité ne reviendra qu’avec le règne des mamelouks en 1261, la ville ayant subi les assauts des tatares et mongoles. Pendant trois siècles les pèlerins reviendront, juifs comme chrétiens, développant les lieux d’accueil et redressant les sanctuaires en ruine. Les franciscains se voient confier la protection et l’accueil des pèlerins d’Occident.

Jérusalem cosmopolite

À la suite de la conquête ottomane en 1516, de grands chantiers de modernisation sont lancés : nouveau rempart, adduction d’eau et embellissement du Dôme du Rocher par Soliman le magnifique. Sous l’autorité du cadi, nommé par le sultan, la ville modernise son administration et voit le développement de son commerce. Peu à peu les ambitions occidentales pour le ville déclinent. L’Occident, occupé par sa croisade interne contre la Réforme, oublie Jérusalem.

Le regard occidental se tourne vers Jérusalem de nouveau au XIXe siècle. L’expédition de Bonaparte, les voyages de Chateaubriand et Seetzen témoignent de cette ardeur nouvelle. Profitant du désir de modernité d’Ibrahim Pacha, maître de la cité en 1834, l’Occident se tourne vers la ville et ouvre de nombreux consulats des 1838. Le déclic viendra du protestantisme qui, dépourvu des lieux saints, se lancera corps perdu dans l’exploration archéologique pour combler le fossé entre les temps bibliques et le XIXe siècle. Ceci débouchera sur « l’invention » d’un nouveau Saint-Sépulcre acheté par les anglicans en 1892. Avec ces espoirs déçus ce jouent les tensions grandissantes dans une ville aux identités multiples, tiraillée entre le progrès et le désir de replonger dans ses racines.

Du cosmopolitisme au communautarisme

La polarisation culturelle et cultuelle ne cessera de gagner les communautés et l’espace urbain de Jérusalem et de la Palestine. Après la défaite ottomane en 1918 les Britanniques appuient les projets sionistes. Conçus comme mouvement respectueux de toutes les traditions, les projets sionistes vont entendre les communautés : la ville de Jérusalem forte de sa diversité fait place au communautarismeHistoire de Jérusalem, page 216. Les tensions éclatent en 1929, faisant des centaines de morts. Les différents paliers dans l’affrontement sont alors connus et franchis les uns après les autres.

À la sortie du second conflit mondial, la création de l’État d’Israël à l’ONU en 1947 confirme la déclaration Balfour. La division touche Jérusalem. Chaque zone (juive israélienne et jordanienne musulmane) entend faire à son avantage la réunification. Elle interviendra en 1967 avec la Guerre des Six Jours et la victoire d’Israël. Pour autant le fossé n’a jamais été aussi grand et ne cesse de s’agrandir face à l’iniquité du traitement réservé aux palestiniens de la ville Bien que composant près de 40% de la population, seulement 10% du budget municipal est consacré aux palestiniens..

La bande dessinée, dense et riche, se clôture par une double page reprenant les grands repères chronologiques de Jérusalem, couvrant une période de près de 4000.

Un achat conseillé pour les fonds de vos CDI et vos bibliothèques respectives.