« J’ai décidé de publier le cours de mon frère pour lui rendre sa dignité d’homme et de professeur. Parce que ce cours est la raison pour laquelle mon frère est mort, et que vous ignorez tout de son contenu. Vous ne savez pas que c’est dans le cadre de cet enseignement, inscrit au programme de quatrième, que Samuel a montré des caricatures. Je le publie aussi parce que j’ai entendu trop de « Oui, mais. » Or en France, on ne met pas de « Oui, mais » après qu’un professeur se soit fait décapiter. On met un point. »
Certains ouvrages relèvent du défi quant à leur recension pour plusieurs raisons : la difficulté, l’écriture, le nombre de pages (au-delà de 600 avec une police 10, faites vos prières … parfois !) l’orientation prise par l’auteur avec laquelle nous ne sommes pas d’accord.
Mais celui-ci est d’une autre essence, en particulier pour un(e) professeur(e) d’histoire géographie connecté(e) à sa discipline, à un certain esprit de corps et à une vision du métier et de la laïcité, ces aspects n’étant plus forcément partagés de nos jours. Ce livre est celui de Mickaëlle Paty, sœur de Samuel Paty intitulé Le cours de Samuel Paty, rédigé en collaboration avec Émilie Frèche.
Soyons clair. Aux États-Unis, l’histoire veut que chaque Américain se souvienne où il était et ce qu’il faisait au moment où il a appris la mort de Kennedy le 22 novembre 1963. Le 16 octobre 2020, date de l’assassinat de Samuel Paty, je m’en souviens encore ainsi que des bouleversements personnels qu’il a engendrés chez beaucoup. Et ces questions : pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Et surtout au bout de quelques mois : comment ?
Ce livre se veut et est factuel dans le respect du droit pénal. Tout en respectant l’identité des protagonistes, Mickaëlle Paty se livre à un récit complet et factuel des événements ayant abouti à la décapitation de son frère dont elle brosse le portrait : le moment où elle l’apprend alors qu’elle travaille à l’hôpital, la gestion de l’évènement par ses proches, les suites de l’assassinat. Elle se livre aussi à une analyse complète et pédagogique de la séquence qui a valu à son frère cette campagne de lynchage inadmissible sur les réseaux sociaux avant sa décapitation. Les textes issus d’Eduscol sont rappelés en preuve et en éclairage pour les non-initiés de l’Éducation nationale dans les documents d’accompagnement de l’ouvrage, démontrant que son frère était parfaitement dans les clous. Beaucoup d’éléments ont filtré dans la presse et l’ouvrage en propose la synthèse avec de nombreuses mises au point rédigées sur avis juridiques (on le devine). Il est accompagné de quelques documents officiels inédits, à l’appui, y compris pour les professeurs, et pas des moindres. Enfin, et bien sûr, en cohérence avec le titre de l’ouvrage, la séquence de cours de Samuel Paty est présentée, dans le format adapté à l’ouvrage.
Le récit repose, on le comprend, sur les divers rapports, témoignages et éléments qui ont étayé les enquêtes. Mickaëlle Paty laisse en partie son émotion et sa douleur (compréhensibles) pour se livrer à un récit implacable des faits qui se sont succédés jusqu’à la décapitation de son frère, les réactions des uns, les agissements des autres, de la direction de l’établissement, des parents d’élèves, ainsi que l’attitude ambivalente de son équipe d’histoire-géographie. Certains passages feront légitimement hurler tout lecteur averti, ou non. On comprend dès lors que l’accusation d’islamophobie est devenue le point Godwin 2020 chez certains pour disqualifier un collègue à peu de frais. Mais ces derniers oublient toujours un point central et une leçon élémentaire qu’un professeur débutant se doit de retenir : tout finit par sortir des murs de la salle, d’une façon ou d’une autre et sous plusieurs voix.
Notons que Mickaëlle Paty, qui attend beaucoup de la justice, n’est pas dans la vengeance comme en témoigne la présence du poème de Kipling intitulé « Tu seras un homme mon fils », présent dans les annexes. Si vous voulez savoir pourquoi il se trouve dans l’ouvrage, à qui il a été adressé, et avec quel espoir, vous aurez trouvé un argument précieux pour lire le livre.
Comme le dit le bandeau : « si vous pensez être choqués, vous pouvez détourner le regard ». Ici, il ne s’agit pas d’être choqué(e) mais de savoir … Donc de le lire les yeux grands ouverts, et d’y réfléchir, beaucoup, sans plier le genou.