Présentation de l’éditeur. « La zad de Notre-Dame-des-Landes est devenue le plus grand squat à ciel ouvert d’Europe. Utopie réalisée pour certain.es, espace de rencontres et critique en acte du capitalisme, elle n’a pas fini de soulever les passions.

Réunissant de nombreux récits, photographies, croquis et cartes inédites, ce livre raconte l’évolution d’un territoire où ce geste simple, habiter, est inséparable de celui de lutter ».

 

La géographie, ça sert… parfois… à animer des luttes sociales. Autant commencer pour les Clionautes par l’axe géographique d’un livre centré sur une lutte sociale longue, originale, victorieuse et marquée par l’installation de personnes sur un territoire singulier.

Il était une fois, à 20 km au nord de Nantes,  un projet d’aéroport qui a « gelé » le paysage à proximité de Notre-Dame-des-Landes. Apparu à la fin des années 1960, ce projet est mis en sommeil jusqu’au début des années 2000. D’où la persistance du bocage dans cette zone humide et le maintien de haies plus nombreuses que dans d’autres parties de ce département. D’où un statut particulier des terres, la coexistence d’agriculteurs installés depuis longtemps et d’occupants à partir de 2008-2009 et des procédures juridiques en cours. Un village d’irréductibles Gaulois naît là peu à peu. Avec la relance du projet, la Zone d’aménagement différé, créée en 1974, dans laquelle le conseil général a un droit de préemption sur les terres devient, à la fin des années 2000, pour ses occupants, la Zone à défendre.

Dans le cours de cette lutte, les occupants (squatteurs installés depuis plus ou moins longtemps) et agriculteurs « historiques » avec l’appui de leurs soutiens (diverses associations nées de la lutte contre l’aéroport, réseau de paysans soutenant cette lutte, soutiens venant de Nantes, du reste de la Bretagne ou d’ailleurs) ont ressenti le besoin de cartographier eux-mêmes le territoire (p. 174). Un « groupe carto » de la ZAD « conçoit des cartes utilisables par le plus grand nombre » (p. 175). Sa composition, fluctuante, est intéressante puisqu’à des cartographes qui « apportent leur savoir-faire » se joignent  « celles et ceux qui connaissent bien le territoire avec les informations récentes et d’autres » encore avec leurs idées (p. 175). Pour ces auteurs, la géographie ne saurait rester l’affaire de spécialistes. Il s’agit, bien sûr de s’orienter, de répondre aux besoins de la « défense » de ce territoire lors de l’opération lancée par le gouvernement, fin 2012, mais aussi de repérer les travaux prévus par l’entreprise Vinci, les zones naturelles sensibles ainsi que les différents statuts des terres agricoles de cette zone (p. 175). Pour les membres de cet atelier, afin d’être utile la carte doit aussi pouvoir être évolutive.

Le livre revient, parfois longuement, sur ce combat, du point de vue des défenseurs de la ZAD et plus particulièrement des occupants-e-s, c’est-à-dire des personnes venues à partir des années 2000 et qui habitent dans des maisons squattées, des cabanes auto-construites ou des caravanes sur ce territoire de plusieurs centaines d’hectares sans avoir de titre de propriété. Le lecteur géographe  y trouvera des informations sur ce qu’est, pour ces auteurs, « Habiter dans un territoire en lutte ». À savoir : occuper la zone, construire des habitations, y vivre, souvent dans un cadre collectif, cultiver la terre ou transformer les produits de la terre, avec une volonté de laisser des « communs », vendre ou échanger ces produits, se déplacer, tisser des liens avec d’autres espaces en lutte et tenter de bâtir des relations interindividuelles différentes… Ce qui ne va pas sans conflits signalent les auteurs.

On le voit, c’est un livre militant sur la Zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes. Un livre que ses auteur-es ne signent pas afin suppose-t-on de ne pas personnaliser le combat et de prouver jusque dans l’écriture qu’il fut collectif. Signe de l’inspiration libertaire de ces auteurs ? Quelques indications cependant. Page 252, le lecteur apprend que les auteurs sont au nombre de quatre, « habitants ou soutiens réguliers » de la ZAD, que l’un (l’une) semble s’y être installé. La présence dans l’ouvrage de onze cartes voulant montrer l’évolution de la situation laisse supposer un intérêt vif d’au moins l’un d‘entre eux pour la géographie. Peu importe in fine même si l’esprit libertaire qui anime les auteurs n’a pas empêché d’anciens et illustres anarchistes de signer leurs ouvrages.

Un livre engagé donc et qui pourrait agacer les amateurs d’eau tiède de par l’insistance des auteurs sur la nécessité de l’auto-défense face aux forces de l’ordre. Les activistes sont cependant obligés de constater que le recours à la violence n’a pas arrêté l’intervention policière du printemps 2018 (p . 227). Au fil des pages, mais peut-être de manière insuffisamment claire et argumentée, le lecteur constatera que la « victoire », puisque victoire il y a, est liée à la détermination des acteurs principaux (agriculteurs historiques et occupants), à l‘arc divers de leurs soutiens, tant sur le plan social que géographique sinon politique, ainsi qu’à l’articulation de différents types de luttes : actions juridiques multiples, construction d’habitations sur le terrain, mise en culture de portions de la ZAD, recherche large de soutiens, accrochages avec les forces de l’ordre, manifestations à Nantes ou sur le site, montée à Paris, organisations de rencontres, de fêtes, création d’un journal, d’une radio, utilisation d’internet, élaboration d’un contre-projet… Les « erreurs » des acteurs qui défendaient le projet de NDDL, le fait que celui-ci, ancien, n’était plus adapté et l’existence d’un autre aéroport au sud de la ville ont aussi contribué au retrait du projet d’aéroport à NDDL.

Centré sur les occupants, le livre néglige un peu cependant l’histoire de certains acteurs : paysans proches des Paysans-travailleurs puis de la Confédération paysanne (tel Michel Tarin, certes cité deux fois) avec leur histoire et leurs combats Dans ce département, les paysans contestataires sont relativement forts et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) moins puissante que dans le Tarn où les opposants au barrage de Sivens ont été confrontés aux forces de l’ordre mais aussi à la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) du département.. Ainsi un lieu nommé la Vacherie est créé dans la ZAD en 2007.  Dans les années 1968, à une vingtaine de kilomètres au nord de NDDL, des paysans contestataires avaient créé et joué, avec l’aide d’un chanteur soixante-huitard, une pièce de théâtre « d’agit-prop », intitulée La VacherieVoir Élise Roullaud, « Luttes paysannes dans les années 1968. Remise en cause d’un ordre social local », p. 27-49, Agone, n° 51, 2013.. Y a-t-il un lien ? Le lecteur ne le saura pas et la question d’une possible transmission de la mémoire de cette action aurait mérité d’être étudiée. De la même manière peu de choses sont dites de la firme Vinci et de ses projets. Les divers gouvernements sont rapidement évoqués : Nicolas Sarkozy n’est pas cité, me semble-t-il, François Hollande, Manuel Valls tardivement et assez peu. Le lecteur a ainsi du mal à comprendre les raisons de l’entêtement de Jean-Marc Ayrault dans cette affaire. Pourtant le jeu des acteurs est décisif dans le déroulement des événements et les actions menées par les opposants à ce projet sont parfois des réponses aux décisions du gouvernement. Une amusante anecdote en témoigne. En haut lieu, un amateur de bande dessinée a la bonne idée, en octobre 2012, de nommer « César » l’opération censée permettre de chasser de leur village ses irréductibles défenseurs. La disproportion des forces en faveur des Romains suscite un élan de solidarité envers les Gaulois. Le mois suivant, la contre-offensive des opposants baptisée, évidemment, « opération Astérix »  regroupe des milliers de personnes venus les soutenir.

Que reste-t-il de ce combat ? Une relative amertume pour certains activistes, mais surtout un nombre significatif de projets dont le sérieux a été retenu par les autorités préfectorales et dont les animateurs peuvent continuer à vivre et à produire sur place. De plus, de « multiples projets hors-cadre subsistent ». Enfin, l’espace de ce qui devait être l’aéroport a été préservé de « l’agriculture industrielle  qui sévit partout autour, avec son lot d’agrandissement des parcelles, de destructions des haies, de recours systématique aux pesticides et aux engrais chimiques» (p. 231). Ce « retard » aurait-il fait de cette enclave une zone dans laquelle les pratiques seraient annonciatrices d’une agriculture paysanne, différente et plus vertueuse sur le plan environnemental ? Le lecteur ne peut que le souhaiter. La proximité de Nantes et les demandes d’agriculteurs qui avaient cédé leurs terres et voudraient les récupérer pourraient cependant compliquer la situation.

Une chronologie, de nombreuses photographies, des dessins accompagnent l’ouvrage.