Une anthologie de textes du plus géographe des écrivains
Après la « Panthère des neiges » parue chez Gallimard l’année dernière, l’écrivain Sylvain Tesson devient le plus jeune auteur publié dans la célèbre collection « Bouquins » chez Robert Laffont. Comme à l’accoutumée dans cette collection, l’ouvrage est particulièrement massif (plus de 1400 pages) et rassemble de nombreux textes de l’auteur (récit de voyage, poésie, reportages pour la presse), agrémentés d’inédits (carnets de voyage).
[Ce livre] contient les récits de mes voyages à pied, à cheval, à bicyclette, dans les piémonts du Caucase, les steppes de l’Asie centrale, les taïgas de Sibérie, les plaines de Mongolie et de Russie, et sur le plateau du Tibet. Cette géographie a aimanté mon corps. Là-bas, les ciels aspirent le regard, les horizons reculent : on n’a pas de scrupules à tirer des bords en pareils parages ! Je joins à ces textes le souvenir de mes virées à moto sur les routes du Nouveau et de l’Ancien Monde, de mes bivouacs et de mes ascensions. À ces récits de promenades plus ou moins contrôlées, j’ai ajouté des reportages en des contrées lointaines où les hommes vivent des existences plus dangereuses que la mienne ainsi que certaines pages de mes journaux, tenus dans l’espoir de donner un ordre à ces agitations.
Sylvain Tesson, « l’énergie vagabonde », Robert Laffont, Novembre 2020
Pour Sylvain Tesson, la géographie est un sujet central. Dès l’introduction, il rappelle qu’il n’est pas un écrivain de science-fiction. La déambulation et les voyages au long cours sont des inspirations. Pour écrire, il a besoin de parcourir les sentiers, observer des paysages et rencontrer des locaux. « Cette esthétique du mouvement » (page VIII) se retrouve dès le début de cette anthologie. Bien qu’ayant demandé à son collègue d’aventure et écrivain Cédric Gras de les détruire à sa mort, des extraits de carnets sont publiés dans la première partie de l’ouvrage. Ces inédits nous entrainent en Sibérie, à Naples, au Yémen, dans les Vosges, en Suisse et en Syrie. Une ode à la géographie à travers la littérature de voyage.
Sylvain Tesson rédige ses carnets tous les soirs afin de se remémorer les principaux moments de la journée. Il précise que sa journée du 31 décembre est dédiée à la lecture, chaque année, de l’ensemble des carnets de l’année qui se termine. Cet exercice journalier ne se limite pas à l’écriture manuscrite sur de petits carnets Moleskine. Il agrémente son texte de croquis, schémas et dessins qui rappellent les carnets des explorateurs du XIXe siècle. La double-page consacrée à un bivouac passé à Al Mukalla au Yémen rappelle les difficultés de l’aventurier dans un pays marqué par les conflits. Les femmes sont absentes de la cité. Le village de Ribat Ba-Ashan, connu pour avoir été le lieu de vie d’Oussama Ben Laden, est décrit comme un ensemble de « building en pisé » (carnet du Yémen, 2009). Plus loin, c’est le court récit d’un bivouac au pied des colonnes du temple de Bêl, à Palmyre en 2018, qui retient l’attention. Son amour de la Russie transparaît moins dans l’évocation de l’armée russe présente à Palmyre pour protéger l’amphithéâtre. Le texte qui accompagne le croquis de ce lieu emblématique est le suivant.
L’amphithéâtre ruiné où Poutine fit jouer l’orchestre. On connaissait l’orchestre du Titanic qui jouait. Là, c’est celui de Palmyre ! L’avantage, c’est que le navire avait déjà coulé !
Sylvain Tesson, « l’énergie vagabonde », Robert Laffont, Novembre 2020
Cette anthologie regroupe la majorité des livres publiés par Sylvain Tesson depuis le début des années 2000. Au rayon des absences, on notera son tour du monde avec Alexandre Poussin déjà paru chez Robert Laffont (On a roulé sur la terre, 1996) et la traversée de l’Himalaya avec son compère de l’époque (La Marche dans le ciel : 5 000 km à pied à travers l’Himalaya, 1998). Parmi les différents récits, on notera sa traversée de la Sibérie à l’Inde sur les traces d’un évadé du Goulag (L’Axe du loup), la traversée de l’Asie centrale à cheval avec Priscilla Telmon (La chevauchée des steppes) et le road-trip en side-car de Moscou à Paris en passant par Smolensk, Vilnius et Varsovie (Berezina). Deux essais sur la géographie révèlent la formation de l’auteur, passée par l’Institut de Géographie à Paris (Petit traité sur l’immensité du monde, Géographie de l’instant). Les enseignants pourront conseiller la lecture de « Notre-Dame de Paris – Ô reine de douleur » pour traiter de la question du patrimoine en terminale HGGSP. Centrale durant la convalescence de l’auteur suite à une chute en 2014, la montée des escaliers de l’édifice lui a permis de retrouver une forme physique grâce à une ascension quotidienne, à pas lents. La seconde partie de l’ouvrage consiste en plusieurs recueils d’aphorismes, de reportages, de poésies et de brèves publiées dans de nombreux magazines (Figaro Magazine, Trek, Grands reportages, Le Point, Philosophie Magazine, Zadig etc.).
Une véritable somme au service d’un écrivain dont les oeuvres sont éminemment géographiques. Les montagnes, les steppes et les hauts plateaux sont célébrés à travers ses livres. Cette anthologie appellera peut-être, au vu des récents succès littéraires de l’auteur, à un second volume pour un écrivain dont la plume et les pas, sont guidés par l’expérience du terrain et le regard du géographe.
Pour aller plus loin :
- Présentation de l’éditeur -> Lien
Antoine BARONNET @ Clionautes