De 1956 et 1961 George Oudinot, a été en charge de la section administrative spéciale des Béni Douala en Grande Kabylie. Alain de Sedouy a recueilli le témoignage de ce capitaine qui présente une autre facette de la guerre d’Algérie. Cet officier fait partie de ceux qui ont cru pouvoir inverser le destin de la décolonisation en apportant aux populations indigènes une assistance d’un encadrement qui leur avait fait défaut pendant toute la période de la colonisation.
On peut considérer que ce film s’inscrit dans une logique de conservation de la mémoire, mais il ne saurait, en aucun cas, servir à lui seul de support pour étudier la guerre d’Algérie. Le livret qui accompagne le DVD est par contre très largement précieux.
Les SAS, héritières des bureaux arabes
Il permet de situer la création des SAS dans un contexte plus global que celui des combats mais aussi des négociations politiques qui se sont déroulées en arrière-fond.
Richement illustré, le livret permet de disposer d’une synthèse intéressante du conflit, même si, en dehors des kabyles, la population algérienne semble particulièrement absente.
Les sections administratives spéciales sont les héritières des bureaux arabes qui ont été constitués sous le second empire. Ce projet conduit par des militaires saint-simoniens aurait pu éventuellement offrir à l’Algérie un autre destin. Cependant, à cette époque, le lobby colonial avait déjà développé une forme de prédation sur le territoire algérien. Le projet de royaume arabe de Napoléon III, a été vite rangé au rayon des utopies généreuses mais peu réalistes.
Lorsque les autorités françaises ont pris conscience en 1955 que les événements d’Algérie étaient en réalité une véritable guerre, elles ont essayé, avec les sections administratives spéciales, d’inverser la marche du temps. Des hommes aussi respectables que le capitaine Oudinot ont cru à cet idéal et à ce projet. Dans le même temps, la rébellion cherchait à trouver une tribune internationale lui permettant d’empêcher la réussite de cette réorganisation administrative, économique et politique du pays. Il est clair que FLN avait toutes les raisons de craindre la réussite d’un tel projet. Ce dernier était clairement inspiré par l’apprentissage que les troupes françaises avaient pu faire en Indochine de la contre guérilla. Celle-ci se devait de gagner les cœurs et les esprits, pour reprendre une formule largement entendue par ailleurs. Ceci film est intéressant car bien des enseignements de cette période se retrouvent aujourd’hui dans l’action des troupes françaises engagées en Afghanistan.
Les soldats français ne limitent pas leur action au combat, mais cherchent, par des projets de micro développement économique, au niveau local, à gagner les populations et à éviter qu’elles n’apportent leur soutien aux talibans.
Le capitaine Oudinot a donc administré un territoire situé à l’est de Tizi Ouzou, prenant en charge l’assistance médicale gratuite l’administration des communes, la scolarisation, tout en assurant la sécurité par une présence militaire effective. Cette protection était assurée également par des supplétifs locaux, 20 000 pour l’ensemble du territoire.
Au niveau de la réalisation ce film qui fait une large part aux témoignages, en plus du capitaine Oudinot, de personnalités qui ont été parties prenantes de la SAS, souffre de la diction un petit peu sourde du capitaine.
On peut par ailleurs s’étonner que le réalisateur du film n’ait pas pu trouver de témoins du côté algérien de cette période qui n’est finalement pas si éloignée de nous. On se demande par ailleurs l’intérêt du témoignage de Jeanine Bronberger, journaliste à l’écho d’Alger, qui conclut son intervention en expliquant « qu’il fallait donner aux populations algériennes la possibilité d’être des citoyens comme nous ». Cette affirmation que l’on retrouve dans de très nombreux témoignages de «pieds-noirs», m’apparaît comme assez dérisoire lorsque l’on connaît l’opposition que le statut de 1947 à suscité de la part des Européens d’Algérie.
Le capitaine Oudinot, comme beaucoup d’officiers qui avaient été engagés en Indochine, et qui après avoir perdu une guerre ne voulait pas en perdre une autre, a eu de fortes sympathies pour le putsch des généraux en avril 1961. Dans la mesure où sa participation n’était pas active, il a été acquitté par le tribunal militaire spécial, mais il quitte la carrière militaire en 1964.
L’impression qui se dégage de l’action de ce « képi bleu », dans son territoire de Kabylie, est assez mitigée. Nul ne doute de l’empathie réelle ressentie envers les populations locales, mais on y distingue parfois un certain paternalisme, le sentiment que ces populations ne pourraient pas «s’en sortir» seules.
Trois témoignages inédits
L’officier putschiste
Dans le deuxième DVD fourni avec le premier film on trouve des témoignages particulièrement intéressants, comme celui d’un commandant putschiste, Elie de Saint-Marc. Le récit de la tentative de putsch est particulièrement révélateur de l’amateurisme dont « le quarteron de généraux en retraite » a pu faire preuve. Que l’on me permette ici un souvenir personnel, significatif de la disposition des esprits des hommes de troupe du premier régiment étranger parachutiste, commandé par Hélie de Saint Marc. Lors de mon incorporation à l’hôpital militaire en 1978, j’ai eu l’occasion d’interroger sur le putsch de généraux un caporal de la Légion étrangère, qui faisait soigner son alcoolisme chronique. Comme la plupart de ses camarades, il n’a pas eu conscience à cette époque, ni après d’ailleurs, qu’il avait participé activement à un coup d’état militaire. Seuls les ordres de son commandant lui importaient.
Le «pied noir» éclairé
Le témoignage de René Meyer, qui représentait le courant « libéral » de l’Algérie française marque une certaine lucidité quant à l’aveuglement des Européens d’Algérie. Il est vrai qu’ils ont pu faire à plusieurs reprises les plus mauvais choix possibles, le pétainisme en 1940, le soutien à Giraud contre De Gaulle, le refus du statut de 1947, et enfin le soutien à l’OAS. Certes, ces populations n’étaient pas homogènes, notamment sur le terrain politique mais elles se sont peu à peu radicalisées, et ont cru, en janvier 1960 comme en 1961, rééditer l’opération du 13 mai 1958.
La question des harkis
Le témoignage du général Maurice Faivre est sans doute le plus important de cette compilation. Il présente les conditions de développement des unités supplétives indigènes en Algérie. La question des harkis reste sans doute l’un des sujets parmi les plus sensibles.
Le général présente d’ailleurs avec un sens de la nuance les causes de l’engagement. L’avenir des « musulmans fidèles » a été évoqué dès que les négociations se sont ouvertes avec le FLN. Au moment des négociations de Bâle, le FLN s’était engagé à ne pas user de représailles contre eux. Louis Joxe et Pierre Messmer ont envisagé le maintien des supplétifs dans Algérie. L’extrait de l’émission de télévision « Cinq colonnes à la une » qui est largement utilisé montre bien comment l’avenir des harkis était envisagé de façon assez irresponsable.
D’après le Général, seuls 5000 personnes ont demandé à être rapatriées avant l’indépendance, avec les moghzanis, supplétifs des SAS. A partir de juillet 1962, les harkis qui avaient regagné leurs villages ont subi des représailles. Des massacres ont eu lieu et auraient touché entre 60000 et 80000 personnes. La question qui est posée est toujours celle de la validité de ces chiffres. 21600 harkis ont été rapatriés au total. L’accueil a été pour le moins mitigé. Des regroupements de harkis ont été mis en place dans des camps militaires. Pour certains, l’exil a commencé par un séjour au camp de Rivesaltes , là où les réfugiés espagnols de la guerre civile avaient passé de longs mois.
Le général souligne d’ailleurs que le regroupement dans des hameaux forestiers n’a pas facilité leur intégration. Depuis cette époque, la situation a plutôt évolué. Le décret du 31 mars 2003, publié au Journal Officiel du 2 avril 2003 a instauré une Journée nationale d’hommage aux Harkis et autres membres des formations supplétives. Sa célébration est fixée au 25 septembre de chaque année.
© Bruno Modica