Le Sénégal est souvent considéré comme un modèle de démocratie africaine depuis le départ volontaire de son premier président Léopold Sédar Senghor puis l’alternance sortie des urnes sans violence en 2000. le titre choisit par Toumany MENDY peut donc surprendre, il affirme ne pas vouloir faire le procès du système politique sous le régime du président Wade ni celui de la société sénégalaise mais nous propose de l’accompagner à la recherche des causes profondes de la difficile installation d’une réelle démocratie en Afrique. Partant de nombreuses citations tirées des sciences politiques ou de la sociologie son analyse du fonctionnement d’un régime politique s’il traite du Sénégal pourrait inspirer une réflexion sur le fonctionnement même de la vie politique française.
Dans son avant propos l’auteur rappelle dans quelles conditions l’idée démocratique s’est installée dans le monde entre violences et consensus servant de base de résolutions pour les crises suivantes aussi bien dans l’histoire des U.S.A. que de la France, du Mali ou de l’Afrique du Sud que du Nigéria ou de la Côte d’Ivoire. Le Sénégal n’a pas été confronté à ces crises de jeunesse et n’a donc pas d’acte refondateur en cas de crise, pas de souvenir douloureux sacralisant d’idée démocratique.
La question centrale du livre est annoncée en introduction: Peut-on parler de démocratie quand le peuple n’a aucun pouvoir de contrôle de la vie politique, quand la libre expression est muselée?
L’approche du pouvoir en Afrique
Malgré des efforts de Senghor pour développer l’idée d’État-Nation, la conception du pouvoir est patrimoniale, plus souvent perçue comme une sinécure qu’une charge face à une population peu consciente de la notion de souveraineté nationale. La fragilité des acquis sociaux depuis l’indépendance fragilise le sentiment national surtout quand les hommes politiques recourent au communautarisme religieux ou ethnique. L’auteur montre en particulier le poids des marabouts dans l’entourage de l’actuel président et l’absence de projet national, le déclin du panafricanisme. Il nous propose une réflexion sur la Nation dans la période post-coloniale quand la langue officielle choisie fut le français, il développe les idées des penseurs politiques des années 60: Mamadou Dia ou Cheikh Anta Diop et regrette le peu de pensée politique actuel.
Itinéraire de la victoire démocratique du 19 mars 2000
Les 10 ans de crise économiques sous la présidence Abou Diouf ont conduit au déclin du parti socialiste face à un électorat jeune, insatisfait n’ayant connu que la période des ajustements structurels imposé par le F.M.I. et à la crise interne du parti autour de Moustapha Niasse. La presse jouant un rôle d’éveil des consciences facilita la victoire d’Abdoulaye Wade, soutenu par la coalition S.O.P.I..
L’alternance politique du 19 mars 2000: affirmation du dogme démocratique mais…
Malgré un discours démocratique, le nouveau pouvoir de Wade sombre vite dans une forme de marchandisation de la vie politique er même une « monarchisation ».
L’attitude populiste du « président-prophète » se double de nombreuses voire contradictoires réformes constitutionnelles, l’auteur qualifie la constitution de cahier de brouillon. Le fossé entre élite politique privilégiée et population se creuse, le contrôle sur la presse et l’opinion se renforce, les jeunes voient leur avenir dans la migration: Barça ou Balsaak (Barcelone ou mourir en enfer).
L’auteur montre comment s’installe une super-présidence, un clientélisme qui a été mis en défaut lors des élections locales de mars 2009 par un vote protestataire des grandes villes.
A vous de juger
Ce quatrième chapitre est une analyse de la vie politique au quotidien: clientélisme des nominations, ralliement des opposants en échange de prébendes, corruption, perte d’autorité morale et propos contradictoires dans le temps.
État des lieux du fonctionnement des contre-pouvoirs
C’est un constat de faiblesse: presse publique aux ordres, une télévision réduite à produire des documentaires des réalisations du président; une élite intellectuelle peu impliquée ou chantre du pouvoir; jeu des alliances politiques contre nature, signe d’opposition en panne de stratégie.
Pour l’auteur l’avenir réside dans la mobilisation de la jeunesse dont il nous propose une analyse sociologique. Mais la jeunesse sénégalaise existe-t-elle? Si son hétérogénéité est grande entre l’étudiant et le talibé soumis à son marabout, on constate une même perte de confiance dans l’avenir.
Toumany MENDY plaide pour plus de civisme et de respect du bien collectif, il dénonce les abus d’autorité de la famille à l’État et regrette que la justice soit mise sous tutelle, utilisée pour museler toute opposition et impuissante à sanctionner les détournements de fonds publics.
L’anecdote Wade-Seck entre impunité et raison d’État
Un court chapitre pour illustrer les dérives actuelles à l’aide de la querelle entre le président Wade et son ex-premier ministre Idrissa Seck à propos de détournements sur un chantier à Thiès, permet de monter comment les enjeux électoraux dominant les relations politiques.
La démocratie sénégalaise face à de nouveaux défis
C’est d’abord la place des médias dans la consolidation de l’idée de démocratie qui est ici traitée. Le problème soulevé par l’auteur est celui de la faible formation professionnelle et de l’absence de réflexion déontologique des journalistes.
Mais l’intérêt de ce septième chapitre réside surtout dans son analyse de la place grandissante et dangereuse des religieux: marabouts et confréries. Cette élite religieuse est un véritable État dans l’État comme l’atteste cet épisode d’une ville sous influence où les autorités religieuses refuse l’existence même d’une école publique dans la ville. Toumany MENDY dénonce les fortunes amassées par certains marabouts qui les détournent de leur rôle traditionnel d’éducateur moral, une action d’agitateur provoquant parfois des épisodes violents comme les heurts entre les talibés de Serigne Massamba et les étudiants sur le campus de Dakar en juillet 2009 mais aussi leur proximité du pouvoir. La communication de Wade qui les présente comme la voix des sansvoix est selon l’auteur irresponsable, une bombe à retardement contre la paix sociale dans un pays de cohabitation religieuse harmonieuse jusqu’à maintenant.
Ce long chapitre évoque aussi l’affaire Segura, cadeau somptuaire fait par la présidence à un fonctionnaire du F.M.I. en fin de mission en pleine crise économique à l’automne 2009.
Enfin l’auteur revient sur la question linguistique, le français choisit comme langue officielle au moment de l’indépendance n’est pas nécessairement compris par le citoyen de base, le wolof domine le discours politique non sans risque. Le rejet de la proposition de loi visant à alphabétiser les fonctionnaires en wolof montre la force et la revendication des identités ethniques variées comme en Casamance.
Un autre Sénégal est possible mais à condition de réinventer une nouvelle citoyenneté
On est déçu par le peu de développement de ce chapitre après un titre plutôt attrayant: face au constat des fissures du lien social et à la montée de l’individualisme, il faut restaurer le sens citoyen. Une affirmation à laquelle on ne peut que souscrire mais qui manque de consistance dans les pistes proposées.
L’auteur conclue sur la responsabilité partagée de la dérive actuelle entre élite politique, élite intellectuelle et peuple qui ferme les yeux.
Dans une post-face l’auteur nous dit son point de vue sur l’influence néfaste de l’occident sur les femmes africaines, sur la réflexion française à propos de la burqa et la politique spectacle tout en dénonçant l’ingérence française au Niger.