Cette publication nous a été confiée lors des rendez-vous de l’histoire de Blois, et, même si nous la traitons avec un petit peu de retard, nous sommes loin d’être déçus. D’une belle qualité graphique, remarquablement illustré, ce catalogue documentaire accompagnant une exposition est composé de différents articles qui sont pour certains d’entre eux d’une actualité encore brûlante.
À ce propos, je commencerai la présentation par l’article de Claire Constans, conservateur général honoraire du patrimoine qui présente la façon dont Louis-Philippe a souhaité présenter la révolution et Napoléon dans les galeries historiques de Versailles. Bien avant 2007, Louis-Philippe souhaitait créer une sorte de « musée de l’histoire de France » dont la vocation était davantage de réconcilier les Français et de les unir autour de la monarchie constitutionnelle plutôt que de faire oeuvre d’histoire. Peut-être que son lointain successeur souhaitait faire de même lors de son quinquennat. Il n’empêche que ce projet a finalement été abandonné, pour des raisons de coût, du fait de l’alternance de 2000. Bien entendu l’auteur de cet article se préoccupe principalement de l’ouverture du musée de Versailles en 1837, l’histoire y est présentée comme une longue succession de tableaux, de portraits, qui présente les acteurs de la période. Il existe dans sa présentation une véritable muséographie, avec des salles thématiques. Mais Louis-Philippe insiste toujours sur la vérité la représentation et sur l’importance de la participation populaire. L’idéalisation des campagnes militaires mais en même temps les épisodes révolutionnaires, le sacre de Napoléon, le serment de l’armée fait à l’empereur, participent d’une volonté d’unir les Français autour de l’armée, autour du pouvoir politique, et au final autour de l’État qui garantit la continuité de l’État-nation.
Bernard Gainot de l’institut d’histoire de la révolution française propose un article sur la France révolutionnaire qui entre en guerre contre l’Europe monarchique. Encore une fois superbement illustrée par des gravures du fonds ancien de la ville du Blanc, cet article très documenté nous apparaît comme particulièrement précieux dans le cadre du cours d’histoire des relations internationales, pour les élèves qui préparent le concours d’entrée à l’école militaire interarmes pour la filière lettres. L’article est remarquablement organisé à la fois parce qu’il présente les aspects militaires de la question, la sociologie de l’armée française et de cette période délicate de transition entre une armée d’Ancien régime et une armée basée sur le principe de la nation en armes. En même temps, une grande place est faite à la contradiction qui peut exister entre la volonté affichée d’une guerre de libération, pour porter au-delà des frontières les idéaux de la révolution française, et une guerre de conquête pour assurer les fins de mois du régime du directoire. Au final, la période révolutionnaire permet la constitution d’une armée nationale, non seulement en France mais dans les autres pays européens, et en même temps accentue le processus de professionnalisation de certains secteurs de l’armée qui doivent s’appuyer tout de même sur la masse de combattants que fournit la conscription.
Louis Bergès, conservateur général du patrimoine présente la construction de deux mythes républicains, de Valmy aux soldats de l’an deux. Encore une fois, comme pour tous les articles de ce recueil, l’auteur nous propose une très belle mise en situation historique et en même temps des illustrations de grande qualité. L’explication sur l’exploitation des événements avec la bataille de Valmy, les conséquences de la levée en masse qui permet d’aligner dans la bataille des frontières 730 000 combattants, ce qui donne à la France une incontestable supériorité numérique sur le champ de bataille sont également présentées. À partir de 1793 les acteurs héroïques de cette bataille ne sont plus des généraux qui ont par ailleurs trahi, comme Kellermann (suspect) et Dumouriez, mais le peuple en armes, le soldat ordinaire, le citoyen mobilisé. Très vite, des récits fabuleux naissent autour de ce soldat citoyen. Ce sont des sortes d’anti-héros, comme le jeune Bara, le tambour mythique des guerres de Vendée, ou encore des femmes qui sont signalées par leur patriotisme lors des combats autour de Lille. L’auteur de cet article, à partir de l’exemple de Valmy et des soldats de l’An deux, montre comment chez les révolutionnaires d’autres époques, ceux de la révolution russe ou dans la lutte de la résistance en France avec le parti communiste, le mythe a été repris et largement exploité.
Sarga Moussa chercheur au CNRS traite de Dominique Vivant Denon, un personnage tout de même assez peu connu. Baron d’empire, proche de Joséphine Beauharnais, il accompagne Bonaparte en Égypte, avant d’être chargé par Napoléon de remplir le futur musée du Louvre d’œuvres d’art prélevées dans toute l’Europe.
Ces chroniques de l’expédition d’Égypte sont qualifiées par l’auteur de cet article d’« émergence d’une conscience critique ». Denon publie en 1802 un livre de Voyages dans la basse et la haute Égypte, dans lequel il fait à la fois un récit de guerre mais en même temps une sorte de récit de voyage. Toutefois, d’après l’auteur, la démarche est également critique puisque Denon prend simultanément en compte le point de vue du vainqueur est celui du vaincu. Il s’intéresse également aux relations entre les troupes d’occupation françaises en Égypte et les populations locales, à propos d’un épisode touchant au respect dû aux mosquées en tant que lieux de culte. Le récit est également très précis sur les conséquences de la guerre y compris physiques, il est vrai que Denon est également dessinateur et graveur. Cet article est très agréablement illustré par des gravures de Denon, qui font parti du fonds patrimonial des bibliothèques de Blois.
Maya Goubina, docteur en histoire de l’université de Paris IV, présente un regard réciproque des Français et des Russes lors de la campagne de 1812. Encore une fois richement illustrée cette présentation de regards croisés d’une campagne n’est pas fondamentalement originale, mais constitue une très agréable mise au point sur la perception que les Français pouvaient avoir de cette guerre lointaine et de son utilité, et en même temps comment la France révolutionnaire et impériale pouvait être perçue par les populations d’Europe centrale et orientale. Les Russes retournent l’accusation de barbarie contre les Français, les termes de cannibales, de gredins, de monstres et de scélérats foisonnent dans les textes. La retraite de Russie devient objet de moqueries. L’auteur conclut son propos en rappelant qu’au début du XIXe siècle la guerre a une dimension plus large que militaire et politique. Les adversaires découvrent une autre réalité sociale, ethnique et culturelle et finalement font connaissance. Mais après tout c’était déjà le cas lors des croisades.
Bien d’autres articles sont proposés, et ils mériteraient tous une présentation tant les approches sont originales, inédites souvent, et, car on ne le dira jamais assez, richement illustrées.
De ce point de vue ce recueil est aussi une belle banque d’images que nous sommes impatients d’utiliser dans nos enseignements.
SOMMAIRE
- Introduction : Le Drapeau et la Rose des Vents
- Les Galeries historiques de Versailles : du musée à la publication
La Révolution et Napoléon dans les galeries historiques de Versailles: un projet ambitieux du Roi des Français
- La France révolutionnaire entre en guerre contre l’Europe monarchique
- La construction de deux mythes républicains : de Valmy aux soldats de l’an II
- Denon chroniqueur de l’expédition d’Égypte, ou l’émergence d’une conscience critique
- Le regard réciproque des Français et des Russes lors de la campagne de 1812 L’histoire et la mémoire des campagnes napoléoniennes au Portugal (1807-1811)
- Du petit théâtre de Valençay au théâtre de l’Europe : les princes d’Espagne à Valençay ou la tragi-comédie espagnole
- L’Indre et la guerre (1789-1815)
- Grognards de l’Indre et Grognards du Blanc (1792-1815) L’Indre en 1815
- Le traitement balzacien du demi-solde
- Bernard Naudin, citoyen de la Ille République
- Chateaubriand, de l’armée des Princes à la défaite de Waterloo