La Documentation française
128 pages, 9,80 euros ou 7,84 euros en version numérique En vente le 20 mars 2013
Pour ceux qui auraient encore le moindre doute – mais ils doivent être rares parmi les lecteurs de la Cliothèque – sur l’intérêt de disposer dans n’importe quel centre de documentation de la revue question internationale, ce dernier numéro consacré aux villes mondiales devrait lever les dernières réticences. Cette question de géographie que l’on trouve dans la nouvelle version du programme de terminale, programme sur lequel beaucoup a pu être dit dans la galaxie des Clionautes, est souvent difficile à traiter. Les villes mondiales sont identifiées mais de façon intuitive, et il n’est pas évident de définir leurs caractéristiques, leurs traits communs, et même leur éventuelle hiérarchie. Certes ces villes mondiales présentent des caractéristiques communes, au niveau de leur architecture comme de leur interconnexion, mais, comme le dit Serge Sur dans son article d’ouverture, une ville mondiale est une ville avant d’être une ville mondiale. Ce qui permet de les définir est tout d’abord sa taille et la façon dont on exerce un pouvoir dominant dans son environnement, sur un territoire qu’elle domine. De ce point de vue des villes comme Babylone, Jérusalem, Athènes, Rome, Constantinople en tant que siège d’un pouvoir dominant s’inscrivent dans l’histoire de ces villes mondiales.
Des villes mondiales on passe en effet aux villes globales qui franchissent un degré supplémentaire d’internationalisation dans la mesure où leur croissance est avant tout organisée autour des échanges internationaux. Mais cela n’est pas une garantie de réussite, surtout lorsqu’elles sont le résultat d’une volonté politique comme Brasilia. Capitale administrative elle est loin d’avoir détrôné Rio de Janeiro ou Sao Paulo. Si elles présentent des caractéristiques communes toutefois, leur centre marqué par les gratte-ciel et en même temps leur extension horizontale sur un mode pavillonnaire résidentiel haut de gamme qui coûte cher en espace et en moyens de transport.
Ce sont des géographes qui sont les principaux rédacteurs de cet ouvrage qui va très au-delà de la revue pour devenir à terme une référence.
Les villes mondiales: s’agit-il d’un thème qui intéresse les relations internationales ? Ce nouveau numéro de « Questions internationales » le démontre.
Il a toujours existé des villes d’importance particulière, voire universelle, sur différents registres. Comment identifier alors les villes mondiales ? Si on le fait intuitivement, définir leur concept, leurs caractéristiques, leurs traits communs, leur éventuelle hiérarchie est moins aisé qu’il n’y paraît.
Le dossier croise les analyses à partir d’exemples significatifs, sans oublier la dimension humaine, les inégalités et ségrégations qu’engendrent l’accumulation des hommes et l’attraction économique parfois excessive exercée par ces mégapoles. Elles sont l’objet d’une nouvelle civilisation urbaine, d’une nouvelle sociabilité. Nombre de leurs problèmes sont une extension de ceux que connaissent depuis longtemps toutes les villes d’une certaine importance, mais le changement quantitatif peut emporter aussi une mutation qualitative. On est encore à l’aube du phénomène.
Le développement au cours des dernières décennies de diverses villes anciennes ou nouvelles, principalement en Asie, est une conséquence de la mondialisation économique. Il aboutit à constituer un réseau d’agglomérations dont l’essor est dû à leurs échanges transnationaux, réseau qui est en passe de recomposer en profondeur la géographie économique du monde.
Anne Bretagnolle professeur de géographie à l’université Paris I s’interroge déjà sur la « représentation » de la ville mondiale. En effet, l’auteur souligne qu’accéder à ce club très fermé des villes mondiales est devenue un enjeu pour un certain nombre de pays émergeant. Accueillir un événement sportif comme la très contestée coupe du monde de football dans un pays du golfe, mobiliser le patrimoine et en même temps le disperser comme le Louvre, proposer des espaces de consommation parmi les plus luxueux, encore une fois dans les pays du golfe, tout cela participe d’une volonté à la fois économique et politique de promotion urbaine. Dans le FOCUS de cet article, l’auteur nous propose quelques définitions, très précieuses pour savoir de quoi l’on parle avec cette opposition entre métropoles mondiales, mégapole, archipel mégalopolitain mondial ou encore vit le monde ou global City. C’est la genèse de ces appellations qui est la plus significative. En même temps, cela permet de clarifier le concept de noeud de l’archipel mégalopolitain mondial, en établissant une différence entre les multitudes qui occupent certaines villes comme le Caire ou Bogotá et leur niveau de connexion et d’interconnexion dans le cadre de la mondialisation. Les villes mondiales actuelles ne sont pas fondamentalement différentes des grandes capitales de l’Antiquité. Et l’on pourrait largement remonter aux villes du troisième millénaire dans la civilisation mésopotamienne. L’internationalisation des échanges et la première division internationale du travail renforce au moment de la révolution des transports la domination politique et économique de ces métropoles mondiales, localisées dans les zones centrales de l’économie monde. L’auteur revient d’ailleurs sur une définition temporelle de cette ville mondiale. Les régions mégalopolitaines sont constituées par le réseau de villes qui entourent la métropole mondiale et qui sont facilement accessibles dans un rayon d’une journée de transport. Cela fait tout de même une grande partie du territoire français facilement accessible par le réseau ferroviaire à grande vitesse. La mégalopole structurée autour du chemin de fer sur plus de 800 km-de Boston à Washington-assure par des spécialisations variées complémentaires la puissance économique de New York.
La mondialisation actuelle est considérée comme un fonctionnement en réseau.
La première qualifiée de mondialisation commerciale s’inscrit dans une logique de rationalisation des flux. La notion de hub devient centrale pour obtenir un avantage déterminant.
La deuxième vague de la mondialisation se traduit par une réorganisation massive du système productif avec les délocalisations d’entreprises et les réseaux de sous-traitance.
La troisième phase correspond à la globalisation financière à partir des années 80,90. Un mouvement puissant de concentration des nœuds de la finance mondiale la caractérise. Mais le dernier stade de la mondialisation n’apparaît que dans les pays du centre c’est-à-dire ceux de la triade, et le concept reste toujours pertinent, l’Amérique du Nord, l’Europe, le Japon et quelques pays émergents.
Pour aller plus loin le lecteur est invité à découvrir New York, la ville mondiale par excellence, qui incarne à elle toute seule l’histoire des États-Unis et de leur peuplement. New York réunit en effet toutes les caractéristiques d’une ville mondiale, accumulation du capital, implantation d’entreprises internationales, concentration de la production de richesse, représentation des actifs dans le secteur tertiaire supérieur, grande accessibilité avec trois aéroports internationaux, infrastructures d’accueil et de congrès ou d’événements sportifs de taille internationale, centre bancaire et financier d’ampleur mondiale, centre de commandement des entreprises, centre créatif et d’innovation et influence majeure dans les mouvements artistiques du XXe siècle. Ce n’est pas un hasard si les attaques du 11 septembre ont choisi New York comme lieu emblématique de cette mondialisation que les islamistes entendent combattre.
Marc Dumont maître de conférences en aménagement urbain à
l’université de Rennes s’interroge sur la banalisation des modèles urbains. Toutes les villes se ressemblent, les centres-villes des grandes métropoles ont vu se développer le concept de ville 24 heures sur 24 qui dépasseraient les frontières entre le jour et la nuit, mêlant commerces et lieux de divertissement de consommation et de shopping. C’est peut-être Paris qui résiste le plus à ce modèle, mais pour combien de temps ? En même temps certaines villes sont devenues des villes musées, et Paris comme des villes du Maghreb n’échappent pas à ce risque. Les villes n’existeraient plus que comme fantômes culturel pour les touristes. Les opérations successives de restauration et de protection ont conduit à éloigner non seulement les habitants mais aussi les entreprises et cela donne dans les villes du Vieux continent, comme dans celle du Nouveau Monde ces grands espaces dédiés à la consommation de plus en plus éloignés des centres des villes.
Dans le même temps à proximité de la ville se développent des parcs d’attraction, des espaces de consommation standardisée ou se diffuse une culture mondiale interchangeable. Au Liban par exemple dans le cadre de la reconstruction d’un quartier de Beyrouth détruit par la guerre le Saifi village est devenu un objet de « consommation ostentatoire ». Il s’agit encore une fois d’un quartier vitrine. L’auteur de cet article s’intéresse également à la diffusion d’un modèle universel d’habitation, ce qu’il appelle la culture IKEA, qui est, villa à notre sens parfaitement raison de le dire, directement inspiré de l’école du Bauhaus. En même temps, le choix qui est fait, contrairement à cet illustre devancier, et celui du développement durable, c’est-à-dire le fait d’utiliser, ce qui peut être contradictoire, des matériaux peu durables, mais essentiellement recyclables.
Les magasins IKEA reposent sur un concept simple qui est d’apparaître comme une ville dans la ville, où l’on peut se meubler, s’équiper, et en même temps se nourrir, même si certaines affaires récentes ont montré que ce n’était pas forcément pertinent.
En marge de ce développement urbain, sur les périphéries, s’opposent les quartiers résidentiels des communautés fermées et les bidonvilles ou les zones d’habitat précaire. Ces formes urbaines prolifèrent de façon spontanée sans contrôle ni régulation et sont qualifiés de Junk Space. C’est dans cette zone, en marge de l’espace urbain « officiel » que dans les pays émergents, mais pas seulement, on trouve le même phénomène à 100 km à vol d’oiseau de San Francisco, que vivent les travailleurs précaires, qui résident dans des habitats qui le sont également.
Céline Bailloux présente : « la ville debout : le gratte-ciel au XXIe siècle ». Elle rappelle en illustration, avec une photo de San Gimignano en Toscane que ces maisons tours citadines de 50 m de haut, ce qui était une performance au début du XIIIe siècle, avaient une fonction clairement ostentatoire qui n’était pas très différente de celle des gratte-ciel qui ont fait leur apparition à Chicago dans le cadre des reconstructions qui suivent le grand incendie de 1871. Entre la fin du XIXe siècle et le début des années 20, les États-Unis mais aussi l’Union soviétique s’inscrivent dans cette concurrence. Dans le même temps, le Japon, Canada, Australie se dote aussi de gratte-ciel surtout après la seconde guerre mondiale. Depuis, ce sont les pays émergents qui se sont lancés dans l’aventure et c’est en Asie que se trouve le plus grand nombre de gratte-ciel. Hong Kong en compte près de 7700. Ce mouvement s’est étendu au reste des villes chinoises et a touché également le Moyen-Orient avec une quinzaine de tours de plus de 300 m rien que pour Dubaï. Aux États-Unis comme en Europe de grands architectes semble avoir jeté l’éponge face à cette course à la verticalité des pays du Nouveau Monde. C’est la volonté politique de se relever du choc dû en septembre qui explique la reconstruction qui devrait être achevée cette année en 2013, du nouveau World Trade Center dont la hauteur serait de 541 m 32, soit 1776 pieds en référence à l’année de l’indépendance des États-Unis. Aujourd’hui, c’est la tour Mercury de Moscou aux 338 m de hauteur qui a déclassé le Chard de Londres, inauguré en juillet 2012. Les tours sont aujourd’hui décriées en raison de leur impact environnemental considérable mais dans le même temps certaine développe le concept de haute qualité environnementale, équipé d’éoliennes, de panneaux solaires, des systèmes de récupération et de recyclage de l’eau, agrémentées de végétaux, sans que l’on se pose parfois la question du coût d’entretien de ces équipements. Cette course à la hauteur n’est pas encore terminée mais elle devrait tout de même marquer le pas. Burj Kalifa la plus haute tour du monde avec ses 828 m domine Dubaï, mais la question est de savoir si ces tours ont une utilité fonctionnelle.
Dans un autre domaine, et pour aller plus loin, Renaud Le Goix, maître de conférences à la Sorbonne, propose une description de Los Angeles comme métropole fragmentée, polycentrique et en même temps capitale migratoire des États-Unis, avec une concentration très forte de l’immigration hispanique et asiatique dans les espaces intrants urbains et dans certaines zones périphériques qui rendent les blancs non hispaniques désormais minoritaires. La métropole le premier port d’entrée de l’immigration aux États-Unis par sa situation sur la façade pacifique à proximité de la frontière mexicaine. 31 % de la population de Los Angeles est né à l’étranger. L’appartenance linguistique et religieuse des migrants est également intéressante dans sa répartition dans l ‘espace urbain.
Stéphane Leroy, maître de conférences en géographie à l’université de Créteil traite de la ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales. L’article s’ouvre sur une très belle illustration pleine page de la favela de Sao Paulo dans dans laquelle cohabitent des espaces clairement délimités de nombreux immeubles d’habitation de luxe comprenant piscine, court de tennis et jardins. Une haie et un mur bétonné de plusieurs mètres de hauteur délimitent les deux espaces.
D’après le géographe, qui prend comme point de départ de sa réflexion les émeutes de Londres en août 2011, ce phénomène illustre avec violence les conséquences les plus négatifs de la mondialisation économique sur l’espace interne de métropole. La spécialisation de plus en plus poussée de leurs économies provoque des bouleversements sociaux de grande ampleur et suscite la crainte de voir émerger une société duale, en sablier, opposant une place de plus en plus aisée à une autre de plus en plus pauvre.
Depuis plusieurs décennies l’espace des villes mondiales est caractérisé par un étalement sans fin et l’accroissement du nombre de ses habitants. L’automobile a évidemment joué un rôle majeur et a contribué à dynamiser les périphéries urbaines. En 20 ans la superficie de la ville de New York, comme aire métropolitaine a augmenté de 22 %.
Les villes mondiales sont devenues dans un contexte de tertiarisation généralisée des économies des espaces de production de services de plus en plus sophistiqués, ce qui renforce leur caractère central. Une catégorie de cadres très qualifiés, très bien rémunérés également se concentre dans ces villes et génère une catégorie de « serviles » qui bénéficient de leur présence. Dans le même temps, les emplois productifs, en raison des coûts des terrains ont été délocalisés à la périphérie, voire délocalisés tout court dans les pays à bas salaires. La ségrégation sociale est donc croissante, du fait des prix des terrains, du prix de la construction, avec une hausse vertigineuse du fait de l’intense spéculation financière. Cela se traduit évidemment par une augmentation du trajet domicile-travail pour les catégories sociales les moins favorisés. Ce phénomène recouvre une ségrégation ethnique et en même temps une sécession spatiale à base économique sécuritaire. Les communautés fermées se développent depuis la Californie, avant de se diffuser dans de nombreux pays au Nord comme au Sud, en particulier en Amérique latine. Le phénomène qui est également évoqué est celui de la gentrification des centres, un phénomène qui touche particulièrement Paris, et on trouve une très intéressante carte qui relie ce phénomène avec le développement des pacte civil de solidarité. La gentrification aurait été encouragée par les politiques publiques, qui ont fait le choix, notamment à Paris, de la réhabilitation, afin de préserver le patrimoine d’une ville « musée », ce qui rejoint les préoccupations de cette catégorie sociale. Les discontinuités spatiales culturelles apparaissent très largement, avec notamment des difficultés d’accès croissantes pour les populations des périphéries urbaines défavorisées au centre-ville. Ce phénomène a été observé à Marseille, y compris dans le cadre de manifestations culturelles 2013.
Marie Delaplace, professeur d’aménagement et d’urbanisme à l’institut français d’urbanisme nous interroge sur le rôle des transports ferroviaires. Ces derniers relient bien entendu les grandes métropoles et contribuent à leur mise en réseau. Les transports ferroviaires sont plus que jamais d’actualité au sein des différents continents dès lors qu’il crée un pont entre le local et le global.
Aux 17 000 km de lignes à grande vitesse en service dans le monde il faudra ajouter d’ici 2025 15 476 km supplémentaires. Cela se développe dans les pays émergents, en décembre 2012 la Chine par exemple a mis en service le dernier des tronçons de la plus longue ligne grande vitesse du monde, soit 2298 reliant Pékin à Canton. Les réseaux de trains à grande vitesse ont considérablement réduit la superficie du continent. En 20 ans, de 1989 à 2009, le temps de trajet entre Paris et Strasbourg a été divisé par quatre, entre Paris et Amsterdam par 1,5. Le réseau ferroviaire apparaît comme un lien entre les métropoles européennes et permet d’envisager avec une certaine sérénité le dynamisme du continent européen. Les grandes métropoles européennes se retrouvent ainsi reliées à leur arrière-pays, même si les flux sont polarisés de et vers Paris dans le cas de la France.
Au sommaire
- Ouverture – Mondialisation et villes mondiales (Serge Sur)
- La ville mondiale : une histoire de représentations (Anne Bretagnolle)
- La banalisation d’un modèle urbain (Marc Dumont)
- La ville debout: le gratte-ciel au XXIe siècle (Céline Bayou)
- La ségrégation socio-spatiale dans les villes mondiales (Stéphane Leroy)
- Nouvelle hiérarchie des grandes agglomérations et nouvelles formes de peuplement (François Moriconi-Ébrard et Cathy Chatel)
- Mondialisation et gouvernance des métropoles (Christian Lefèvre)
- Tourisme, salons, congrès, composantes incontournables des villes mondiales (Hélène Pébarthe-Désiré)
- Un monde polycentrique et métropolisé (Lise Bourdeau-Lepage)
Chroniques d’actualité
– Premières leçons de l’intervention française au Mali (Renaud Girard)
– John Kerry ou les habits neufs de la diplomatie américaine (André La Meauffe)
Questions européennes
– Les tiraillements de la politique extérieure de la Suisse (Hervé Rayner)
Regards sur le monde
– Corée du Sud: les défis de la nouvelle présidence (Perrine Fruchart Ramond) Histoires de Questions internationales
– Paris, capitale des exilés de l’Europe centrale après 1945 ? (Antoine Marès) Les questions internationales sur internet
Les villes mondiales
Collection Questions internationales n° 60
La Documentation française
128 pages, 9,80 euros ou 7,84 euros en version numérique En vente le 20 mars 2013