Voilà un ouvrage fort à propos pour les vacances. Le journaliste Martin Leprince orchestre un dialogue dynamique et plaisant à lire entre deux anciens officiers traitants – le terme « espions » est impropre – du KGB et de la DGSE au temps de la Guerre froide. Du recrutement aux techniques d’espionnage en passant par la place de l’idéologie dans les missions, l’ouvrage aborde divers aspects d’un métier exceptionnel qui nourrit aussi de nombreux fantasmes.

L’entretien est organisé en plusieurs parties qui constituent autant de thématiques autour du métier d’officier traitant. Ainsi sont abordés le recrutement, la formation, les techniques, « la réalité de la fonction », « les faux mythes », la place de « la foi dans le système » et les aspects personnels et humains du métier. L’ouvrage s’achève sur une interrogation : « le monde a-t-il encore besoin d’espions ? ».

Un métier à la fois routinier et hors du commun

Ce que l’on retient surtout, c’est la banalité caractéristique du métier d’officier traitant, loin des clichés véhiculés par les séries et films d’espionnage. Ce métier consiste essentiellement à cultiver un réseau d’agents sans se faire « tamponner » par les autres services. Les informations collectées par l’officier traitant concernent tous les secteurs d’activité stratégiques pour l’Etat : technologies militaires, politique intérieure, industries nucléaires, etc. Outre le quotidien du métier, les deux acteurs du dialogue ont partagé la même éthique du travail fait sans état d’âme pour la patrie. Sergeï Jirnov et François Waroux se rejoignent également quand il s’agit de comparer les fictions relatives aux espions, telles que Le bureau des légendes, riche en incohérences et invraisemblances, et leur vécu, plus prosaïque, sur le terrain.

KGB et DGSE : ennemis ou concurrents ?

Le dialogue permet de comprendre ce qui différencie le KGB et la DGSE pendant la Guerre froide. Une différence d’envergure, tout d’abord : les moyens et les effectifs dont dispose le service soviétique sont sans commune mesure avec ceux de la France. D’ailleurs, Sergeï Jirnov affirme que, face aux États-Unis et à l’Allemagne, la France était très secondaire parmi les cibles du KGB, à telle enseigne que François Waroux évoque davantage une concurrence qu’un affrontement entre ennemis. Un autre point de divergence réside dans le rôle tenu par l’idéologie. Si la DGSE cherchait avant tout à récolter des informations sans prétendre changer la marche du monde, le KGB se pensait comme missionnaire au service de la cause communiste. Enfin, les deux anciens officiers traitants perçoivent très différemment la pertinence et les conséquences de leur action. Face à François Waroux qui se présente comme un humble serviteur de l’État dans un service au rôle modeste dans le jeu de la Guerre froide, l’ancien membre des « illégaux » du KGB se montre désabusé, estimant que son ancienne profession est « un gaspillage de temps, d’argent public et de l’utilisation d’une élite ».

On apprécie grandement les observations d’Eric Denécé, directeur du CF2R, en postface. Ces dernières pages offrent des correctifs, des analystes critiques et des réflexions prospectivistes sur les propos tenus par les deux protagonistes du dialogue.