Cr de Cyril Froidure

Que savons du Japon actuel ? Ce que nous en disent les médias bien sûr, ce que l’on nous a appris pendant notre scolarité et puis nos a-priori sur ce pays à la fois lointain dans l’espace mais proche de par son statut de pays dit développé.
Avec ce livre, Philippe Pelletier, éminent spécialiste de la question, enseignant à Lyon-II, tente le tour de force de faire un point sur le Japon en 288 pages dans une nouvelle collection lancée par les éditions SEDES à destination des étudiants en classes préparatoires. Sorte d’état des lieux, ce travail passe en même temps en revue tous les schémas préconçus qui composent l’image qu’ont du Japon bon nombre d’entre nous.
Articulée en six chapitres, accompagnée d’une bibliographie composée d’ouvrages récents en français et en anglais tenant sur une double-page, ponctuée de documents récents, cette mise au point peut-être vue comme le prolongement actualisé du numéro de la documentation photographique (n°8029, « Le Japon, une puissance en question ») proposé par le même auteur en 2003.

Une foule d’idées reçues :

Comme beaucoup de pays mais peut-être plus encore que la moyenne, le Japon a généré et génère encore un grand nombre d’idées reçues : nature hostile, surpopulation, manque d’espace, absence de ressources naturelles, royaume de la technologie, population active acharnée au travail…
Qu’en est-il ? L’auteur tente d’éclaircir les idées du lecteur.
Le Japon, un pays soumis à une nature hostile ? Peut-être mais une nature souvent prévisible à laquelle la population s’est adaptée ; un nature peu généreuse ? Discutable : la plupart des aléas ont pour corollaire un bienfait et quant à l’absence de ressources ; il est exact pour certaines d’entre elles (pétrole, fer…) mais pour d’autres la conjonction d’un faible rapport coût/production et le recours accrû aux importations expliquent cette impression de dénuement.
Le Japon, un petit pays ? Si on s’en tient à sa surface terrestre, on peut, comparé aux autres grandes puissances, osé ce constat mais une fois ajoutée la ZEE, la donne change totalement.
Le Japon, pays du High-Tech ? On ne peut nier les chiffres qui font du Japon l’un des pays les plus investis dans le domaine scientifique mais Philippe Pelletier identifie des blocages néfastes tels que le poids de la hiérarchie, le cloisonnement des disciplines ou « l’abandon de la recherche pure ».
Les Japonais « entassés » sur une surface utile réduite. Bien entendu, des zones de très fortes densités sont identifiables mais l’exemple d’Hokkaidô vient en partie contredire cette assertion ; ainsi dans la plaine d’Ishikari, les densités atteignent difficilement les 100h/km2 et presque la moitié du territoire nippon (dont 10% de terrains à bâtir) est considérée comme surdépeuplée (terme signifiant la perte de 10% de la population entre deux recensements).
Et les comportements des japonais ? travailleur, oui mais les rythmes sont différents, on passe au Japon plus de temps sur son lieu de travail qu’en France sans en oublier de « bien-vivre ». Les Japonais, champions du monde du taux de suicide ? L’idée reçue est ancienne mais la réalité ne l’a rejoint qu’à la fin des années 90 lorsque les 25 pour mille ont été dépassés.
Ainsi donc ces images ne sont pas à rejeter en bloc mais à nuancer.

Un pays en mutations :

Et donc se pose la question : et au-delà du miroir, que dire du Japon d’aujourd’hui ? Que la Japon se comprend à la lumière de ce qu’il a été. Ainsi toutes les mutations actuelles sont replacées dans un cadre historique et jamais posées sans des références au passé proche ou lointain.
Vaincu en 1945, le pays fait un triple choix : celui d’une implication forte de l’état dans tous les domaines notamment économique, celui de la technique importée, modifiée et améliorée et celui d’un compromis socio-économique symbolisé par l’emploi à vie (qui ne touchera jamais plus de 35% de la population active).
Soutien des Etats-Unis, soucieux de l’existence d’un contre-poids au communisme en Asie et recyclage des élites de l’époque tenno-militariste (années 30-40) permirent au Japon d’entrer dans une période faste la période de Haute croissance (1955-1973). Cette double décennie marqua à la fois le rattrapage des pays développés (théorie du vol d’oies sauvages) et posa les fondations de la réussite nipponne des années 80 qui en fit la 2ème puissance économique mondiale.
Et aujourd’hui ? Contexte international de la globalisation et mutations internes se conjuguent pour dessiner un autre Japon.
Sont longuement abordées les transformations politiques (la remise en cause de l’état-constructeur, l’ambiguïté d’une décentralisation inachevée), la remise en cause du compromis toyotiste (et de l’emploi à vie), les bouleversements sociaux (développement de nouvelles formes de solidarité, perte de confiance dans le système éducatif, affirmation féminine). L’ensemble de ces phénomènes sont constatés avant tout dans la mégalopole et bien sûr Tokyo, centre incontournable du pays qui « diffuse, polarise », donne le la.
Mais il est une catégorie qui demande un développement, celles des mutations spatiales. Différents termes sont utilisés pour nommer ces changements : métapole, région mégapolitaine polycentrique:
De quoi s’agit-il ? Des zones proches de la mégalopole plus la mégalopole formant une sorte de mégalopole plus vaste, traversant la moitié des départements japonais mais présentant la caractéristique d’être un espace fait de discontinuités. L’érection de technopoles et de parcs technologiques lors du plan Technopolis ( 1983-1998) caractérise cette dynamique s’appuyant sur la diffusion des activités au-delà des limites traditionnelles de la mégalopole ( mais en fortes relations avec celle-ci) et illustre cette expansion de la mégalopole qu’est la métapole.
La mégalopole aussi s’étend, désormais jusqu’à Sendai et continue de s’organiser autour des trois mégapoles travaillées par des dynamiques divergentes, Tokyo et Nagoya profitant d’un croît démographique conséquent. Poursuivant l’analyse avec l’une des mégapoles, Tokyo, l’auteur met en avant les récentes modifications de sa structure interne : après un temps de fuite des zones centrales de la ville, celles-ci sont réoccupées sous le double coup d’une gentrification et d’une densification du bâti comme dans Marunouchi.

Le Japon et le monde :

Cette problématique est abordée sous trois angles, celui de l’histoire, celui des idées et celui de la position actuelle du pays dans le monde. En effet, les différents temps de l’histoire des rapports du Japon avec le monde (semi-repli Tokugawa, ouverture Meiji, seconde guerre mondiale et sphère de co-prospérité…) illustrent les allers-retours entre quatre grands courants de pensée allant de l’occidentalisme, entendu comme une revendication de l’appartenance au monde développé, au repli sur une « nipponité » véhiculée par les nihonjiron à tel point que le Japon reste un pays écartelé entre ces deux écoles de pensée.
Ainsi actuellement :
* Le Japon est l’un des pays qui comptent, la deuxième puissance économique mondiale, aux liens étroits tant avec ses voisins immédiats (Chine) qu’avec le reste du monde.
Dans le même temps, le Japon agace voire fait peur. Il ne s’agit pas là des quelques revendications territoriales à la périphérie de l’archipel qui pose problème mais de son ambition politique (membre permanent du conseil de sécurité) appuyée par un activisme militaire risquant de déboucher sur une nucléarisation du pays. Peur des voisins immédiats d’une telle éventualité, peur accrue par le renouveau nationaliste dont l’épisode des manuels scolaires n’est qu’un des épisodes.
*Les relations avec les Etats-Unis restent fortes mais une partie des élites, souvent inspirées par les idées nipponistes, souhaitent une diplomatie plus indépendante.

D’aucuns, japonais comme non-japonais, considèrent ce pays comme particulier. C’est vrai mais peut-être pas au sens où les uns et les autres l’entendent. A part car il est la résultante d’un formidable paradoxe : ce sont des ruraux et les campagnes qui ont fait du Japon un pays urbanisé, industrialisé et « technologique ». Ce constat est encore valable aujourd’hui.
Ce livre multiplie les exemples venant à l’appui d’une certitude : le Japon bouge, plus que nous ne le pensons ou ne le voyons. Il est aussi en crise, tiraillé qu’il est entre relents nationalistes et globalisation, « réhabilitation du système impérial » et essor d’une démocratie participative, idées nationalistes et occidentalisation. Ainsi le spectre d’une possible montée du militarisme identique à celle des années 20 est repoussé par Philippe Pelletier expliquant sa position par une intégration différente du Japon au monde.

Cet ouvrage représente une bonne synthèse de qu’il faut savoir sur le Japon d’aujourd’hui. De format compact, agrémenté de documents clairs et datant souvent des deux dernières années, la lecture de ce livre sera profitable au public visé de prépas mais aussi à l’enseignant du secondaire qui y trouvera matière à alimenter sa réflexion pour réaliser des cours de troisième et de terminale.

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