Publié annuellement par l’institut des hautes études sur l’Amérique Latine, ce numéro de la revue Études, fait le point sur l’évolution récente du sous continent américain, essentiellement hispanophone si l’on excepte le Brésil. Longtemps soumis à des dictatures militaires les différents pays d’Amérique Latine à l’exception notable de Cuba sont connu en 2006 une maturation démocratique marquée dans certains États significatifs par une poussée de la gauche. Des personnalités comme celles de Hugo Chavez au Venezuela, Lula au Brésil ou encore Evo Morales en Bolivie ont éclipsé un Fidel Castro vivant le crépuscule de sa vie sans que n’émerge dans son entourage, en dehors de son frère Raul aussi âgé que lui, un successeur possible. Cela permet d’envisager, voire d’espérer, une évolution démocratique possible. Divisé en trois parties l’ouvrage traite successivement des processus électoraux qui se sont déroulés en 2006, des mutations sur les deux dernières décennies avant de proposer 20 fiches pays, de l’Argentine au Venezuela.

De novembre 2005 a décembre 2006, 12 élections présidentielles ont eu lieu en Amérique latine, deux présidents se situent à droite, en Colombie et au Mexique, neuf à gauche et un au centre, le hondurien Manuel Zelaya. La particularité de ces électiosn ets qu’elles ancrent clairement le continent dans la démocratie avec une alternance pour la première fois de l’histoire du pays, mais également qu’elles relativisent les différences entre gauche et droite du point de vue des politiques économiques et sociales. Certes Evo Morales et Hugo Chavez ont entrepris des programmes de nationalisations, mais sans véritablement remettre en cause les contrats avec les grandes compagnies. Lorsque l’Etat intervient dans le social, cela se déroule aussi bien au Mexique qu’au Brésil. En fait, au-delà des clivages droite/gauche c’est bien dyu rertour de l’Etat qu’il s’agit, ce qui remet surtout en cause les programmes inspirés par le FMI qui ont eu des effets négatifs au niveau social dans des pays comme l’Argentine. En même temps, ces deux pays ont remboursé de façon anticipée leur dette.
Dans la lutte contre les inégalités qu’une réforme fiscale ambitieuse pourrait atténuer, force est de constater que les pratiques restent encore timides. En fait, cette étape de la réforme fiscale vient après, ce qui est logique, le renforcement de l’efficacité de l’Etat. De fait, les forces de déstabilisation de l’Etat en œuvre dans des pays comme la Colombie ou le Mexique relativise cette évolution. Pour autant, malgré la montée de la pauvreté constatée dans de nombreux pays, les mouvements de guérilla paysanne s’essoufflent voire ont disparu et la démocratie ne semble pas à court terme menacée. Dans la présentation des différentes contributions, Georges Couffignal évoque le populisme qui n’a pas la même signification en Europe et en Amérique du Sud. Dans le premier cas, il s’agit d’un mouvement orienté à droite, voire au-delà, flattant les mauvais instincts du peuple, xénophobie par exemple, dans le second cas on parle plutôt d’une relation de proximité avec la société, avec le peuple. Ce peuple qui est paré de toutes les vertus est invité à participer à l’élaboration de la pratique politique, une forme de démocratie participative en quelque sorte. Évidement, le populisme ne garantit pas forcément ni la démocratie ni la bonne gouvernance. Si le peuple ne peut se tromper, les dirigeants qui parlent en son nom, non plus, on connaît la suite…
Trois pays importants sont traités dans la première partie de l’ouvrage, le Chili, présidé par Michelle Bachelet, Le Brésil, avec le bilan de la première présidence d’Ignacio Da Silva, dit Lula, et la Bolivie avec l’élection pour la première fois de son histoire d’un indio Evo Morales. Ces trois États très différents doivent résoudre des problèmes également différents et les enjeux les concernant sont traités respectivement par Emmanuelle Barozet, François d’Arcy et Jorge Lazarte.
La stabilité politique de la démocratie est assurée au Chili et au Brésil . Les deux leaders bénéficient de l’éclatement de leur opposition, ce qui a assuré la confortable réélection de Lula tandis que dans le domaine économique les grands équilibres ont été respectés. La lute contre l’hyperinflation qui avait appauvri les plus faibles a porté ses fruits, entrainant même dans certains cas une baisse des prix des produits de première nécessité. Pour autant, les retards du Brésil en matière d’infrastructures, la nécessité de maintenir des dépenses sociales importantes pour compenser les inégalités entrainent un creusement des déficits publics. La hausse des cours des matières premières permet toutefois au Brésil de maintenir une croissance à plus de 3% même si elle devrait dans l’idéal atteindre les 5% pour véritablement voir le niveau de vie moyen des brésiliens augmenter.
Dans le domaine de la politique étrangère ces deux États sortent du pré carré latino américain et semblent davantage intéressés par l’ouverture internationale. Michelle Bachelet est en situation délicate avec son voisin, la Bolivie, à la fois fournisseur d’énergie et en même rival continental à propos de la question de l’accès à la mer. De la même façon, Lula cherche à partir du potentiel de son pays dans le domaine des biocarburants à proposer aux européens une alternative aux combustibles fossiles et notamment à leur dépendance à l’égard d’un gaz naturel russe. Dans le même temps, le Brésil ne cache pas ses ambitions d’être le leader de l’intégration latino américaine, s’opposant clairement au projet étasunien de zone de libre échange des Amériques, une extension de l’Alena que les latino-américains en majorité voient plutôt avec réserve à l’exception de certains présidents comme Oscar Arias au Costa Rica
La Bolivie n’est pas dans la même situation que les deux autres pays. Le mouvement au pouvoir n’est pas un parti politique au sens propre, mais une juxtaposition de mouvements sociaux. Le pouvoir du Président se renforce, des mesures fortes sont prises comme le partage des terres mais seulement de celles qui sont totalement inoccupées et des mouvements sociaux se développement dans certaines parties du pays.
De plus, le pays semble connaître un développement du nationalisme ethnique qui a un fort impact sur les croupes indigènes mais qui est à relativiser car 7 boliviens sur 10 se déclarent métis. Pourtant des propositions de découpage territorial sur des bases ethniques avec des répercussions sur les institutions sont également envisagées. Le MAS au pouvoir est en effet la résultante de ce cet indigéno-ethnicisme très particulier.

Dans la seconde partie , Marco Ceballos et Bruno Lautier, passent au crible les politiques sociales, sous l’angle d’un droit à l’assistance émergent. Les États sont en effet confrontés à la nécessité de développer un marché intérieur solvable pour tirer leur croissance qui ne peut plus s’appuyer comme par le passé sur un endettement extérieur massif et la mono exportation de matières premières.
Les deux auteurs examinent les effets des politiques d’assistance d’inspiration libérale dans les années 1990, avec leurs conséquences sociales et les effets du ciblage, c’est-à-dire de la définition de zones et de catégorie de la population bénéficiaires ou non de cette assistance. Les effets sont connu. Clientélisme politique favorisé, effets macroéconomiques limités et tendances à dépasser les limites fixées au départ sous la pression des groupes les plus influents. . les deux auteurs examinent les programmes d’assistance sociale les plus importants. Oportunitades au Mexique, avec le versement des aides aux femmes sous contrôle d’assemblées de femmes, bolsa familia au Brésil, avec versement de revenus de compléments et de produits alimentaires subventionnés, et familias en Argentine dans le cadre d’une politique sous conditions de ressources très ciblée. Les effets semblent rester limités et n’échappent pas, là encore à l’électoralisme.

Olivier Dabene examine les reconfigurations politiques des processus d’intégration régionale à la lumière des élections récentes. Ces processus demeurent en effet sensibles aux engagements des chefs d’états et donc aux calendriers électoraux et dans le même temps se situent à l’ombre des Etats-Unis qui suivent ces épisodes avec une attention bien compréhensible d’autant qu’ils ont une alternative, la ZLEA à proposer. Le Mercosur Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, connaît des difficultés sérieuses liée au déséquilibre entre les gros et les petits membres. La communauté Andine des Nations a perdu le Venezuela mais le Chili semble s’en rapprocher et le groupe envisage d’entretenir des relations plus intenses avec l’Union européenne. Vue de l’autre côté de l’Atlantique, l’Union apparaît comme une alternative espérée à l’alliance obligatoire avec les Etats-Unis. De fait, les pesanteurs géographiques existent et le poids des Etats-Unis, même s’il connaît un déclin relatif, reste important.
Les Etats-Unis, devant les résistances à la ZLEA développent un système d’accords bilatéraux, analogue à celui signé avec la république dominicaine. Pour les Etats-Unis ces aacords permettent d’engager les États signataires à respecter les règles de l’OMC, y compris ce qui touche aux médiacments génériques.
En 2004, le dixième anniversaire de l’ALENA, montre que les bénéfices sociaux escomptés n’ont pas été au rendez vous ce qui permet à Hugo Chavez d’opposer l’ALBA, une nouvelle forme d’intégration à laquelle s’est ralliée Evo Morales, l’alternative bolivienne pour les peuples.

Les autres articles de ces Études, traitent également d’aspects majeurs.

Christian Gros évoque l’ethnicisation de la politique et l’émergence de la demande sociale et politique d’une population de 45 millions d’indigènes que l’on croyait en voie d’assimilation par l’acculturation. Cela se traduit notamment par la légalisation et donc la protection des terres collectives des peuples indigènes. Silvina Cecilia Carrizo et Sébastien Velut traitent des enjeux énergétiques en Amérique du Sud, un sujet évidemment sensible avec un baril de brut qui dépasse les 80 dollars au moment où l’on écrit ses lignes. La prépondérance dans le de domaine des hydrocarbures de deux pays aux gouvernements anti-étasuniens, la Bolivie et le Venezuela est abordée même si pour l’instant les majors ne sont pas menacées. Le Brésil grâce à la production d’éthanol et l’exploitation de ses propres ressources n’est pas loin de l’autosuffisance tandis que d’autres paires de pays réalisent des investissements hydroélectriques communs mais au bénéfice du plus puissant. ( Brésil – Paraguay, Argentine – Uruguay.)
Une interconnexion des réseaux, le développement de gazoducs est également un processus en cours. Chavez envisage de développer à partir de son pays un réseau continental de gazoducs et l’on voit poindre dans cette proposition, pour l’instant pas encore validée les risques d’une diplomatie du gaz analogue à celle qui est pratiquée par Vladimir Poutine avec les pays de l’Union.

Stephan Sberro évoque enfin les relations entre l’Europe et l’Amérique Latine, entre proximité culturelle et relations distantes. De ce point de vue les entreprises françaises etent encore prudentes tandis que les espagnoles ont renforcé leurs implantations en s’appuyant évidemment sur une proximité linguistique. De plus, les latinos américains sont demandeurs de ces liens qu’ils peuvent toutefois envisager comme un instrument de pression dans leurs relations avec le puissant partenaire du Nord. Toutefois, malgré l’euphorie de la fin de la guerre froide qui donnait à l’Europe une véritable fenêtre d’investissements et de renforcement de présence, les échanges restent encore marginaux même si l’on pourrait envisager, entre le Mercosur et l’Union européenne un partenariat stratégique.