Toujours présentée sur le site des Clionautes, cette dernière livraison de la revue Questions internationales est cette fois-ci consacrée au Japon.

Ce pays qui était considéré il y a moins de vingt ans comme la nouvelle grande puissance, capable de rivaliser avec les Etats-Unis, voire de les dominer sur le plan militaire, a été frappé successivement par l’Endaka, la revalorisation du Yen par rapport au dollar, l’implosion de la bulle spéculative, la crise asiatique et pour faire bonne mesure par quelques scandales politiques retentissants.
De quoi douter de la puissance de cette économie japonaise surtout lorsque Renault a racheté Nissan, un des fleurons de l’automobile nipponne.
On parlait alors de récession au Japon, de croissance molle et autres visions bien pessimistes. Pourtant, depuis au moins quatre ans, la croissance japonaise est largement supérieure à celle de la zone Euro. Toutefois, l’effondrement du dollar qui dope les exportations étasuniennes, affaiblit le commerce extérieur japonais, au même titre que celui de l’Union européenne dans son ensemble. Toutefois, le Japon semble s’être fait oublier, sans doute masqué par l’Empire du Milieu qui fait de l’ombre à celui du Soleil Levant. Il est vrai que l’insolente croissance économique de la Chine, ses excédents commerciaux, ses colossales réserves de change, ses achats massifs de bons du trésor américain ont fait oublier que c’était le japon qui était, il y a moins de vingt ans, le créancier vertueux d’une Amérique vivant à crédit.
Pourtant, le Japon n’était pas exempt de faiblesses. Sa dépendance en matières premières et énergétiques, son atonie démographique, l’absence de renouvèlement de son personnel politique, l’ont peut-être conduit dans une fuite en avant, celle que Christian Sautter, dans les « dents du tigre » appelait alors, « l’excellence marchande », source selon lui de scénario conflictuels à terme. Jacques Attali à la même époque ne pensait pas différemment et voyait se dessiner par le commerce une nouvelle sphère de coprospérité asiatique, analogue à celle que le Japon avait essayait d’inscrire par les armes après la guerre sino japonaise en 1937 et la guerre du Pacifique en 1941.

Les différents articles rédigés dans ce numéro 30 sont comme d’habitude d’excellentes synthèses permettant de disposer des informations les plus récentes sur le sujet.

L’article de Jean-Marie Bouissou, comme il est de règle dans cette revue présente une histoire du Japon, assortie d’une chronologie internationale. On s’apercevra en effet que le Japon s’est ouvert à l’occident pendant un petit quart de siècle avant de se refermer pendant près de 250 ans. En réalité, une certaine ouverture était possible et le gouvernement des shoguns exerçait aussi une veille technologique par l’intermédiaire des marchands hollandais, coréens et chinois, seuls autorisés à commercer avec le Japon.

Le Japon s’engage après 1853 dans l’Ère Meiji qui met fin à l’Ère d’Edo. Cette industrialisation à marche forcée qui ne parvient pas à compenser la pression démographique est à l’origine de l’engrenage infernal qui conduit le Japon à chercher par la force les marchés que la crise de 1929 lui avait brutalement fermés.

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, le Japon irradié, le Japon occupé, le Japon démilitarisé mais le Japon démocratisé j’ai du mal à m’en empêcher ! conserve son Empereur et passe assez vite sur les crimes de guerre et l’épuration. En 1957, Nobusuke Kishi, emprisonné comme criminel de guerre devient premier ministre. L’ennemi d’hier devient l’allié de circonstance face à la Chine Rouge, la base de départ pour les interventions étasuniennes en Corée et le Vietnam et même le porte avion insubmersible pendant la guerre fraîche.

Les structures économiques, les Zaïbatsu, ces cartels inspirés des Konzern allemands sont certes démantelés mais se reconstituent sous le nom de Keiretsu ou de Zaikaï. L’Empereur Hiro Hito continue à régner et se trouve dédouané de tous les crimes commis en son nom pendant la seconde guerre mondiale. L’anticommunisme qui préside à la vie politique japonaise sous la houlette des États-Unis plombe la vie politique et empêche toute véritable alternance. Le Parti Libéral Démocrate exerce toujours le pouvoir sauf pendant 10 mois entre 1993 et 1994.

Parmi les informations peu connues que l’on peut trouver dans ce numéro l’encadré consacré à l’Institution impériale nous apprend que « pas plus que Royaume de France ne saurait tomber en quenouille », « Empire du soleil levant ne pourrait porter l’Obi » et que la règle e primogéniture mâle s’applique. Le problème a été posé lors de la naissance des petites filles de l’Empereur actuel, Akihito, monté sur le trône en 1989. Depuis 2006, un héritier mâle est né dans la maison du Prince Akishino. La loi des mâles est sauve ! Jusqu’où le machisme va-t-il se nicher !

L’article de Robert Calvet, historien et spécialiste du Japon, présente le passage de l’occidentalisation du Japon à la japonisation de l’Occident. Le pays s’est ouvert avec Meiji aux influences occidentales, mais le processus certes contrôlé avait commencé avant les vaisseaux noirs du Commodore Perry en 1853. L’Ère Meiji est marquée par une soif de connaissance des cultures occidentales et même par un apprentissage des langues des « longs nez ». Mais c’est la seconde guerre mondiale et l’américanisation plus que l’occidentalisation qui va transformer le Japon. Le Base Ball introduit en 1873 est sans doute devenu plus populaire que les arts martiaux traditionnels même si le Sumo est encore largement suivi à la télévision. L’alimentation change et même la chirurgie esthétique commence à débrider les yeux des japonaises. Par contre à partir des années quatre vingt, les valeurs japonaises se diffusent en occident. Les mangas, les jeux vidéos, les dessins animés pénètrent l’occident tout comme les arts martiaux traditionnels, Aikido et Kendo, la calligraphie, et même les sushis, de plus en plus courants à Paris et réalisés par des restaurateurs chinois, deviennent courants. De ce point de vue, la culture japonaise a pénétré l’Asie orientale, même dans des pays qui ont eu à souffrir du Japon impérialiste comme la Corée. La Chine reste quand même assez rétive et n’hésite pas à brandir quelques contentieux historiques y compris en 2007 pour la commémoration des massacres de Nankin.

Présentée par Éric Seizelet, spécialiste des institutions politiques du Japon contemporain, la vie politique japonaise est surprenante. La réforme constitutionnelle sans un pays qui n’a connu que deux constitutions en 118 ans, est examinée de près par ses voisins, car le Japon est en train de redevenir une puissance « normale », dotée de tous les attributs de la puissance, y compris militaire. Faut-il ou non supprimer l’article 9 de la constitution qui interdit au pays de faire la guerre ? Faut-il transformer les forces d’autodéfense en armée traditionnelle ? Un ministère de la défense a été instauré en 2007 d’ailleurs et pour certains milieux nationalistes du PLD, même le tabou du nucléaire militaire pourrait être levé…

On appréciera aussi, à la suite de cet article, l’encadré très précis sur les Yakuza, la Mafia Japonaise qui est assez différente des mafias traditionnelles d’Italie ou de Chine et qui sont depuis longtemps insérées dans la mondialisation. Les Yakusas n’ont pas souvent cherché une ouverture à l’étranger et ont été pendant longtemps, au moins jusqu’en 1990 des supplétifs des milieux d’affaires avec des liens troubles avec le personnel politique du PLD. C’est d’ailleurs lorsque l’État japonais commence en 1992 à réprimer les activités des gangs sous la pression de l’opinion que les Yakuza cherchent une ouverture à l’étranger comme en Corée du Sud et aux États-Unis. Depuis 2007, les gangs sont de plus en plus violents et les deux principaux clans auraient tendance à s’affronter.

Économistes, sociologues et géographes trouveront leur bonheur dans les articles de Évelyne Dourille-Feer et de Philippe Pelletier. Le premier article rappelle opportunément que l’envol du dragon chinois n’a pas encore éclipsé loin s’en faut la seconde puissance économique mondiale. Des années cinquante à 1990, le Japon a su s’imposer dans les sphères industrielles, commerciales et financières, recyclant les profits générés dans la conquête des marchés à l’exportation. La « drôle de crise » de 1992 à 2002 se caractérise par série de chocs conjoncturels à répétition, tandis que les institutions financières sont assainies grâce à des injections massives de fonds publics, de quoi démoraliser les tenants du libéralisme. En fait, les japonais ont réalisé dix ans plus tôt, ce que les Etats-Unis sont tenus de mettre en œuvre actuellement en favorisant des rachats d’institutions financières et en intervenant massivement sur les taux d’intérêts pour soutenir la croissance !
Depuis 2002 la situation semble se rétablir même si la démographie atone, le vieillissement de la population constitue un défi redoutable à relever pour une économie qui profite quand même de la montée en puissance des pays émergents, notamment les BRIC.

Philippe Pelletier évoque pour sa part, en appuyant ses réflexions sur un appareil cartographique adapté, les phénomènes liés aux évolutions de la société japonaise. La fin de la classe moyenne hégémonique est ainsi mentionnée avec des signes forts de creusement des inégalités. Par ailleurs, l’homogénéité ethnique du japon est là aussi en cours de mutation et des questionnements identitaires notamment dans les relations avec la Corée se font jour.

Les articles de Karoline Postel Vinay, de Valérie Niquet et de Céline Pajon reviennent par contre largement sur la politique étrangère du Japon et sur ses tentatives d’affirmation mondiale, avec le siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, et régionale face à une Chine qui connait un litige territorial avec l’Empire du soleil Levant à propos des îles Senkaku pour reprendre l’appellation nipponne.

© Clionautes Bruno Modica