Thomas Gomart, auteur du remarqué « L’affolement du monde », prix du livre géopolitique 2019, propose dans son nouveau livre une analyse des prochains défis géopolitiques de notre planète.
Un état des lieux
Organisé en huit chapitres, son essai pose d’abord quelques constats : les contraintes environnementales sont devenues le cadre de tout effort d’anticipation. « Le système international repose sur un emboitement complexe de souverainetés et de juridictions ». Enfin, le système actuel se distingue du temps de la guerre froide par sa grande fluidité. Il note néanmoins le poids de la rivalité sino-américaine comme structurante.
Une méthode
Thierry Gomart insiste d’abord sur la nécessité du regard rétrospectif et, comme dans son précédent ouvrage, il souligne qu’il est indispensable d’essayer de prévoir à court, moyen et long terme. Son livre est construit autour de deux parties, le « visible et l’invisible », comme s’il abordait d’abord les éléments émergés de la scène internationale puis « leurs ressorts souterrains ». Chaque chapitre commence par un document iconographique, souvent une carte, et se termine en mettant l’accent sur les intentions de la Chine, des Etats-Unis et de l’Union européenne.
Conflits
L’auteur s’appuie d’abord sur les travaux de Qiao Liang et Wang Xiangsui pour répertorier les vingt-quatre types de guerres possibles. Cela lui donne un cadre pour examiner la rivalité sino-américaine. On peut noter la différence d’importance accordée aux alliances militaires selon ces deux pays. Alors que les Etats-Unis les voient comme un appui, Pékin s’en méfie. En terme d’espace, la zone indo-pacifique est à surveiller dans les années à venir. Thomas Gomart passe ensuite en revue ce qu’il appelle les « perturbateurs stratégiques » comme la Russie ou la Turquie.
Environnement
La Chine et les Etats-Unis produisent à eux deux 45 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. On peut aussi garder en tête qu’un Qatarien émet 490 fois plus de tonnes de CO2 qu’un Ethiopien. Thomas Gomart énonce plusieurs chiffres qui permettent de comprendre le poids incontournable de la question environnementale. On peut aussi garder en tête que moins de 200 espèces sont aujourd’hui cultivées ou encore que 9 % d’entre elles représentent 66 % de la production agricole. Aujourd’hui, seuls 9 % des déchets de plastique sont recyclés. L’auteur insiste ensuite sur les politiques énergétiques des Etats-Unis et de la Chine. Ces deux économies restent fondamentalement extractives et organisées autour du contrôle des matières premières. Pour demain, trois aspects sont à retenir : l’accès à l’énergie, les crises provoquées par des ruptures d’approvisionnement et comment poursuivre le développement économique dans un monde fini du point de vue des ressources naturelles ?
Commerce
Fidèle à ses principes, Thomas Gomart donne d’abord quelques repères historiques. Ensuite, il montre que le commerce international est devenu un enjeu électoral aux Etats-Unis et en Chine. Pour ce dernier pays, sous Xi Jinping, on peut considérer que la « Chine est ouvertement libre-échangiste et secrètement protectionniste. » Sait-on qu’aujourd’hui, deux tiers des voies ferroviaires à grande vitesse dans le monde se trouvent en Chine ? Il faut aussi se souvenir que la fin de la guerre froide a ouvert une période de « stabilité relative avec la domination américaine et l’ouverture de la Chine. »
Inégalités
Entre Hong-Kong et la Sierra Leone, la différence d’espérance de vie est de trente-deux ans. Comme pour les autres entrées, l’auteur pointe les fondamentaux à connaitre : un tiers de la population mondiale est constitué par la Chine et l’Inde. Si on ajoute le Pakistan, le Bangladesh, l’Indonésie et le Japon, on atteint presque la moitié de la population mondiale. Aujourd’hui, la population africaine représente 17 % de la population mondiale : ce sera 40 % en 2100. Par ailleurs, le nombre de plus de 65 ans en Chine va passer de 135 millions en 2015 à 325 millions d’ici une vingtaine d’années. Thomas Gomart rappelle également que la migration dans le monde reste essentiellement régionale.
Numériser
A partir de ce chapitre, on entre dans la partie « Invisible » telle que définie par l’auteur en introduction. Actuellement, les sept majors du numérique représentent plus de trois fois la valeur des six premières compagnies pétrolières. Entre 2005 et 2016, le flux de données a été multiplié par 80. L’auteur souligne plusieurs usages de l’intelligence artificielle, mais il note aussi qu’elle a besoin de composants et de semi-conducteurs dont la production est aujourd’hui largement dominée par les Etats-Unis. L’ascension de la Chine est réelle dans le domaine du numérique comme le prouve l’exemple de Tecent. Les attaques informatiques constituent par ailleurs un défi essentiel pour demain.
Innover
Thomas Gomart constate qu’en France « l’Etat providence a pris le pas sur l’Etat régalien ». Il dresse ensuite le portrait des ruptures stratégiques à l’horizon 2030 en évoquant les armes spatiales, le cryptographie ou encore les robots et systèmes autonomes. Il faut mesurer que les plateformes numériques et les outils technologiques « sont en passe de devenir la colonne vertébrale des outils de défense et de sécurité ». En 2018, la Chine a réalisé 39 lancements, les Etats-Unis 34 et l’Europe 11.
Dissimuler
L’auteur pointe les marchés dans lesquels se développent les activités illégales comme la contrefaçon ou le trafic d’armes. De nouvelles pratiques apparaissent comme les crypto-monnaies. Par ailleurs, il faut six mois à un spécialiste de l’Autorité des marchés financiers pour analyser cinq minutes d’ordres boursiers !
Contrôler
Les mécanismes de la crise de 2008 sont décrits : excès généralisé d’endettement privé et public, laxisme de gestion d’institutions financières privées et sophistication technologique permettant l’invention de produits financiers. Actuellement, l’axe central de la finance mondiale est américano-européen. Thomas Gomart revient ensuite sur le poids des multinationales : entre 2009 et 2019 le poids des multinationales des Etats-Unis est passé de 45 à 63 % de la capitalisation mondiale. Le dollar, mais aussi l’arme juridique, sont autant d’outils à disposition des Etats-Unis dans ce domaine.
Et la France dans tout cela ?
L’épilogue est consacré à la France. Depuis 1963, la France a conduit 120 opérations extérieures sur 17 théâtres différents. Thomas Gomart s’interroge sur la priorisation de certains sujets en France : « nous préférons parler de notre modèle social plutôt que de comprendre les mécanismes d’un capitalisme de plateforme, qui sont devenus les interfaces de la rivalité sino-américaine. » Il dresse trois options possibles pour la France en matière stratégique : une stratégie de présence et de souveraineté dans le monde à partir de ses points d’appui et de son domaine maritime. La deuxième option consisterait à privilégier la sécurité européenne ou alors, dernier choix, de ramener sa stratégie internationale à sa seule lutte contre le djihadisme. Il faut aussi retenir que la technologie et l’environnement ne peuvent se penser l’une sans l’autre.
L’ouvrage de Thomas Gomart dresse donc à la fois un état des lieux précis et dessine des perspectives sur les défis de demain. Très pédagogique, l’essai permet de bien saisir les lignes de force du monde à venir. Un ouvrage qui se révèlera particulièrement utile dans le cadre de la spécialité HGGSP.
Pour en découvrir un extrait : https://www.edenlivres.fr/o/165/p/9791021046887?f=pdf
Jean-Pierre Costille