Cet ouvrage est une anthologie des dialogues qui ont eu lieu le 25 novembre 2006 sous dans le cadre des « dialogues pour le XXIème siècle » organisés par l’UNESCO. Ils ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de l’UNESCO sur ces questions mais par ces rencontres, l’UNESCO souhaite alimenter les débats.

Encore un ouvrage sur le développement durable, me direz-vous !!!
Oui, mais un ouvrage qui ne ressasse pas le discours déjà mille fois entendu, ou lorsqu’il le fait, l’aborde sous un angle quelque peu différent. En effet, comme de nombreux ouvrages publiés à l’UNESCO, cet ouvrage est une compilation d’articles écrits par des auteurs d’origine culturelle et nationale différente. Cette compilation est cohérente et complémentaire, chacun ayant manifestement lu et pris en compte les écris des autres auteurs dans son intervention. Chacun d’entre eux est une sommité mondiale dans son domaine, et une sommité qui sait rédiger dans une langage compréhensible par des non spécialistes.
Nous lisons ainsi dans l’ordre :
– Dennis Meadows (LE Meadows qui dirigea le rapport de 1973 sur les limites de la croissance) ;
– Dominique Voynet (France, médecin, cofondatrice des « Verts ») ;
– Mostafa K. Tolba (Égypte, microbiologiste, ancien directeur du PNUE) ;
– Asit K. Biswas (Canada, membre de la commission mondiale de l’eau) ;
– Syukuro Manabe (États-Unis, climatologue) ;
– Jean Margat (France, hydrogéologue) ;
– Michel Loreau (Pays-Bas, écologue biodiversité) ;
– Edward O. Wilson (Royaume-Uni, Biologiste et entomologiste, inventeur de la sociobiologie) ;
– Jérôme Bindé (France, Directeur du bureau de la prospective à l’UNESCO) ;
– Mathis Wackernagel (Canada, co-inventeur de l’ « empreinte écologique ») ;
– Haroldo Mattos de Lemos (Brésil, professeur de technologie environnementale) ;
– Nicolas Hulot (France, journaliste de l’environnement) ;
– Paul J. Crutzen (Pays-Bas, Suède et États-Unis, chimiste du climat) ;
– Souleymane Bachir Diagne (Sénégal et États-Unis, philosophe) ;
– Michel Serres (France, philosophe et académicien) ;

Cette liste traduit la diversité des regards qui vont caractériser cet ouvrage, et qui en font sa grande richesse. Pour donner de la cohérence, les articles sont regroupés dans 5 thèmes : « La croissance a-t-elle des limites ? Population, ressources, énergie et développement. » « De l’eau pour tous ? » « La biodiversité en danger. » « Économiser la planète : consommer moins pour vivre mieux ? » « Une nouvelle éthique de la responsabilité : vers un contrat naturel ? ». Il arrive souvent que sur certaines questions, ou sur certaines propositions, le lecteur reste un peu sur sa faim, il convient donc de concevoir cet ouvrage plutôt comme une introduction à ces questions, un activateur de curiosité, un apéritif cogitatif. Les bibliographies qui closent chaque chapitre permettent alors d’aller se substanter auprès d’ouvrages ou d’articles de fond.

On pourrait résumer les grandes idées qu’il contient comme suit.
L’homme a considérablement altéré son milieu, des altérations tellement profondes que selon Paul J Crutzen, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, l’anthropocène. Par les pollutions ou une exploitation inconsidérée des ressources, l’homme met en péril la biodiversité terrestre (Edwar O. Wilson ) ou marine (Jérôme Bindé) ce qui présente des risques importants, cette biodiversité étant une sorte « d’assurance vie » pour l’humanité (Michel Moreau). En déstabilisant le climat, il conduit à provoquer des crises de l’eau, qui affecteront surtout les pays en développement hypothéquant leur développement et allant à l’encontre de la lutte contre la pauvreté (Syukuro Manabe, Jean Margat). En surexploitant les ressources, il hypothèque son avenir et en premier lieu celui des sociétés encore fragiles (Dennis Meadows). Ces dernières décennies, l’homme a développé une dette écologique qui atteint des niveaux préoccupants (Dominique Voynet, Mathis Wackernagel)
Pour de nombreux auteurs le problème est avant tout une question de mauvaise gestion (Dominique Voynet, Asis K. Biswas, Jean Margat), d’une absence de gouvernance adaptée (Jérôme Bindé, Soulaymane Bachir Diagne). D’autres auteurs ont une entrée plus technique: Mathis Wackernagel défend la nécessité de disposer de données fiables plus importantes pour permettre une meilleure gouvernance, Dennis Meadows le rejoint lorsqu’il parle de la nécessité de disposer d’outils de pilotages plus fins, Haroldo Mathos de Lemo défend l’idée d’une réduction de la consommation superflue, Mostafa K. Tolba prône une dématérialisation plus poussée. Dans la plupart des textes on retrouve, explicitement ou implicitement, une remise en cause du système actuel de valeurs basé sur la concurrence et la course au profit à court terme. Les solutions sont connues, mais difficiles à mettre en œuvre dans le monde tel qu’il est car il faut gérer les tensions, dans les individus et les organisations, entre la volonté de faire changer les choses et la remise en cause des habitudes et des principes que cela implique (Dominique Voynet). Il convient donc de faire évoluer ce système de valeurs en pensant autrement (Soulaymane Bachir Diagne), en développant différentes formes de solidarités (Nicolas Hulot), en abordant la Terre comme un système global (Soulaymane Bachir Diagne). L’humanité, via des organisations internationales et non des états qui se préoccupent trop de leurs intérêts propres, passerait un contrat naturel (Michel Serres) visant à préserver ce système global. L’éducation, et en particulier l’éducation des jeunes, est une de clés majeures de ces évolutions (Javier Perez de Cuelhar, Koïchira Matsuura).

Même s’ils sont de qualité un peu inégale, les articles sont clairs et proposent des pistes auxquelles chacun adhèrera plus ou moins. Certaines démonstrations sont moins convaincantes que d’autres, pas obligatoirement pour des questions de pertinence — quoi que j’ai personnellement du mal à suivre Asis K. Biswas lorsqu’il affirme que selon lui, il n’y a pas et il n’y aura pas de guerre de l’eau — mais plutôt de format : il n’est pas toujours aisé de présenter une démonstration appréhendables par des personnes de culture différente en quelques lignes.

Pour le professeur du secondaire, cet ouvrage est donc un excellent moyen de nourrir sa réflexion sur le développement durable en lui ouvrant de nouveaux horizons et en faisant parfois des découvertes stimulantes (l’eau « virtuelle »). Il se trouvera en terrain connu sur le fond, mais avec des éclairages différents qui pourront lui apporter des pistes sur la façon d’aborder la question du DD dans ses cours, et sortir des approches exclusivement environnementalistes qui prédominent encore trop souvent. Cet ouvrage est aussi une invitation à approfondir, en particulier sur les questions d’éthique, qu’un autre ouvrage de l’UNESCO aborde de façon nettement plus approfondie (« Éthique de l’environnement et politique internationale » sous la direction de Henk A. M. J. ten Have, UNESCO, 2007).

Copyright Clionautes