Comment le numérique modifie-t-il les rapports entre les nations et de quel poids pèse-t-il sur les sociétés ? Voici le fil rouge de cet ouvrage de Stéphane Grumbach.  Ce dernier, directeur de recherche à l’Institut national en sciences et technologies du numérique, enseigne également à Sciences Po Paris. Il participe au projet Géopolitique de la Datasphère de l’Institut français de géopolitique. 

Les technologies de l’information permettent de répondre à deux défis : augmenter l’efficacité et la fiabilité des processus impliquant un volume d’informations important et permettre l’interaction avec des systèmes complexes. Le premier défi est quantitatif, là où le second est qualitatif. Dans l’introduction, l’auteur présente brièvement l’objet de chaque chapitre à venir.

La singularité du monde

Le premier point à considérer est la complexification du monde. Deux phénomènes ont lieu de façon simultanée : la progressive prise de conscience de la fragilité de notre environnement et la révolution numérique qui bouleverse l’organisation des sociétés. Les activités humaines sont devenues une force géologique prédominante. « La prise en compte de l’ensemble des interactions avec l’environnement global pour toutes les activités humaines complexifie de manière importante les processus de décision et de déploiement ». 

L’appropriation de la datasphère

L’auteur définit ce qu’est la datasphère en la mettant en perspective par rapport à des notions comme noosphère ou cyberespace. La datasphère, c’est l’espace dans lequel se déploient les phénomènes intangibles d’échange d’informations. En 2013, les deux tiers des données étaient produites par des personnes et la majorité de ces données étaient sous le contrôle d’entreprises. Ce n’est que récemment qu’on a pu exploiter la datasphère mais ce changement est essentiel. 

Le triomphe des algorithmes

Stéphane Grumbach relève d’abord que le terme d’algorithme est passé dans le langage courant. Au début des années 70, un circuit intégré comptait quelques milliers de transistors alors qu’on en compte des milliards quarante ans plus tard. L’intelligence artificielle du point de vue de l’informatique n’est qu’une branche de l’algorithmique. 

Les plateformes d’intermédiation

Les réseaux de l’ère numérique conservent la trace de l’ensemble des interactions. Cela permet, par exemple, de recommander des produits à la lumière de ce qu’un client a déjà acheté. « La séparation entre les activités de mise en relation et la réalisation des services dans le monde physique constituent l’un des aspects les plus fondamentaux de la transformation sociétale en cours ». De profonds changement sont en cours et l’auteur souligne qu’il est difficile d’appréhender la datasphère qui est un monde de flux là où, jusque là, on pensait territoires. C’est un modèle économique nouveau car la première richesse d’une plateforme est immatérielle. Volkswagen a cent fois plus d’employés pour cent fois moins de clients que Facebook. Cela s’explique par le fait que de nombreuses activités sont externalisées par les plateformes. L’auteur souligne que celles-ci sont capables de mesurer la pertinence de leurs actions en temps réel au moyen de mécanismes qui seraient impossibles à mettre en oeuvre dans le monde physique. Pendant longtemps, la confiance a été assurée de façon verticale alors que désormais elle l’est de façon horizontale à travers l’ensemble des utilisateurs qui certifient la validité ou non de telle ou telle plateforme. 

Le plongement du monde dans le cyberespace

Ce chapitre évoque tout d’abord l’importance des câbles. L’Egypte est un point sensible car passe ici l’essentiel des échanges numériques entre l’Asie et l’Europe. Il parle ensuite des centres de données qui sont de véritables monstres énergétiques. C’est en tout cas une modification profonde à laquelle on assiste car on estime que le traitement des données pourrait rapporter plus que la vente des équipements eux-mêmes. 

La production du savoir et de la vérité

Stéphane Grumbach revient ensuite sur la transformation du quatrième pouvoir. Créé en 1851, le New York Times a connu vers 2010 sa plus grande révolution. La publicité représente 54 % du chiffre d’affaires en 2015 contre 23 % quinze ans plus tôt. La stratégie est de proposer du contenu de grande qualité avec un modèle payant en ligne. Les évolutions technologiques, scientifiques et politiques ont conduit à plusieurs époques différentes à un effondrement des institutions académiques. 

Pouvoir, souveraineté et légitimité

Le numérique a aussi des conséquences politiques. Il relève de la compétence des Affaires étrangères mais il « en redéfinit les contours ». Les compétences des géants du numérique sont beaucoup plus étendues que celles des multinationales. Des questions se posent comme celle du droit à l’oubli avec des logiques bien différentes selon les acteurs. On voit apparaitre l’idée d’ « état plateforme », comme l’Estonie, qui est le pays le plus avancé en terme de projection dans le monde du numérique. Ailleurs, certains imaginent des gouvernements plateformes capables d’apporter des services au plus près des besoins. On aboutit donc à la question de la cybersécurité. 

La gouvernance de l’écosystème

Le paradoxe de Jevons montre que l’amélioration technologique ne conduit pas nécessairement à une économie de ressources qui résulterait d’une plus grande efficacité. En effet, les progrès technologiques peuvent entrainer une croissance de la consommation des ressources. L’auteur retrace ensuite les étapes qui ont mené à la conscience de l’unicité du monde, mais il a fallu du temps, par exemple, pour que l’ONU mette en place un cadre qui favorise la mise en commun des connaissances. 

En conclusion, Stéphane Grumbach revient sur la contemporanéité de la révolution numérique et de l’évolution de l’environnement global. Les deux sont des manifestations de la grande accélération à l’oeuvre depuis le milieu du XX ème siècle. « Le numérique a radicalement changé notre capacité de produire de la connaissance …non pas seulement pour notre prospérité mais pour la préservation même de nos conditions d’existence ». On assiste aussi à une redéfinition des relations entre nature, humains et machines. 

Pour découvrir un extrait de ce livre.