Le jour des barbares – Andrinople, neuf août 378

cet ouvrage qui parut initialement en Italie en 2005 et dont la première édition français date de 2006 est réédité dans une édition de poche cette année. Ce petit livre que l’auteur de ces lignes a pu lire dans son édition originale, est écrit avec une verve particulièrement les antes. Alessandro Barbéro associe avec un égal bonheur le style du romancier et la rigueur de l’historien. Les historiens transalpins qui ont été beaucoup moins marqués que nous par l’école des annales n’hésitent pas d’ailleurs à rédiger des description très précise des personnages qu’il mettent en scène et des événements.

Cet ouvrage intitulé le jour des barbares est consacré à cette bataille d’andrinople qui a eu lieu le neuf aout 378 et qui marque véritablement un tournant dans la désagrégation de l’empire romain d’Occident. La première partie de l’ouvrage est consacrée à une présentation de la situation de l’empire romain au IVe siècle qui tord le cou à cette vision un petit peu trop schématique d’un Bas-Empire en profonde décadence. Le terme même de Bas-Empire étant lui-même assez péjoratif, et la plupart des travaux depuis plus de 30 ans montrent que les difficultés majeures de l’empire romain ont eu lieu plus tôt au siècle précédent, et la plupart des travaux archéologiques montrent au contraire une sorte de renaissance, notamment au niveau économique sur les marges de l’empire.

Un Bas empire qui tient la route

Il n’en reste pas moins que l’empire romain doit en permanence veiller à la sécurité sur ses frontières. On s’est bien entendu que le limes n’est pas une barrière infranchissable et une immigration permanente des peuples barbares vers l’empire s’y déroule. Ces barbares apportent d’ailleurs une force de travail d’un intérêt non négligeable et occupe une place de plus en plus importante dans les effectifs des armées. Il se romanisent dans la plupart des cas, et même pour les peuples nomades, bédouins et berbères par exemple, une collaboration existe. Le seul empire rival de l’empire romain, en grande partie hellénisé est l’empire perse, appelé également sassanide. Mais les perses ne souhaitent pas s’installer dans l’empire romain, ils espèrent simplement s’assurer le contrôle du partie orientale de l’empire, dans cette zone stratégique constituée par le croissant fertile délimité par le tigre et l’Euphrate.
Sur les frontières du Rhin et du Danube, ce sont les adversaires traditionnels de l’empire qui se sont amassés, dans ces sombres forêts, les tribus germaniques. Les Romains redoutent ses guerriers redoutables depuis la défaite de Quintilius Varus dans la forêt de Teutobourg à l’époque d’Auguste, mais ils ont appris à composer avec eux en les intégrant dans l’armée.
La frontière du Danube et surtout les territoires qui se trouvent au-delà du grand fleuve est beaucoup moins bien connue. Forcément, les Romains redoutent ces peuples nomades mal connus, en dehors des Goths et des Sarmates.

Des Barbares bien utiles…

La thèse de l’auteur à propos de l’attitude des romains du IVe siècle l’égard des barbares est assez claire : si les barbares doivent être châtiés souvent, il n’en constitue pas moins une main-d’œuvre abondante et bon marché, exactement ce dont a besoin l’empire qui pour se défendre doit entretenir une gigantesque armée. L’empire romain est déjà en soi un empire multi-ethnique et l’administration impériale parfaitement à même d’absorber une immigration massive sans être pour autant déstabilisé.
Sur le champ de bataille d’andrinople les Romains trouvent en face d’eux un peuple considéré comme germanique, les Goths. Mais les Romains ne considéraient pas comme tel, il voyait le peuple goth comme un peuple de cavaliers nomades, venus des steppes, qui vivait aux marges de l’empire depuis plusieurs siècles. Lors des guerres contre l’empire perse, les Goths fournissent aux légions romaines leur contingent de mercenaires. De multiples traités sont signés et associent les chefs locaux à la défense de l’empire.
La familiarité des Goths et des romains avaient également comme conséquence la christianisation de ces barbares. Au passage, avec l’institution par Constantin de relations régulières avec les Goths, certains d’entre eux qui ont été éduqués dans l’empire introduisent dans leur peuple le christianisme mais dans sa version arienne. On apprécie dans cet ouvrage les mots très simples utilisés par l’auteur pour expliquer le problème complexe de cette querelle sur la Trinité qui a opposé deux grands courants du christianisme pendant tout le quatrième et le cinquième siècle. Certes le concile de Nicée en 325 a jeté les bases du christianisme catholique, Le terme exact serait opposition entre
ariens et nicéens (pour éviter de dire entre ariens et « orthodoxes »
dans le sens que ce dernier terme avait à cette époque-là).
Le christianisme « catholique » (dans le sens que nous lui donnons
aujourd’hui, i.e. l’Eglise catholique) est le produit du processus
d’opposition entre la papauté et l’autorité impériale romaine d’Orient
entre le 9e et le 12e s. et qui aboutit à l’opposition entre
« catholiques » (occidentaux) et « orthodoxes » (orientaux). Dans leurs
appellations exactes tous les deux se disent à la fois orthodoxe ( =
ayant adopté la doctrine trinitaire des 7 conciles oecuméniques) et
catholique (= ayant vocation d’être la seule église – face aux églises
hérétiques). Une précision de T. Anastassiadis
universel, dont le credo subsiste encore dans le rituel de la messe, mais en Europe orientale l’église arienne reste très active.

Querelles successorales

Alors comment en est-on arrivé à cette bataille d’Andrinople qui semble avoir joué un rôle majeur dans la chute de l’empire romain d’Occident ?
En l’an 364, l’armée proclame à la tête de l’empire un de ses généraux, Valentinien. Ce dernier s’associe un co-empereur pour l’empire d’Orient, son frère Valens. D’après l’auteur, si le premier est un fin politique et en même temps un général énergique et un grand organisateur, le frère cadet manque singulièrement de charisme et d’autorité. Valens est un adepte de l’arianisme, qui persécute les catholiques et se retrouve confronté à l’opposition de certains de ses généraux, dont Procope qui contrôlait Constantinople et qui était rattaché à la famille de Constantin. Victorieux de son adversaire, l’empereur Valens s’engage dans une expédition de représailles contre les Goths qui ne reconnaissaient pas son autorité en pratiquant une sorte de politique de la terre brûlée. Les Goths finissent par se soumettre mais seulement en apparence. Elle est le quatrième chapitre présente la situation de l’an 376 comme celle d’une urgence humanitaire. Des rumeurs circulent à propos de mouvements de population sur les frontières des Balkans et le long du Danube avec des barbares du Nord qui se serait mis en mouvement. Ce sont les Huns qui commencent à se manifester, cette population de nomades qui, contrairement aux Goths, ne s’est en aucune façon sédentarisée.
Cet ennemi mobile, qui se déplace à grande vitesse, fait régner la terreur sur les terres des Goths. Les populations terrorisées se mettent en marche vers le sud, sur les limites de l’empire d’Orient. La question qui est donc posée à l’administration impériale est bien celle d’une catastrophe humanitaire, avec la gestion d’un flot de réfugiés, mais de réfugiés en armes, qui fait pression sur les limites de l’empire.
L’empereur Valens, qui est confronté à la même époque à la succession difficile de son frère Valentinien, dont le trône d’Occident a été confié à ses deux fils, Gratien et Valentinien II, envisage d’intégrer un nombre significatif de Goths dans son armée afin de se prémunir de toute tentation de la part de ses neveux. Le déplacement de cette masse de population qui se trouve sur les rives du Danube et que l’on essaie de transférer tant bien que mal à travers la trace se déroule dans des conditions épouvantables. Rien n’était véritablement prévu pour les accueillir et à la suite d’une véritable forfaiture de la part de Lupicinus administrateur de la province de Thrace, qui fait massacrer leurs chefs lors d’un banquet de fraternisation, les Goths finissent par se révolter alors qu’ils sont au cœur de l’empire d’Orient à quelques centaines de kilomètres de Constantinople.

La défaite romaine

La première tentative du gouverneur de la Thrace d’écraser la révolte se traduit par une défaite romaine dont les conséquences sont énormes. Les très nombreux mercenaires Goths présents dans l’armée romaine sont évidemment directement concernés par cette sédition et l’administration impériale cherche à exercer sur eux un contrôle de plus en plus strict. Poussés à bout, confrontés à l’incompétence du gouverneur de la cité d’Andrinople, les mercenaires finissent par se révolter et organisent des bandes de pilleurs qui font régner la terreur sur toute la région.
Les généraux de Valens essaient d’organiser une riposte mais celle-ci a un impact limité en raison des difficultés de légions à se rassembler sur un territoire aussi vaste. Lorsque commença l’année 378, les barbares étaient maîtres des campagnes de Thrace tandis que les légions romaines se sont réfugiées dans les cités fortifiées.
Face à cette situation, l’empereur Valens et son neveu Gratien, empereur d’Occident décide d’organiser une armée commune pour en finir avec les Goths.
Jusqu’à la veille de la bataille du neuf août 378, des tentatives de négociations ont eu lieu, conduite d’ailleurs par un prêtre arien du côté Goth. L’empereur Valens étant lui-même de cette religion. Il semblerait que le chef Goths, Fritigern, ait essayé de trouver un compromis honorable mais l’empereur méfiant a préféré livrer bataille, puisqu’il se croyait en position de force. Son armée était effectivement plus nombreuse mais les éclaireurs romains n’avaient pas véritablement tenu compte de la présence de la cavalerie barbare, composé d’Alains et de Huns qui se trouvait à l’extérieur des positions gothiques.
D’après les sources romaines, il semblerait que l’empereur Valens dispose de 14 légions au moins, de cinq à 6000 hommes chacune. Alors que de nouvelles négociations sont envisagées tandis que les armées se mettent face à face, une partie de la cavalerie romaine se met en mouvement contre les lignes gothiques, et la bataille s’engage. Les troupes romaines sont prises à revers, la cavalerie de la garde impériale mise en déroute et l’empereur tué par une flèche perdue.
Les conséquences du désastre ont été particulièrement traumatisantes. Au-delà de la mort même de l’empereur, qui était controversé depuis le début de son règne, c’est surtout la défaite des légions qui a été la plus remarquable. La cavalerie devient la reine des batailles mêmes si dans le détail il n’y avait pas véritablement de différence fondamentale entre l’organisation de l’armée gothique et celle de l’armée romaine. L’empereur Gratien se retire et en janvier 379, Théodose, l’un de ses généraux et proclamés empereurs d’Orient.
Militaire de carrière, fils d’un général prestigieux qui avait été exécuté par les fils de Valentinien, Théodose avait été contraint de prendre sa retraite en Espagne en 376.
À la recherche d’un général suffisamment énergique pour protéger l’empire d’Orient, Gratien l’associe au pouvoir après la défaite d’Andrinople et porte à la tête de l’empire ce païen qui se convertit au christianisme par pure opportunité politique. Moins d’un an après sa nomination il fait du christianisme catholique la religion de l’État et en 391, il supprime définitivement tous les cultes païens et interdits sous peine de mort le polythéisme.

Avec les Goths, Théodose gère le désastre d’Andrinople en reconstituant une armée tout en essayant d’y associer des chefs barbares. Devant ce qui apparaissait comme une reconstitution de l’empire, le vainqueur d’Andrinople Fritigern, finit par accepter de négocier. Ceci va permettre à l’empire d’Orient de réaliser un véritable melting-pot, associant les Romains de culture grecque, les Alains et les Goths.
On ne peut qu’être séduit par cet ouvrage qui prend un événement qui n’est pas forcément très connu en dehors des spécialistes de l’histoire antique, et qui parvient à le resituer dans un contexte global sans jamais être ennuyeux. Les détails donnés sur l’organisation des armées, sur les événements eux-mêmes à partir des textes anciens sont suffisamment variés pour maintenir l’intérêt.

Bruno Modica