Le luxe en Chine

« Monde chinois nouvelle Asie » n°29, printemps 2012, éditions Choiseul.

« Monde chinois nouvelle Asie » n°29, printemps 2012, éditions Choiseul.

http://choiseul-editions.com/Num_Revues.php?idNum=243&pg_aff=0&artParPage=6

Le 29ème numéro de ce trimestriel, dirigé par Pascal Lorot et aux apparences austères est, paradoxalement, consacré au luxe en Chine. Il contient aussi d’autres articles sur lesquels nous reviendrons en fin de compte rendu. La Chine réapprend depuis la fin des années 90 le goût du luxe. Un luxe qui peut s’afficher de façon ostentatoire, même s’il reste marqué par deux opprobres, la confucianiste et la communiste. Et malgré le mot de Deng Xiaopping, « enrichissez-vous et soyez glorieux », l’acceptation du luxe a mis du temps a venir. Et pourtant la Chine est en train de devenir un eldorado pour les grandes maisons de luxe, et en premier lieu pour les maisons françaises qui ont depuis longtemps senti les opportunités du marché chinois, d’autant plus que les personnes riches sont souvent curieuses de la culture française, à tel point que certaines se font bâtir des châteaux entourés de vignes, façon Médoc. Sur un total de douze articles, trois sont plus susceptibles d’intéresser les historiens et les géographes.

Danielle Elisseeff écrit sur le luxe « immatériel » de la Chine ancienne. L’occasion d’apprendre que dans un pays marqué par la pauvreté et les règles humbles du confucianisme, le luxe ne se voit pas: il se vit. Et d’abord en ayant quelqu’un a qui parler : mari, femme, protecteur, oncle. Le Chinois seul n’existe pas, il est exclu du monde. Le premier luxe se sont donc les relations sociales. Ensuite vient le luxe d’être vieux et d’être servi par ses propres enfants et beaux-enfants, qui plus tard pourront eux aussi goûter à ce luxe. On termine par le luxe de devenir, une fois l’arme passée à gauche, un ancêtre respecté, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Mais le luxe suprême reste l’harmonie, la recherche de la symétrie et de l’équilibre dans le dénuement.

Parallèlement à ce luxe immatériel, Antoine Gournay, dans l’article suivant, rappelle que dans la Chine ancienne le luxe matériel était malgré tout présent dans l’élite aristocratique, jusqu’en 1911, et qu’il s’est poursuivi avec le luxe de la bourgeoisie émergente jusqu’en 1949 où il a alors été banni par Mao au noms des principes communistes avant de réapparaître avec les réformes de Deng.

L’article, à mon avis, le plus intéressant et celui de Guillaume Giroir sur les gated communites chinoises. C’est un excellent article de géographie qu’on pourrait modéliser et resservir en classe pour identifier les phénomènes de littoralisation et de métropolisation en Chine (page . On y voit aussi comment ces communautés illustrent les dysfonctionnements de la société chinoise de plus en plus inégalitaire à tel point qu’après un âge d’or entre 2000 et 2005, les autorités tentent aujourd’hui de limiter l’extension de ces quartiers trop ostentatoires. Guillaume Giroir utilise aussi dans son article les techniques de géomarketing, qu’on aurait tort de négliger dans nos cours.

En dehors de ces trois articles consacrés au luxe Chinois, on notera dans la partie « Questions d’Asie » deux apports intéressants.
Anne Jaurès donne, à mon avis, un très bon aperçu du « tourisme rouge » en Chine, à savoir la visites des lieux mythifiés fréquentés par Mao Zedong ou Zhou Enlai. Situés dans des lieux reculés de la Chine dont personne ne parle, ces sites touristiques sont une aubaine pour les habitants de ces régions pauvres. En même temps, Anne Jaurès montre bien que ce « tourisme rouge » n’est qu’une goutte d’eau dans un tourisme chinois global, et qu’il est essentiellement alimenté par les voyages scolaires. Son avenir est donc, d’ici une vingtaine d’années, fortement compromis. Vanité des hommes ?

J’ai aussi beaucoup apprécié l’article de Katia Buffetrille sur « Le Tibet au tournant du XXIème siècle ». Un titre trompeur car c’est un véritable panorama didactique de l’histoire tibétaine qui est ici évoqué et qui permet de mieux saisir la spécificité du Tibet en Chine et de comprendre pourquoi, malgré des décennies d’humiliations et de répression, les Tibétains revendiquent toujours leur indépendance, et non leur autonomie, une notion qui ne les satisfait pas mais aussi pourquoi les Chinois han, malgré d’évidents gestes de bonne volonté de la part des tibétains et notamment du Dalaï-lama Lama, restent eux aussi arc boutés sur des positions intransigeantes.

Pour conclure, même si ce numéro sur le luxe surprend de prime abord par rapport au contenu plus « classique » des numéros précédents, il se révèle assez foisonnant en apports essentiels pour tous ceux qui s’intéressent de près au monde sinisé.

Mathieu Souyris