Tome 1 : Les clefs pour comprendre
Tome 2. Les cartes en mains
Cet ouvrage important par son volume, ( plus de 800 pages), mais surtout par le sujet traité, est une véritable somme destinée à tous les acteurs du domaine de l’énergie, qu’ils soient décideurs, professeurs de géographie et de science politique ou étudiants ayant à composer dans ce domaine.
L’auteur est un haut-fonctionnaire européen à la commission de Bruxelles, dont nul ne peut ignorer, surtout actuellement, l’importance des décisions en matière de sécurité des approvisionnements et de fiscalité sur l’énergie.
Mais cet ouvrage, très documenté est également précieux dès lors que l’on souhaite comprendre les enjeux de l’histoire de l’énergie à travers les âges. À ce titre, il est aussi très utile au professeur d’histoire qui souhaite présenter dans le cadre de certains chapitres les enjeux énergétiques de la période considérée.
L’histoire familiale de l’auteur qui dédie son œuvre à la mémoire de son père « qui a quitté ses oranges de Calabre pour venir travailler dans les charbonnages de Charleroi », explique aussi sa familiarité avec le sujet. Ces charbonnages aujourd’hui fermés ont assuré jusqu’aux années soixante dix la prospérité de la Wallonie qui accueillait les travailleurs migrants de l’Europe du Sud et de l’Est.
L’ouvrage est donc divisé en deux tomes. Le premier, « les clés pour comprendre » est consacré dans sa première partie à un survol de la géopolitique de l’énergie évoquant notamment ses trois cycles. L’âge d’or énergétique à savoir le temps du pétrole pas cher, s’est interrompu en 1973 et le monde a connu des crises régulières jusqu’en 1990. Ce cycle de crise s’est à nouveau ouvert en 2000 et conduit à la flambée actuelle qui tire d’ailleurs vers le haut bien d’autres matières premières du fait de la mondialisation financière nourrissant une spéculation internationale dont les effets sont perceptibles tous les jours.
Une histoire de l’énergie
Le chapitre 4 évoque l’histoire du pétrole dans un « survol » de plusieurs dizaines de pages, particulièrement précis. Les chocs pétroliers sont l’objet d’une attention soutenue, notamment dans leurs implications sur la politique communautaire à laquelle l’auteur est forcément très sensible.
La question des réserves de ce pétrole dont les volumes ont fortement varié ; on se souvient que dans les années suivant le premier choc pétrolier elles étaient estimées à trente ans de consommation, il y a maintenant 40 ans ; occuppe une palce également importante. Certains modèles pessimistes d’appréciation de ces réserves comme ceux des géologues Hubbert et Campbell évoquent la fin définitive du pétrole bon marché, celui qui coûte à la sortie du puits de à trois à trois dollars le baril, et la crise devant intervenir en 2008. La flambée actuelle serait-elle alors une anticipation de cette situation, alimentée par la spéculation ?
Dans le même temps, on traitera aussi des scénarios optimistes qui tablent sur le progrès technologique permettant l’optimisation de l’extraction et sur l’existence de découvertes non encore exploitées par des pays comme l’Irak et l’Arabie Saoudite. Selon BP, les consommations sont actuellement remplacées par de nouvelles découvertes, ce qui accréditerait la thèse du caractère artificiel de la hausse actuelle des cours. Il est vrai que depuis 1980 jusqu’à 2005, les réserves prouvées ont augmenté de 79%. On y a inclus toutefois des pétroles chers, issus des schistes bitumineux canadiens.
Samuele Furfari traite également, avec beaucoup de pertinence des logiques au sein de l’OPEP. Des pays comme ceux du Golfe persique cherchent à préserver leurs ressources dans le long terme tandis que d’autres comme l’Algérie ou le Venezuela, confrontés à des besoins importants, sont amenés à avoir une politique de prix. Le résultat dans les deux cas est bien une hausse des prix, soit par maintien de l’offre face à une demande en augmentation du fait des pays émergents, soit par une volonté délibérée de faire monter les prix pour des profits à courts termes.
Le pétrole et le reste
Si le pétrole et son marché occupent une place importante de ce premier tome, l’auteur ne néglige pas pour autant les filières nucléaires et gazières. Même le charbon a un avenir du fait des progrès de la technologie permettant des extractions bon marché et des transformations à impact environnemental plus faible que la traditionnelle combustion en chaudière. Les tensions actuelles sur les prix de cette matière première sont liées à des coûts croissants des transports. Toutefois, une fois de plus, le progrès technique et notamment la gazéification du charbon permettent de croire en un avenir de cette filière d’autant plus qu’il est désormais possible de piéger le CO² en cours de processus.
Le tome 2, Les cartes en mains, est tout aussi riche et sans doute le plus intéressant pour l’historien géographe. Le classement des chapitres est un beau tour du monde géopolitique de l’énergie et il est difficile de trouver la moindre faille en matière d’information sur ce sujet. L’auteur part de son sujet, l’Europe et ses approvisionnements énergétiques et dans le même temps se soucie de savoir d’où viennent le pétrole et le gaz qui nous alimentent. Les différentes instituions traitant de cette question sont traitées en tant que telles, comme le forum euroméditerranéen de l’énergie ainsi que les différents gazoducs transméditerranéens MEDGAZ et GALSI.
On retrouve ensuite une distribution très classique des espaces de production, la russie traitée sous l’angle de l’Or noir et bleu, à savoir le pétrole et le gaz, l’Asie centrale, l’Afrique et l’Orient compliqué.
Tour du monde des producteurs
Dans ces études qui sont autant de monographies très complètes on retrouve évidemment les grands acteurs souvent dans leurs relations avec l’Union européenne. On voit d’ailleurs que les dirigeants russes, le tandem Poutine Medvedev ne manquent pas d’arguments. La diplomatie gazière de la Russie est bien présentée avec ce jeu de bascule entre les deux clients privilégiés, l’UE et la Chine.
Dans l’étude sur l’Afrique, l’affrontement entre les Etats-Unis et la Chin est également évoqué ; notons au passage que la France a du mal, malgré un long passé, à tenir son rang dans cet affrontement de géants, même si Nicolas Sarkozy a essayé récemment de prendre langue avec les angolais pour le compte de Total. Il est vrai que les aventures d’ELF Gabon et autres ont laissé de mauvais souvenirs, y compris à des dirigeants africains qui ont gaspillé pendant des décennies les revenus de l’Or noir.
Les questions énergétiques sont également traitées sous l’angle des consommateurs. Le Japon, la Chine par exemple, qui s’affrontent au large d’Okinawa dans les îles Senkaku sont des acteusr majeurs du fait de leur dépendance. Deux solutions s’opposent : la chinoise avec al conquête de sources d’approvisionnement et la japonaise avec un développement des filières économes en énergie. Bien entendu cela n’empêche pas les confrontations pour les ressources, on l’a vu plus haut.
Difficile donc de trouver la moindre faille à cet ouvrage très complet et riche de cartes, de croquis, de diagrammes et de tableaux. Autre qualité, des encadrés de textes avec des sources souvent rares ou mal connues qui permettent de trouver des arguments et même des sujets inédits et sortant des sentiers battus.
L’auteur porte un jugement assez optimiste, cela est peut être lié à ses fonctions et aux liens avec l’institut français des pétroles. Mais au-delà de cette particularité que nul ne songe à dissimuler, cet ouvrage fera sans doute date par sa précision, par sa richesse documentaire et par la tentative presque totalement réussie d’exhaustivité.
Bruno Modica