Cet ouvrage dirigé par Yannis Tsiomis (architecte urbaniste, ENSA Paris-La Villette, EHESS) et Volker Ziegler (architecte urbaniste, ENSA Strasbourg) est la synthèse d’un programme de recherche mené entre 2000 et 2005 et initié par le Plan urbanisme, construction et architecture (Puca) et la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Ce programme, intitulé « Projets urbains et nouvelles cultures urbaines », pose comme hypothèse de travail que les projets urbains peuvent être à l’origine de nouvelles cultures urbaines si une réelle démarche de projet est initiée par l’ensemble des acteurs du projet. Tel que le définissent les pilotes du programme, le projet urbain est l’articulation des logiques et des attentes de ses différents acteurs. Ce sont celles-ci que le programme se propose de mieux cerner à travers les projets urbains de quatre agglomérations (Bordeaux, Lyon, Rennes, Strasbourg). Au sein de chaque agglomération, un groupe de chercheurs (architecture, sciences sociales) organise des ateliers où les différents acteurs du projet urbain peuvent exprimer leur conception et leur expérience du projet urbain. Ces ateliers « locaux » ont parfois été prolongés avec les participants aux ateliers des autres agglomérations concernées par le programme. A travers ces ateliers, Anatomie de projets urbains se donne pour objectif de disséquer la manière dont s’élaborent et fonctionnent les projets urbains et, plus largement de comprendre comment se fabrique la ville.
Le corps de l’ouvrage s’organise logiquement en quatre chapitres. Les projets urbains sont inscrits dans leur dimension historique. Les aménagements les plus représentatifs sont soigneusement présentés et sont illustrés de nombreuses photographies mais surtout de cartes, de schémas ou d’esquisses extraits de projets de concepteurs (architectes, paysagistes) ou des différents plans d’aménagement à l’échelle communale ou intercommunale. Si la démarche en ateliers est commune aux quatre agglomérations, les thématiques des ateliers varient. Les ateliers de Bordeaux s’intéressent plus particulièrement à la place, au rôle et surtout à l’articulation des différents acteurs du projet urbain. La mise en place du tramway a induit un changement d’échelle qui a permis la mise en place d’une culture de projet, à l’œuvre par exemple dans la manière dont sont reconsidérés – au deux sens du terme – les espaces publics. A Lyon, l’accent est mis sur la question de la concertation. Au-delà du projet urbain propre à Lyon, se pose plus largement la question de la démocratie à l’échelle urbaine. Les concertations menées à Lyon font-elles toujours figure de démocratie participative ? L’intervention de médiateurs dans des quartiers comme le quartier sensible du Prainet (commune périphérique de Décines-Charpieu) dans la concertation laisse à penser que la démocratie court le risque d’être confisquée. A Rennes, l’accent est mis sur la gestion, l’appropriation et la mise en œuvre d’un projet urbain à l’échelle d’une grande agglomération dans le cadre de l’intercommunalité. Enfin, les ateliers de Strasbourg s’attachent à comprendre les difficultés d’un projet urbain qui peine à concilier le centre et ses périphéries en dépit du tramway. Chaque compte-rendu d’atelier est suivi d’une mise en perspective proposée par les chercheurs organisateurs.
Les quatre projets urbains et les ateliers organisés dans et entre les villes permettent aux pilotes du programme de conclure à la nécessité d’un partage des cultures urbaines à travers l’émergence d’une réelle interdisciplinarité entre les différents acteurs des projets urbains dans la mesure où le développement urbain a multiplié les échelles dans lesquelles des temporalités propres sont à l’œuvre. D’autre part, le passage de la ville consolidée à l’agglomération contribue à accroître les logiques liées à des fonctions, à des lieux parfois très différents (élu / concepteur / technicien / habitant / autre usager) voire opposés (élu de commune périphérique / élu de ville-centre). Si l’objet central de cette étude est le projet urbain, la question centrale est d’ordre politique. L’expérience des quatre villes est ainsi discutée à travers le prisme des lois (SRU, Chevènement, LOADT) qui « encadrent » la politique urbaine. Centrées sur les enjeux de développement durable et de démocratie, ces lois sont cependant suffisamment souples pour permettre des interprétations où transparaissent la culture, l’engagement politique des différents acteurs. Plus largement les auteurs insistent sur le fait que le projet urbain n’est pas seulement destiné à agréger les différentes parties prenantes d’un projet pour les transformer en partenaires mais est surtout porteur d’un enjeu. En ce sens, le projet urbain est porteur d’un réel enjeu démocratique dans la mesure où il doit être en mesure autant de lutter contre les crises urbaines que de proposer une ambition globale pour un territoire en pleine mutation.
L’ouvrage est utilement complété par l’interview des réflexions de Jean-Yves Chapuis, un des acteurs majeurs de l’aménagement rennais au sein de la commune de Rennes puis de Rennes Métropole et par la chronologie des différents projets urbains menés dans les quatre métropoles.
Cet ouvrage n’est pas un ouvrage de géographie à proprement parler. De fait, il n’est pas rédigé par des géographes. Pourtant son intérêt est indéniable pour un professeur d’histoire, de géographie, d’éducation civique ou d’ECJS. En effet, l’interdisciplinarité que prônent les auteurs dans la conduite d’un projet urbain trouve un écho dans les thématiques éminemment géographiques et politiques abordées dans cet ouvrage. D’autre part, cet ouvrage met en perspective les conséquences des mesures législatives les plus récentes en matière de politique urbaine. En ce sens, cet ouvrage est précieux pour l’enseignant car il lui permet une utile mise au point non seulement sur les questions urbaines mais également sur les questions d’aménagement du territoire et de démocratie locale. Sur ce dernier aspect, le compte rendu des ateliers tenus à Lyon constitue une mise en perspective particulièrement intéressante. Plus généralement, chaque projet urbain pourra servir utilement pour réaliser une étude de cas en lien avec les questions d’aménagement du territoire (programme de géographie de Première et de 4e).
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