Vous vous souvenez que cette revue est celle de l’Institut d’Histoire Sociale, lui-même descendant de l’institut fondé par Boris Souvarine en 1935 pour analyser le régime soviétique. Les animateurs formels ou informels de la revue sont d’anciens communistes ou militants d’extrême-gauche, donc connaissant bien leur domaine. Bien entendu l’anticommunisme de cet institut a suscité les critiques, notamment celle du réseau Voltaire qui avait été apprécié un temps par certains Clionautes.
Ancien lecteur régulier et attentif, j’ai commencé à déchanter quand j’ai mieux connu les pays du Sud, mais ai gardé assez longtemps un peu d’indulgence pour ce journal (errare humanum est), pour finalement m’apercevoir que sa grande influence sur les cadres des pays du Sud avait dédouané intellectuellement les pires dérives (sed persevare diabolicum). Je reste un lecteur épisodique et assez navré.
Il fallait donc un jour que des historiens connaissant bien les mouvances communistes et tiers-mondistes fassent une analyse. Voilà qui est fait, et très sévèrement.
La revue rappelle que ce journal se veut « militant d’inspiration révolutionnaire » et « est resté tiers-mondiste, altermondialiste, anticapitaliste, antilibéral et antiaméricain à une époque où le monde intellectuel occidental abandonnait son appui au socialisme réel et redécouvrait la valeur la démocratie et des droits de l’homme ». Cette orientation a été accentuée par Claude Julien pendant les années 1970 (il se trouve que cette époque je suis entré ponctuellement contact avec le directeur du Monde, à qui j’ai fait part de mes interrogations sur le “Diplo” ; il a alors explosé comme si j’avais trahi une sympathie discrète). Cette divergence avec l’ensemble du monde intellectuel occidental est matérialisée aujourd’hui par des articles bizarrement indulgents sur Cuba et la Corée du Nord.
Pierre Rigoulot, directeur de l’I.H.S., retrace l’itinéraire du journal, au départ simple supplément du Monde destiné aux diplomates. Il note un certain assouplissement politique depuis quelques années, notamment sous la direction de Serge Halimi, avec des articles beaucoup plus variés. Il rappelle que le journal est encore filiale à 51 % du Monde, le reste du capital étant détenu par l’association des amis et celle des rédacteurs. Le journal est complété par de tout un réseau d’associations, de clubs et de comités engagés. Et sa diffusion est bonne en particulier auprès de nombreuses bibliothèques et centres de documentation. En février 2009 le journal se targuait d’être publié en vingt-six langues et en 2006 de tirer à 1,9 millions d’exemplaires dans le monde. Pierre Rigoulot estime que les chiffres de la diffusion dans certains pays lui paraissent peu vraisemblables. Il rappelle ensuite les articles les plus excessifs, dont celui de Jean Baudrillard qui analyse l’attentat du 11 septembre 2002 comme « la condamnation que la société (occidentale capitaliste) porte sur elle-même ».
Sont ensuite rappelées les grandes figures du journal et particulièrement celles de Claude Julien et d’Ignatio Ramonet, communistes tendance castriste, et celle d’Alain Gresh vigoureusement ant-israélien et idéalisant des islamistes (je simplifie beaucoup ces 3 portraits). Est rappelée ensuite la sévère condamnation d’Obama pour n’avoir rien changé à l’horreur américaine à l’intérieur comme à l’extérieur, et « la mélancolie » face à l’évolution de l’Amérique latine vers le centre gauche ou le centre, plutôt que vers le chavisme ou le castrisme.
L’intérêt de ce numéro, outre de faire revivre l’histoire récente, est dans le grand nombre de citations et d’évocations de personnages, que le lecteur pourra trouver pertinentes, agaçantes ou partiales suivant sa sensibilité politique.