Arme dissymétrique en 1945, celle de la loi du plus fort, l’arme nucléaire est devenue asymétrique, synonyme de survie pour les plus faibles. C’est cette analyse que nous proposent Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques et auteur prolifique et Barthélemy Courmont, chercheur dans le même institut et spécialiste des questions nucléaires. Tout en remarquant que la prolifération nucléaire n’a pas pris des proportions incontrôlables, ils insistent sur le fait que la question ne se pose plus sur la force de dissuasion de cette arme mais sur la pression qu’elle exerce sur ceux qui ne la possèdent pas. Dans le même temps, les opposants s’appuient sur trois arguments pour en finir avec cette arme : sa pertinence dans le monde actuel, son coût jugé prohibitif et son impopularité auprès des populations.
La question centrale de l’ouvrage est celle de l’impact de l’arme nucléaire dans les relations internationales. L’arme suprême constitue t-elle une menace réelle ou surestimée ? Les auteurs ont choisi trois niveaux de réflexion qui concernent la prolifération, la dissuasion et le désarmement et l’ont appliqué tout au long des six chapitres de leur ouvrage

Dans le premier chapitre, « Aux origines du nucléaire », Pascal Boniface et Barthélemy Courmont rappellent le contexte de la fabrication de la bombe au travers du projet Manhattan, véritable réponse à la menace nazie. L’ouvrage reprend les thèses des différents acteurs quand il s’agit d’évaluer si il fallait bombarder Hiroshima, tout en remarquant l’oubli manifeste de la seconde bombe sur Nagasaki. Ils montrent, qu’au-delà même de la décision politique de l’utilisation de Little Boy, le poids des lobby à Washington est le premier responsable de cette première dans l’histoire de l’humanité. Son utilisation a crée une situation de dissymétrie aussi bien militaire que politique. A l’origine, l’arme nucléaire correspond à l’assurance d’une meilleure sécurité à l’échelle internationale. L’explosion de la première bombe soviétique, en 1949, met fin à cet espoir et provoque une véritable course à l’armement. Les discours deviennent plus importants que l’utilisation même de la bombe. L’espionnage nucléaire devient un « sport populaire ». Ici, les auteurs relativisent le poids de l’arme nucléaire dans le conflit coréen.

« Un monde bipolaire et nucléaire » : c’est ainsi que les auteurs expliquent que l’arme nucléaire rend la guerre impossible. Les risques sont supérieurs aux profits que les Etats concernés peuvent avoir. L’analyse des différents crises, de facture plus traditionnelle permet de mesurer leur analyse de départ et d’en vérifier aisément la pertinence. Cette période correspond aussi avec la prolifération nucléaire en Chine mais aussi en Grande-Bretagne et en France.

Devant ce risque de prolifération , les deux grands réagissent et proposent un nouvel axe politique : l’ « Arms Control et désarmement ». Cette troisième partie tourne autour de l’analyse, de 1970 jusqu’à nos jours du TNP (traité de non-prolifération) de 1970, traité qui régit encore les rapports nucléaire à l’échelle internationale. Les auteurs rappellent les différents traités signés par les différents protagonistes, des accords SALT, START, TICe et autres IDS des années Reagan. L’ambition nucléaire des pays du Sud (Brésil, Argentine, Libye ou Afrique du Sud) et de quelques pays occidentaux (Suède) se confronte avec celle des deux superpuissances de limiter le nombre des états possesseurs de l’arme suprême.

« La fin de la Guerre froide et les armes nucléaires », titre du quatrième chapitre, indique parfaitement les enjeux que les pays doivent prendre en compte devant le démantèlement progressif mais pas toujours contrôlé de l’arsenal nucléaire russe. C’est le début de la période qui fait de l’arme nucléaire une menace asymétrique. L’Irak qui avait, dans les années 1990, développé un gigantesque programme clandestin de fabrication nucléaire en est la preuve. Les Etats prennent conscience que le TNP ne peut pas tout garantir et que la nécessaire réaction de la communauté internationale doit être prompte et ferme pour éviter toutes dérives. Les auteurs observent alors les enjeux de la prolifération actuelle. Ils nous permettent d’étudier les ressorts des tentatives de fabrication de cette arme par la Corée du Nord ou l’Iran. Cette politique d’armement est liée au prestige, à la recherche de sécurité, au développement des capacités énergétiques mais aux profits que peut procurer un commerce illégal. La prolifération balistique est ainsi inquiétante et aisée d’autant plus avec la facilité actuelle de transférer les compétences et les technologies. L’analyse américaine de la situation que nous proposent Pascal Boniface et Barthélemy Courmont est un des passages clés de l’ouvrage.

La cinquième partie délivre les « concepts et doctrines des puissances nucléaires » . les grandes puissances nucléaires reprennent aujourd’hui la politique de dissuasion afin de mieux l’adopter aux nouvelles menaces internationales. Le désarmement se poursuit comme en atteste les annexes de l’ouvrage. Les auteurs définissent les changements stratégiques de l’administration Bush qui se réserve le droit de moduler leur arsenal en fonction de leur perception de la menace. Les stratégies des autres puissances sont aussi analysées à la suite.

Enfin, « La France Nucléaire » reprend toute les analyses des chapitres précédents tout en justifiant de l’originalité du cas français, en avance sur le nucléaire civil avant la Seconde Guerre mondiale et marquant sa volonté d’indépendance politique et militaire sous la figure tutélaire de De Gaulle. La stratégie du « tout azimut » depuis l’explosion de la « Gerboise bleue » dans le désert algérien a permis à la France de se doter d’un arsenal nucléaire conséquent et qui lui a permis de poser la question de la concertation européenne en matière de dissuasion.

Les auteurs s’engagent dans la conclusion, pourfendant la banalisation du nucléaire et insistant sur la nécessité, pour la communauté internationale, de réagir devant la prolifération incontrôlée de l’arme dans certains états. Les cas de l’Iran ou de la Corée du Nord, bien que non cités, apparaissent ici comme des menaces que dénoncent les auteurs.

Cet ouvrage qui veut participer aux débats actuels et futurs sur la pérennité de l’arme suprême est passionnant à lire. Quelques passages, comme celui qui décrit la recherche de la réaction en chaîne par Frédéric Joliot à la veille de la Seconde Guerre mondiale, relève même du roman d’aventure. Le style, volontiers pédagogue, de l’écriture permet au lecteur d’identifier aisément les principaux acteurs et enjeux, passés, actuels comme futurs. Les annexes sont tout à fait utiles pour mieux appréhender, en chiffres et indications factuelles, ce que représente l’arme nucléaire aujourd’hui. Enfin, la bibliographie est très dense, par chapitres, et permet un tour d’horizon complet des ouvrages liés à cette thématique.
Très utile pour les enseignants pour bien identifier les enjeux liés à la menace nucléaire pendant la Guerre Froide, de l’équilibre de la terreur à la politique de l’Arms Control, cet ouvrage le sera aussi aux élèves qui voudront donner du sens à leur apprentissage. Ouvrage grand public et d’une actualité que l’actualité internationale ne peut démentir, « Le monde nucléaire » devrait se retrouver dans toutes les bibliothèques des citoyens avisés des problèmes géopolitiques de notre temps.

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