Le film maintenant. Le scénario, adapté des mémoires du père Jean Bernard, raconte les neuf jours pendant lesquels l’abbé luxembourgeois Henri Kremer (Ulrich Matthes, qui jouait Goebbels dans La Chute en 2004, excellent acteur au visage émacié et douloureux très impressionnant, déporté à Dachau, avec d’autres prêtres, pour fait de résistance, obtient en février 1942 une permission pour assister aux obsèques de sa mère. Pendant cette permission, il est confronté à un jeune officier SS de la Gestapo (excellent August Diehl – La Petite prairie aux bouleaux en 2002, Inglorious Basterds en 2008 – dont le visage et le jeu ne sont pas ici sans rappeler Christopher Walken), ancien séminariste et toujours catholique, qui lui demande de convaincre l’évêque de la ville de cesser la résistance au nazisme, et de pousser à la collaboration de l’Église catholique avec les nazis. Si l’abbé réussit, il sauve sa vie, celles de ses frères et de sa sœur, celles des prêtres internés à Dachau. Si l’officier SS échoue, il part à l’Est, s’occuper des camps. Le film s’attache à retracer ces neuf jours de joute intellectuelle et religieuse entre ces deux hommes, l’abbé étant torturé par le souvenir (et la culpabilité) de la survie et des horreurs de Dachau. L’officier SS conçoit sa foi comme une foi de croisade et Hitler comme un instrument divin de lutte contre le bolchévisme, et est fasciné par la figure de Judas, sans qui, selon lui, le christianisme, religion devenue universelle, n’aurait pas été. Volker Schlöndorff (Les Désarrois de l’élève Törless, 1966 ; L’Honneur perdu de Katharina Blum, 1975 ; Le Tambour, 1979 ; Un Amour de Swann, 1984 ; Le Roi des Aulnes, 1996 ; Les Trois Vies de Rita Vogt, 2000 ; Ulzhan, 2008 ; parmi d’autres films) a adapté le journal de détention (Bloc des prêtres 25487) du prêtre luxembourgeois Jean Bernard, interné à Dachau de mai 1941 à août 1942.
http://www.decitre.fr/livres/Bloc-des-pretres-25487.aspx/9782879636061
Né en 1907 à Luxembourg, docteur en philosophie de l’université de Louvain en 1933, il est ordonné prêtre la même année et travaille à l’Office catholique international du Cinéma (OCIC) à Bruxelles. En mai 1940 il part pour la France (son frère Paul, est un industriel installé à Paris), pour devenir l’aumônier d’une Légion luxembourgeoise de l’armée française. Puis, avec les pères Stoffels et Wampach de la Mission France-Luxembourg, il organise le rapatriement au Luxembourg de compatriotes vivant en France et achemine du courrier, ce qui lui vaut d’être arrêté, torturé et déporté à Dachau. On lui reproche aussi des prêches anti-allemands et son aide à des familles de Juifs luxembourgeois. Après ses neuf premiers mois au camp, il obtint un inhabituel « congé » de dix jours, au motif que sa mère était décédée. Jean Bernard ne dit rien de plus sur ce congé dans ses mémoires, sinon qu’il devait quotidiennement se présenter à la villa Pauly, QG de la Gestapo au Luxembourg, et qu’il eu un entretien avec le Kriminalsekretär Friedrichs. Le film s’inscrit dans ce « blanc » biographique. Après sa libération en août 1942, Jean Bernard dirigea le quotidien Luxemburger Wort jusqu’en 1958, devint président de l’OCIC en 1947 (et joua un rôle dans l’attribution, à la Mostra de Venise en 1968, du Grand Prix de l’Office catholique au Théorème de Pasolini), camérier secret du Pape en 1958, Prélat d’honneur du Pape à partir de 1968. Il fut aussi consultant à la Commission pontificale du cinéma, de la radio et de la télévision, membre du Secrétariat de la presse, du film et de la radio (qui prépara les travaux de Vatican II), président de la Commission de l’Église persécutée au sein de la Conférence des organisations catholiques internationales. Il mourut en 1994.
Revenons au film. D’un point de vue historique, on est donc dans une fiction réalisée à partir de faits réels, avec quelques erreurs : par exemple l’évocation en février 1942 de la déportation des « catholiques non aryens » – juifs convertis comme Edith Stein – de Hollande qui eut lieu en juillet-août 1942, en réaction à la condamnation par les évêques néerlandais, dans une lettre pastorale lue dans les églises le 26 juillet 1942, des persécutions antisémites aux Pays-Bas). La reconstitution historique repose sur des moyens limités, ce qui lui donne un aspect austère et sombre (les tons et couleurs du film y sont pour beaucoup), le film se passant essentiellement dans des pièces et des bureaux. La reconstitution des scènes de la vie à Dachau est sobre dans ses effets, si ce n’est quelques ralentis pas forcément nécessaires et par moments un caméra tremblée (sur l’épaule ?). C’est essentiellement un film fait de silences, avec peu d’effets cinématographiques, beaucoup de gros plans sur les visages du prêtre et du SS, et surtout des dialogues. On est un peu déçu ceci dit par rapport à la filmographie de Schlöndorff, l’ensemble relevant plus ici d’une esthétique de téléfilm. Même si les interrogations au sein de l’Église, par rapport à l’attitude de Pie XII et au comportement à avoir localement vis-à-vis des nazis, ne sont pas éludées, et en cela le propos est plus nuancé et montre plus la complexité des réactions au sein de l’Église catholique que Costa-Gavras ne l’a fait dans Amen (2002), Schlöndorff s’est plus attaché à montrer le questionnement d’un homme, sans y parvenir tout à fait, tant la fin est prévisible.
Pour tout dire, le film ne m’a pas transporté (la VF n’a pas aidé…) et me semble trop austère et complexe pour être utilisé en classe. Mais on pourra lire une critique plus enthousiaste ici : http://laregledujeu.org/2010/04/17/1249/l’aura-du-film-de-volker-schlondorff-le-neuvieme-jour/