Le vrai portrait de Louverture
L’ouvrage fait apparaître en couverture un portrait peu connu de Toussaint-Louverture. Il s’agit en fait du seul portrait authentique de celui qui est aujourd’hui le héros national haïtien. Ce portrait a été établi après l’arrestation du général, alors que celui-ci portait un uniforme d’emprunt. Le sabre qui figure au côté droit est inventé de toutes pièces et, de toute façon, les officiers portaient leur sabre au côté gauche. L’éditeur avoue lui-même dans l’avertissement qu’internet lui a permis d’avoir connaissance in extremis de l’existence de ce portrait, d’où son choix pour la couverture.
Mémoires ou mémoire ?
Le premier texte de 150 pages est constitué d’un mémoire, au singulier, que Toussaint-Louverture dicta de sa cellule du fort de Joux. Le texte était adressé à Bonaparte. Il s’agissait d’un plaidoyer pro domo dont l’auteur était sans doute coupable aux yeux du premier consul de la République, d’avoir osé, de sa propre initiative, doter Haïti d’une constitution autonome. Ce texte était connu dès 1818, notamment de l’abbé Grégoire. Des extraits parurent dans la presse parisienne en 1845. Cependant, les dernières éditions n’ont été publiées qu’en Haïti dans les années 1980. La version présentée ici est dotée d’un appareil critique qu’on doit à l’historien de Jacques de Cauna. L’orthographe ancienne a été modernisée pour être plus abordable.
Le bon roi Charles X ?
L’ouvrage contient également des annexes comme l’ordonnance du roi Charles X du 17 avril 1825 qui reconnaît l’indépendance d’Haïti, …moyennant une indemnité qui plonge la jeune République dans l’endettement. Il est amusant de constater l’image positive dont bénéficie Charles X dans l’historiographie haïtienne. Elle est à comparer à l’hostilité qu’on peut y rencontrer s’agissant de Victor Schœlcher, lequel est rendu responsable de la mauvaise réputation faite à Haïti en France par son ouvrage de 1842 : Colonies étrangères et Haïti. On peut également signaler en annexe le rapport au roi rédigé par le comte de Chabrol, pair de France et ministre de la marine ou l’article du Télégraphe, gazette officielle d’Haïti du 17 juillet 1825 (an XXII) intitulé « Haïti reconnu indépendante ». Beaucoup plus intéressante est la proclamation au peuple et à l’armée par le président haïtien Jean-Pierre Boyer à la suite du règlement franco-haïtien. À côté de tout cet enthousiasme, il faut pourtant signaler le départ pour la France des émissaires haïtiens chargés de négocier en France des prêts pour s’acquitter d’une indemnité qui fonda une très lourde dette. D’autres textes sont extraits du corpus napoléonien sur les questions de Saint-Domingue, des passages du Mémorial de Sainte-Hélène. On dispose également du décret impérial du 29 mars 1815 abolissant la traite négrière.
Le manuscrit des archives nationales
Le texte publié par Saint-Rémy existait en fait en plusieurs exemplaires légèrement différents. La seconde partie reproduit donc, avec l’appareil critique de Jacques Cauna, le manuscrit conservé aux Archives nationales sous l’appellation Mémoire du général Toussaint Louverture. Il est de la main du général lui-même. Le manuscrit comporte peu de ratures et il faut souligner que Louverture dictait d’ordinaire ses textes lorsqu’il commandait. Si, quand il écrivait lui-même, il commettait effectivement beaucoup de fautes d’orthographe par rapport aux standards de l’époque, il n’était certainement pas le seul officier à le faire.
Dans les deux textes, Toussaint Louverture s’explique sur la méfiance dont il a témoigné à l’arrivée du corps expéditionnaire dirigé par Leclerc. Il cherche délibérément à convaincre Napoléon de la conduite inqualifiable de son beau-frère lors de son arrivée à Saint-Domingue, ce qui paraît particulièrement vain.
Ces deux textes émanant de Toussaint Louverture témoignent d’un univers mental, qui, loin d’apparaître révolutionnaire, semble particulièrement militarisé et hiérarchisé, une bonne partie des transactions consistant en ordres donnés et reçus. Sans doute faut-il faire la part des choses et ne pas en conclure hâtivement que la société haïtienne du temps était particulièrement militarisée : il s’agit du monde raconté par un homme d’autant plus converti à la chose militaire que celle-ci était toute sa vie depuis la fin de son esclavage. Ces textes sont complétés par les dernières lettres de Toussaint Louverture au premier consul. Jusqu’au bout, le général haïtien sollicite générosité, justice et bienveillance pour sa famille, arrêtée en même temps que lui mais séparée.
Le début d’une grande extension pour le commerce, l’agriculture, les arts et les sciences
Sans doute peut-on renvoyer en guise de conclusion à la proclamation du président Boyer à la suite de l’accord avec Charles X. S’adressant au peuple et à l’armée, ce qui en dit long sur la place de celle-ci depuis la Révolution française à Saint-DomingueQui n’avait jamais cessé d’être appelée Haïti par ses habitants., le chef de l’État voyait dans la reconnaissance d’Haïti par la France le début d’une grande extension pour le commerce, l’agriculture, les arts et les sciences. Sans doute ne prévoyait-il pas l’ampleur de la tâche à accomplir pour rembourser la nouvelle dette et amener à la démocratie et au développement un corps social enfanté dans la douleur et la violence de l’esclavage.