Il est des moments rares et précieux dans la vie d’une lectrice : la découverte d’un ouvrage délectable que l’on consomme par petites bouchées en gourmet. La promenade littéraire que Gilbert Vaudey propose ici en fait partie. Il offre, au fil d’un texte superbe cet ouvrage a reçu en 2014 le prix de la [République des Canuts->http://republiquedescanuts.free.fr/2014/activite_prix_canut_2014.htm], sa géographie sentimentale de Lyon élaborée au fil de ses marches et promenades dans la ville.

Ce flâneur infatigable est né lyonnais et, à l’exception de ses années d’études à l’ENS Saint-Cloud, y a toujours vécu. Professeur d’histoire en CPGE au Lycée du Parc, il a successivement habité les Pentes de la Croix-Rousse, le Plateau, le quartier d’Ainay, la Part-Dieu avant de s’établir dans le 6ème arrondissement à proximité du Parc de la Tête d’Or. Ces quartiers ont marqué l’homme ; si bien, qu’au fil du texte de cette psycho-géographie, le portrait de la ville qu’il en fait devient le miroir de sa vie. L’ensemble est conçu comme une promenade. On chemine tel le passant dont les pas seraient guidés par cet érudit sachant dire juste ce qu’il faut pour comprendre la mémoire des lieux au regard de notre époque. Ce magnifique exercice littéraire rend compte essentiellement des espaces vécus par lui-même. Aussi, les habitants de Gerland, de Montchat, de Montplaisir, des États-Unis n’auront pas le plaisir de suivre notre promeneur passionné dans leur quartier. Gilbert Vaudey joue franc-jeu et même s’il évoque, à un moment ou à un autre du texte, tous les arrondissements lyonnais, il estime qu’il n’est pas légitime d’en parler, ne les ayant pas assez pratiqués.

Car, si ce texte sensible touche, c’est par sa pratique de l’espace, perpétuellement renouvelée dans le cadre d’un éloge de la lenteur. Ses descriptions des traboules empruntées à une époque où les digicodes n’en fermaient pas les accès comme la recherche d’un petit coin propice à la lecture au sommet d’une tour du quartier Renaissance du Vieux Lyon encouragent le lecteur à une découverte urbaine, loin des itinéraires balisés des guides touristiques. L’évocation des mutations des espaces engagées depuis l’après seconde guerre mondiale par Zizi béton (entendez par là Louis Pradel) n’est en rien nostalgique. Les rénovations et les réhabilitations ont beaucoup œuvré à changer l’image de la ville décrite ainsi par Baudelaire et ayant perduré jusqu’au début des années 1980 : « Ville singulière, bigote et marchande, catholique et protestante, pleine de brumes et de charbon ». Le classement UNESCO en 1998 récompense les efforts engagés depuis les années 1960 (de la sauvegarde du Vieux Lyon en passant par le plan Couleur de 1989 ayant coloré les façades des immeubles) en reconnaissant Patrimoine mondial de l’Humanité non pas un quartier mais l’évolution et la mouvance du centre-ville passé du haut de la colline de Fourvière à l’époque des Romains, à la rive droite de la Saône (centre médiéval), à la Presqu’île aux XVIIe- XVIIIe siècles, aux Brotteaux au XIXe siècle puis à la Part-Dieu au XXe. Toutes ces mutations engagées à l’échelle d’une vie, celle de Gilbert Vaudey, font la matière de ce superbe autoportrait découvert grâce à Fatiha Toumi, bibliothécaire municipale du 1er arrondissement de Lyon.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes