La revue Parlement[s]

Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés). Cette revue a été publiée successivement par plusieurs éditeurs : Gallimard (n° 0) en 2003, Armand Colin (n° 1 à 6, H-S n° 1 et 2) de 2004 à 2006, Pepper / L’Harmattan (n° 7 à 20, H-S n° 3 à 9) de 2007 à 2013, Classiques Garnier (n° 21 et 22, H-S n° 10) en 2014 et, enfin, les PUR (depuis le n° 23 et le H-S n° 11) à partir de 2016.

La revue Parlement(s) Hors-série n° 17 a pour thème : Le parlement des animaux. Ce dix-septième dossier Hors-série a été coordonné par Malik Mellah (Docteur en histoire, membre associé du Collège des Études mondiales, IHMC), Pierre Serna (Professeur d’histoire moderne à l’Université de Panthéon-Sorbonne, IHRF-IHMC-UMR 8066). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la [Recherche] (avec 6 contribution de 6 chercheurs, jeunes ou confirmées) et la seconde à des [Sources] (au nombre également de 8) commentées par 8 enseignants-chercheurs : Arnaud Exbalin, Boris Cattan, Anne-Louise Le Cossec, Élisabeth Plas, Benoît Martin, Raphaël Devred ainsi que, Pierre Serna et Sylvain Ledda. De plus, dans ce numéro, nous trouvons à nouveau une partie consacrée à des [Lectures] (au nombre de 4) critiquées par 4 historiens (Marion Bélouard, Tomohiro Kaibara, Malik Mellah et Priscilla Coutinho).

En guise d’introduction (p. 11-18), a priori, les règles du contrat social, reposant sur les lois et la représentation des citoyens dans leur Parlement, ne peuvent concerner que les humains. Pourtant, l’une des fonctions de la loi étant de protéger les biens, les animaux ont attiré l’attention des législateurs. Le plus souvent, ils ont été considérés comme des propriétés qu’il fallait sécuriser. Avec les Révolutions des droits de l’Homme, à la fin du XVIIIe siècle, et la transformation des sensibilités pour « les compagnons de travail » ou « les frères inférieurs », progressivement, un nouveau regard a été porté sur les vivants, autres qu’humains. La notion de bien-être animal, de devoir de protection, de considération de la vie interne des animaux, ont fait de la loi l’un des éléments essentiels pour la prise de conscience de la souffrance animale et du caractère insupportable des mauvais traitements qui leurs étaient infligés. Du Japon à l’Italie, en passant par la France, pour aboutir à la législation européenne, ce hors-série de Parlement[s] esquisse les rapports que la loi, entre impératif normatif et devoir éthique, construit entre les animaux, dits politiques selon Aristote, et les autres. Nous sommes parvenus à l’âge des droits pour les animaux. À quand des droits aux autres qu’humains ?

[RECHERCHE]

R 1- Violences faites aux animaux. Littérature et société à l’âge romantique : (p. 21-36)

Sylvain Ledda (Professeur de littérature française, Université de Rouen-Normandie, Cérédi)

La violence animale n’échappe pas aux observations de la littérature romantique. Au lendemain de la Révolution française, la tension entre les beaux quartiers de Paris et les faubourgs trouve une expression symptomatique dans le traitement réservé aux bêtes, et en particulier aux chevaux. Les sévices infligés aux animaux voués à l’équarrissage ont marqué les contemporains de Balzac et la littérature témoigne de cette violence à la fois visible et invisible. Symbole de la condition animale, l’équarrissage de Montfaucon est un lieu de répulsion et de fascination qui alimente l’imaginaire littéraire.

R 2- Le travail des chiens, entre la loi et la nécessité (France, XIXe siècle) : (p. 37-59)

François Jarrige (Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, LIR3S-UMR 7366 CNRS-uB)

Le travail des chiens s’étend au XIXe siècle, de nombreux animaux tirent des charges ou produisent de la force au moyen de roues. Ces activités provoquent des débats sur la légitimité du travail des chiens qui sont de plus en plus dotés d’un statut à part. Les essais pour l’interdire ou le réglementer tardent néanmoins car ils se heurtent à la nécessité et aux besoins des acteurs les plus modestes. Alors qu’aucune loi nationale n’est adoptée, l’usage des chiens de traction fait l’objet d’un maquis complexe de règlements locaux, variables selon les pratiques et les rapports de force. C’est moins la loi qui le fait finalement disparaître que l’essor de la motorisation et de l’électrification au milieu du XXe siècle.

R 3- L’économie rurale vétérinaire ou comment le législateur de l’an III prépare la révélation des « droits des animaux » (1794-1799) : (p. 61-76)

Malik Mellah (Docteur en histoire, membre associé du Collège des Études mondiales, IHMC)

En insistant sur l’interdépendance de choix scientifiques avec les principes culturels ou les convictions politiques des « thermidoriens », le travail législatif sur la réorganisation des écoles vétérinaires constitue une des projections les plus fortes de la pensée politique qui veut enclencher un processus d’amélioration morale et économique fondée non seulement sur une science générale de l’homme mais aussi sur une science républicaine de la nature déclinée dans ces deux dimensions mobilisables : la terre et l’animal.

R 4- La migration de la sensibilité des animaux du Code rural au Code civil : Une révolution théorique 40 ans après la loi no 76-629 du 10 juillet 1976 : (p. 77-91)

Jacques Leroy (Agrégé des Facultés de Droit, Professeur émérite à l’Université d’Orléans, CRJ Pothier-EA1212)

Jean-Pierre Marguénaud (Agrégé des Facultés de Droit, Directeur de la Revue semestrielle de droit animalier, IDEDH-EA 3976, Université de Montpellier)

La loi du 10 juillet 1976, relayée un quart de siècle plus tard par l’article L 214-1 du Code rural et de la pêche maritime, a expressément reconnu la qualité d’êtres sensibles des animaux devant être placés par leur propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de leur espèce. Cependant, inscrite dans une loi destinée à protéger la flore et la faune sauvages, cette disposition visait davantage les espèces que les individus et s’inscrivait dans une approche antinomique de protection d’un être sensible en fonction de sa qualité d’être appropriable. Les perspectives ont radicalement changé lorsque la sensibilité des animaux, cantonnée dans le Code rural qui protège d’abord les intérêts d’une catégorie professionnelle, a été également reconnue par le Code civil, considéré comme la Constitution civile des Français au service de l’ensemble de la société civile. À partir du nouvel article 515-14 du Code civil, c’est la sensibilité de tous les animaux, soumis ou préservés de la domination de l’homme, qui est désormais prise en compte. Surtout, le nouveau statut civil de l’animal – désormais reconnu comme un être vivant doué de sensibilité – s’est logiquement articulé à partir de son extraction, laborieuse mais incontestable, de la catégorie des biens. Dès lors, des perspectives de personnification juridique de certains animaux peuvent s’ouvrir, dans la mesure où celle-ci est essentiellement envisagée comme un moyen technique particulièrement commode pour renforcer leur protection.

R 5- Les édits de compassion : animal, morale et politique dans le Japon du shogun Tsunayoshi (1687-1709) : (p. 93-111)

Tomohiro Kaibara (Doctorant, CRH EHESS)

Dans le Japon de Tokugawa Tsunayoshi (1646-1709), les animaux acquirent une centralité politique, protégés par les nombreux édits dits « de compassion pour les êtres vivants », émanant du shogun. Situant ces édits tant dans le contexte politique et intellectuel du shogunat que dans les situations locales, cet article montre comment l’animal devint emblématique de la civilisation des mœurs sous l’impulsion d’un État centralisé au tournant du XVIIIe siècle.

R 6- Droits des animaux, devoirs des êtres humains : la législation relative à la protection animale en Italie : (p. 113-133)

Giulia Guazzaloca (Université de Bologne, Département des sciences politiques et sociales)

L’article examinera les développements de la législation italienne sur la protection des animaux, en les reliant à l’augmentation progressive de la sensibilisation du public à la souffrance animale et à la consolidation des mouvements et groupes de défense des animaux. À partir de la première loi anti-cruauté (1890), l’intense débat qui a accompagné la promulgation de la loi de 1913, la législation fasciste et les dispositions d’après-guerre seront analysés. Le propos se concentrera ensuite sur le tournant que le mouvement des droits des animaux, en Italie comme ailleurs, a connu à partir des années 1970-1980, culminant dans la naissance de nouveaux groupes de défense des animaux et anti-vivisection, et dans la riche législation des années 1990-2000.

[SOURCES]

S 1- La conquête animale du nouveau monde dans le Codex florentin : (p. 136-142)

Arnaud Exbalin (Maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris-Nanterre, UMR Mondes)

Consacrée à de la Conquête du Mexique, cette peinture figure en couverture du douzième et dernier livre du Codex florentin. L’auteur de l’image est inconnu. En revanche, nous savons comment cette Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne (c’est son autre titre) a été composée au milieu du XVIe siècle, à Mexico, dans le collège franciscain de Santa-Cruz Tlatelolco. Cette encyclopédie est le fruit d’une enquête coordonnée par le franciscain Bernardino de Sahagún (il arriva en Nouvelle-Espagne en 1529) qui eut le projet démentiel de collecter tous les savoirs, les croyances, l’histoire, la faune et la flore des populations indigènes de langue nahuatl du plateau central du Mexique. Son ambition était alors de comprendre les cosmovisions des Indiens dans le but de trouver les moyens les plus efficaces pour évangéliser ceux que l’on appelait alors les Naturels. Le Codex florentin se présente sous la forme d’un épais manuel, une somme de trois volumes de 500 folios chacun, destiné à former les missionnaires de la Nouvelle-Espagne. Depuis ses différentes éditions au XIXe siècle, il est devenu un fantastique document ethnographique pour les anthropologues et les historiens.

S 2- La réglementation urbaine sur les porcs à Mexico au XVIIIe siècle : (p. 143-150)

Arnaud Exbalin (Maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris-Nanterre, UMR Mondes)

Le règlement a été émis par le second comte de Revillagigedo, le 17 février 1792. Il vient renouveler deux décrets antérieurs publiés par la commission municipale de police et des poids et mesures de 1756 et de 1778 qui sont retranscrits dans le texte normatif de 1792. Le vice-roi dans les Indes espagnoles est le premier représentant du monarque dans les Amériques, ici le royaume de la Nouvelle-Espagne. À partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, il intervient régulièrement dans les attributions policières de la municipalité et donc des animaux (porcs, chevaux, chiens, vaches laitières). Ce document confirme le rôle croissant du vice-roi en la matière, attestant de la percée d’une conception royale de l’ordre urbain dans une ville traditionnellement gouvernée par les différents tribunaux des corps constitués. Le règlement porte sur la présence de cochons gyrovagues dans les rues de Mexico et sur la vente au détail de produits issus de la découpe du porc.

S 3- Quelques sources pour écrire une histoire politique de l’élevage du cheval en France en 1789 : (p. 151-155)

Boris Cattan (Doctorant, IHMC-IHRF, Université Paris 1)

Le nombre de chevaux présents sur le territoire du Royaume de France est mal connu. Lavoisier, en 1791, est le premier à en donner une estimation à la veille de la Révolution française. Selon le savant et sans que l’on connaisse la méthode utilisée, le royaume compte 1 751 000 chevaux dont l’immense majorité – 85 % – est utilisée pour la culture des terres. Daniel Roche pense que Lavoisier omet les poulains qui représentent plus de 20 % du nombre de chevaux total. Aussi le royaume serait-il peuplé d’au moins 2 100 000 chevaux. Pour qui veut connaître l’élevage du cheval en France en 1789 et dans la décennie qui précède la Révolution, les Archives nationales recèlent d’abondantes ressources documentaires, principalement trois : dans les sous-séries H au Centre d’accueil et de recherche des Archives nationales (Caran) et F10 à Pierrefitte, qui peuvent être complétées par la lecture des Archives parlementaires et du Moniteur.

S 4- L’article « femme de race boschimanne » dans l’Histoire naturelle des Mammifères (1819-1842) de Fréderic Cuvier : (p. 156-161)

Anne-Louise Le Cossec (Doctorante, IHMC)

La présence d’un article rédigé par Georges Cuvier (frère de Frédéric Cuvier) et intitulé « Femme de race boschimanne » dans la vingtième livraison datée de 1820 interpelle. La femme dont il est question dans cet article est Sarah Baartman, aussi appelée la « Vénus Hottentote ». Venue d’Afrique du Sud, elle rejoint l’Europe en 1810, d’abord Londres où elle devient une célébrité en raison de ses caractéristiques physiques après avoir été exposée dans diverses foires, puis à Paris en 1814. Il faut remarquer qu’il s’agit là de la seule contribution de Georges Cuvier quand la majorité des textes sont de la main de son frère Frédéric Cuvier et que, par ailleurs, l’article n’est pas inédit puisqu’il a déjà été publié en 1817 dans un rapport à l’Académie des Sciences. Il y décrit les caractéristiques jugées exceptionnelles de cette femme qu’il a vue de son vivant et après sa mort, puisque son corps a été transporté au Muséum où une dissection a eu lieu. Il insiste notamment sur ses organes génitaux dont il rappelle en tête d’article qu’ils ont été l’objet de débats entre divers auteurs de récits de voyage et dont il discute. Il cherche par là à voir si des différences existent entre le peuple de Boschimans et d’autres comme les Hottentots dans une réflexion sur les « variétés de l’espèce humaine ».

S 5- « Encore une Révolution ! » Scènes de la vie politique des animaux (1840-1842) : (p. 163-170)

Élisabeth Plas (Docteure en littérature française, professeur agrégée dans l’enseignement secondaire, CRP19)

La Révolution des hommes (comme celle de 1789) fut aussi celle des animaux. En cette période de profonde mutation, des années 1750 aux années 1830, l’histoire des hommes se mêla plus que jamais et de diverses manières à l’histoire des animaux, transformant le destin du peuple animal. L’historiographie récente a exploré et documenté cette histoire mêlée, en montrant comment l’idéologie républicaine, en réorganisant l’ordre des hommes, ne pouvait manquer de repenser l’ordre animal, en continuité ou en rupture avec le premier, non sans ambivalences et contradictions. La définition d’une citoyenneté implique en effet la redéfinition conjointe du statut des hommes et des animaux, mais les discours politiques et scientifiques se trouvent alors pris dans une contradiction qui peut schématiquement se résumer ainsi : au moment même où l’on découvre un animal intelligent et sensible, dont les droits sont naturels, l’ordre républicain invente un homme civique, dont les droits sont la conséquence d’une inscription dans le tissu social. De cette évolution capitale, pour l’historien de la littérature comme pour l’historien des animaux, l’œuvre des Scènes de la vie privée et publique des animaux, est révélatrice.

S 6- Le poids politique des petits oiseaux. Cinquante ans de débats au conseil général de la Gironde après la loi chasse de 1844 : (p. 171-178)

Benoît Martin (Doctorant en histoire contemporaine à l’Université Bordeaux Montaigne, CEMMC)

C’est avec circonspection que le conseil général de la Gironde accueille, le 30 août 1844, la nouvelle loi chasse. C’est la première fois qu’il délibère depuis la promulgation, le 3 mai 1844, de ce texte qui confie à chaque département, via le préfet, l’élaboration de la réglementation locale dans un cadre national. Il y a urgence à réprimer le braconnage : le gibier se fait rare, les populations de petits oiseaux chutent. Si la loi instaure un permis de chasse – et plus seulement de port d’armes –, et n’autorise plus que la chasse à tir et à courre, elle a à cœur de prendre en compte les particularités locales, telle la chasse des oiseaux de passage. À l’époque des migrations, certains départements du Midi bénéficient en effet d’une manne tombée du ciel qui vient améliorer l’ordinaire des populations rurales. La recension des débats qui animent le conseil général de la Gironde tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle sur la question, à première vue anodine, de la chasse aux petits oiseaux jette un jour nouveau sur la construction de l’État-Nation et la métamorphose de la société française. Ces discussions constituent également les prémices d’un débat écologique qui embrassera trois siècles. Il ne sera bientôt plus question de chasser les petits oiseaux mais de les protéger au regard de leur utilité pour l’agriculture puis de manière absolue.

S 7- Les tableaux des chasses présidentielles : une source d’histoire environnementale politique (1880-2010) : (p. 179-184)

Raphaël Devred (Doctorant en histoire environnementale à l’Université-Versailles-Saint-Quentin, Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines-EA 2448)

L’histoire environnementale invite à se saisir ou à relire des sources au prisme de la nature. Les tableaux de chasse apparaissent comme une source précieuse dans l’histoire environnementale de la chasse, et tout spécialement autour du phénomène des chasses présidentielles françaises. Ces sources sont inédites, et documentent de manière sérielle, quantitative et chronologique l’évolution d’un phénomène complexe. Elles témoignent de son ampleur et de son rôle souvent sous-estimé au point de vue politique. Bien plus qu’un divertissement, les chasses présidentielles sont des cérémoniaux de premier ordre pour le président et permettent de réunir une cour choisie dans des domaines aménagés pour ces réceptions d’élite. À Rambouillet, Marly (1880-1995), Compiègne (1900-1906) et Chambord (1965-2010), les invités viennent chasser une variété d’animaux qui témoignent d’un rapport symbolique et politique aux animaux. Conservés aux Archives départementales des Yvelines et aux Archives nationales dans les séries présidentielles, les tableaux de chasse sont les sources les plus nombreuses, les plus stables et parmi les plus fiables pour suivre toute une série de données historiographiques de premier ordre, que ce soient les invités présidentiels, leur nombre et leur fonction, le type de chasse, et les espèces animales chassées.

S 8- En couverture, l’affiche de Léon Carré pour la Société protectrice des animaux (1904) : (p. 186-199)

Pierre Serna (Professeur à l’Université de Panthéon Sorbonne – IHRF-IHMC-UMR 8066)

Sylvain Ledda (Professeur de littérature française, Université de Rouen-Normandie, Cérédi)

Le langage visuel est puissant qui fait la publicité de l’association protectrice des animaux en ce début de XXe siècle, manifestement point Belle époque pour tous les vivants. Le message est clair et s’impose avec justesse dans le combat contre les violences faites aux animaux. Son présupposé mérite d’être discuté car, bien que sans parole, il est un manifeste social de méfiance vis-à-vis d’un Laborieux représenté avant tout comme un dangereux. De l’image à sa généralisation, il y a un pas qui ne sera pas franchi dans ce commentaire mais qui a pu l’être par certains observateurs de l’époque, connaissant bien les signes distinctifs de la moustache virile, du foulard rouge, de cette tenue débraillée de travailleur de rue et de ce geste maintes fois vu dans le spectacle affligeant du quotidien, témoin de la souffrance animale au travail.

[LECTURES]

L 1- « Les Animaux du Roi ». Exposition au château de Versailles (oct. 2021-fév. 2022) et catalogue : Alexandre Maral, Nicolas Milovanovic (dir.), Les animaux du Roi, Paris, Château de Versailles et Liénart, 2021, 463 p. par Marion Bélouard – Université de Limoges, INHA (p. 205-210)

Dans le courant des études animalistes, l’exposition organisée conjointement par le château de Versailles et le musée du Louvre propose d’envisager de façon novatrice et dans une perspective historique et culturelle la place des animaux à la cour de France, du règne de Louis XIV à celui de Louis XVI. D’apparat, de chasse, de collection ou de compagnie, sous forme de représentations peintes, sculptées, imprimées ou encore tissées, le parcours rappelle combien les animaux ont toujours fait partie intégrante de la vie à Versailles, et plus précisément le rôle essentiel qu’ils jouent dans l’exercice du pouvoir et au sein de l’écosystème politique. Conçue dans une scénographie immersive et théâtrale, l’exposition se caractérise avant tout par la richesse des collections présentées. Quelque trois cents objets des domaines des arts décoratifs, des sciences naturelles, de la peinture et de la sculpture animalière sont rassemblés à travers plus de dix salles thématiques : le bosquet du labyrinthe, les animaux vedettes, les oiseaux de la ménagerie, la chasse, la ménagerie royale, l’histoire naturelle, l’animal comme symbole politique, les animaux de compagnie, l’animal précieux, Versailles contre les animaux-machines, les animaux de ferme. À cette importante quantité d’œuvres s’ajoute le caractère extrêmement rare de certaines pièces issues de collections privées (notamment les peintures de Jean-Baptiste Oudry, Trois chiens et une antilope, 1745, et Portrait du Général, chat de Louis XV, 1728) ou de prêts exceptionnels de musées (François Boucher, La chasse au crocodile, 1739, en provenance des Musées d’Amiens, ou la collection des vélins du Muséum National d’Histoire Naturelle). Ainsi rassemblées et mises en dialogue, ces figurations bestiales attestent de la pertinence du sujet ici traité et nous invitent à considérer à nouveaux frais le triomphe de l’art animalier en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais surtout l’agitation philosophique et passionnelle qu’ont suscitée les animaux dans la société intellectuelle et aristocratique versaillaise. Originale par son approche proprement animaliste, c’est-à-dire en ce qu’elle traite des animaux pour ce qu’ils sont perçus plutôt que des connaissances humaines qu’ils peuvent nous apporter, l’exposition met au jour les relations entre l’homme et l’animal en regard d’une conception de la nature, aux xvii et XVIIIe siècles, à la fois comme ressource de laquelle il faut tirer avantage, mais également comme objet de sensibilité digne d’être considéré. Si la question coloniale, inhérente à la condition animale et aux interrogations philosophiques quant au droit des animaux déjà en jeu à Versailles, eut participé à étayer le paradoxe, « Les Animaux du Roi » reste une exposition dont la portée scientifique et la contribution aux débats contemporains est assurée.

L 2- Éric Baratay, Cultures félines (XVIIIe-XXIe siècle). Les chats créent leur histoire, Paris, Le Seuil, 2021, 336 p. par Tomohiro Kaibara – Doctorant, CRH EHESS (p. 210-213)

Cet ouvrage retrace l’histoire des chats du XVIIIe siècle à nos jours, assumant leur point de vue, pour montrer que ces animaux sont des êtres historiques et culturels, dans le sens où chacun est capable de s’adapter à son environnement, particulier et historique, élaborant sa propre manière d’agir. L’auteur oppose cette thèse au déterminisme biologique qui postule une nature immuable et universelle du chat, mais aussi à la conception littéraire, perpétuée depuis le romantisme et pareillement anhistorique, qui fait du chat un animal toujours indépendant, imprévisible et mystérieux. Éric Baratay avance que le rapport « humano-félin » amical, devenu normal aujourd’hui, était au XVIIIe siècle l’apanage de l’aristocratie, ignoré par les ouvriers qui s’amusaient du « grand massacre des chats » (Robert Darnton). Au XIXe siècle, il s’est propagé dans la bourgeoisie urbaine, avant de connaître un grand essor vers la fin du XXe siècle, lorsque les chats s’imposent largement comme animaux de compagnie, même hors des villes, grâce à la propagation de l’image du chat de compagnie dans les médias. Éric Baratay ne néglige certes pas ce dernier et parle amplement de l’évolution historique de l’attitude humaine envers les chats, qui conditionne « l’environnement » pour ces derniers. Tout de même, la question des conventions culturelles réglant les sources l’intéresse très peu, sans doute parce qu’elle ne concerne pas directement le vécu des chats. Il s’agit cependant d’une considération méthodologique nécessaire pour vraiment accéder à la vie des animaux à travers les sources écrites par humains, à travers donc la médiation nécessairement humaine. La démonstration du livre aurait été mieux étayée si l’auteur s’était questionné sur l’opacité des sources. En dépit de cette réserve, le livre d’Éric Baratay reste novateur, instructif et stimulant. Son originalité lexicale et typographique contribue à une expérience de lecture plaisante et mémorable.

L 3- La guerre des moutons. Le mérinos à la conquête du monde. 1786-2021, Montreuil, éditions Gourcuff Gradenigo, 2021, 208 p. par Malik Mellah – Docteur en histoire, membre associé du Collège des Études mondiales, IHMC (p. 214-216)

Si le titre déjà emprunté par divers auteurs relève du calembour et si l’à-peu-près fleure toujours bon les images animées collant à la France en noir et blanc de Louis Pergaud et d’Yves Robert, c’est le sous-titre qui doit être retenu par le lecteur attentif : le mérinos à la conquête du monde 1786-2021. Il serait d’abord réducteur de ne faire des ovins que des bêtes de guerre. Le propos est beaucoup plus complexe puisque l’ouvrage est davantage que le catalogue de l’exposition proposée à Paris par les Archives Nationales. Il s’agit d’une véritable tentative pour poser les bases d’une histoire élargie avec le mouton mérinos. Comme l’indique implicitement la photographie de la quatrième couverture, bien plus que les pierres des constructions de la Bergerie nationale de Rambouillet, c’est le précieux troupeau de béliers et brebis mérinos dont la souche est conservée pure depuis 1786 qui constitue la porte d’entrée d’une histoire qui institue le mouton en objet et en observatoire d’une histoire politique, scientifique, technique ou bien encore diplomatique. La longue expérience, commencée à la fin du XVIIIe siècle, d’acclimatation, de conservation, de diffusion ou d’amélioration du mouton mérinos, est amplement présentée dans les six contributions d’archivistes, d’historiens et historiennes qui s’efforcent non seulement d’offrir un éclairage aux riches reproductions et photographies mais surtout de proposer une petite somme établissant l’importance de l’élevage ovin dans l’histoire européenne. La qualité de l’ensemble nourrit toutefois son principal défaut. Il ne constitue qu’un ensemble de mises au point, de synthèses, souvent agréables à lire, qu’on rêverait, à la manière des toisons rêvées par les propriétaires et les agronomes français, voire un jour plus étoffées. L’ouvrage reste en effet le très bel accompagnement d’une exposition et ne présente à ce titre ni bibliographie d’ensemble, ni index.

L 4- Dominique Guillo, Les fondements oubliés de la culture. Une approche écologique, Paris, Éditions du Seuil, 2019 par Priscilla Coutinho – Docteure en littérature (p. 217-223)

Et si l’effacement de la frontière entre nature/culture nous permettait de mieux explorer les relations anthropozoologiques, en nous invitant à rapprocher sciences de la vie et sciences sociales dans une démarche méthodologique pluridisciplinaire ? Telle est la théorie proposée par Dominique Guillo dans cet ouvrage qui s’inscrit dans la lignée de ses travaux sur la question de la sociabilité animale, sujet qu’il développe depuis quelques années. Le défi lancé par le sociologue est de repenser l’alignement identitaire sur lequel repose la culture, afin de se tourner vers d’autres facteurs qui se côtoient dans un réseau fort complexe, où gènes et cultures humaines interagissent avec gènes et cultures animales. Insérée dans une « dynamique évolutive des comportements », l’approche de Dominique Guillo s’affiche comme davantage évolutionniste et interactionniste ; deux courants qui s’articulent pour faire ressortir un schème écologique. Le livre ample et dense de Dominique Guillo apporte un regard fort intéressant et novateur sur les relations anthropozoologiques, nous permettant de les concevoir autrement que par le dualisme réducteur nature/culture. La base empirique des observations et la description méthodologique des analyses ici proposées démontrent la complexité des interactions interspécifiques et révèlent l’importance de son approche écologique. Toutefois, c’est du fait même de son amplitude, et de son caractère conceptuel, que le livre semble parfois brouiller la compréhension de son propos central. Malgré les exemples qui viennent illustrer les théories abordées, la cadence des informations, ainsi que l’organisation de l’ouvrage – avec des nombreuses sous-divisions –, alourdissent le texte et requièrent un lecteur aguerri et averti. Certes, une approche plus détaillée et didactique des sujets qui y sont évoqués ne pourrait se faire sans augmenter considérablement le volume du livre. Mais il ne serait pas inintéressant de pouvoir se concentrer sur la richesse et l’originalité des arguments de Dominique Guillo plutôt que de s’attarder trop sur les concepts développés notamment dans les premiers chapitres.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)