Ici, Georges-Henri SoutouProfesseur émérite d’histoire contemporaine à Sorbonne Université et membre de l’Académie des sciences morales et politiques, Georges-Henri Soutou est l’auteur notamment de L’or et le sang (Fayard, 1989), L’Europe de 1815 à nos jours (Presses universitaires de France, 2015), La Guerre froide de la France : 1941-1990 (Tallandier, 2018), La Grande illusion. Quand la France perdait la paix, 1914-1920 (Tallandier, 2015). soulève un point, qui, de prime abord, interpelle. En effet, contre toute attente, l’auteur traite du sujet de l’Europe entre 1939 et 1945, sujet ô combien discuté par Rome et Berlin ! Toutefois, l’auteur ne manque pas d’évoquer les différences idéologiques existant entre Hitler et Mussolini concernant l’Europe. En effet, si le führer entend étendre la domination du Reich sur l’ensemble du continent ; le duce pour sa part, profondément plus européen qu’Hitler, a une vision plus nationaliste et impérialiste de l’idée d’Europe.

Une Europe prédisposée

En effet, la fin du premier conflit mondial fait naître un climat hypernationaliste en Europe, parmi les vaincus, mais aussi en Italie, pays allié à la victoire « mutilée ». Cette déception transalpine sera à l’origine du fascisme. Alors qu’il sort de cette Première Guerre mondiale exsangue, meurtri dans sa chair et dans sa terre, le continent européen est frappé de plein fouet par une crise économique mondiale qui remet en cause les idéologies libérale et socialiste apparues au XIXsiècle.

Dès lors, de nouveaux courants de politiques, dépassant le clivage droite-gauche, apparaissaient en Europe. En réaction aux projets briandistes, d’inspiration libérale, les différents courants de pensée réactionnaires et antidémocratiques se renouvellent. Cependant, nazis et fascistes n’ont pas la même vision de l’Europe. Face à la volonté prométhéenne du nationaliste jacobin Mussolini, Hitler lui oppose un antilibéralisme antisémite et racial.

Malgré leurs divergences idéologiques, les deux régimes refusent l’ordre libéral et démocratique. Cette communauté de vues cimente cette union transnationale entre l’Allemagne et l’Italie. L’idée d’une Europe nouvelle, en rupture avec l’ordre établi à Versailles, est partagée dans nombre d’autres gouvernements, avec le soutien massif de leurs populations.

Le fascisme et l’Europe : un grand espace euro-méditerranéen

La politique extérieure italienne des années 30 est complexe. Si après-guerre, Rome a reçu des territoires, elle revendique toutefois des territoires balkaniques et va même jusqu’à occuper militairement Corfou. Pour autant, Mussolini soutient le projet de pacte des Quatre. Contre toute attente, l’accession de Hitler au pouvoir permet à l’Italie de jouer un rôle de puissance stabilisatrice en Europe.

Mussolini entend cependant organiser une Europe fasciste. Aussi entend-il exporter le fascisme autour de la Méditerranée et de l’Afrique. Le projet impérial et méditerranéen de Mussolini a comme pointe de rupture la guerre d’Éthiopie. Parallèlement, le duce apporte son soutien à Franco durant la guerre civile espagnole. Les deux dictateurs sont en effet proches idéologiquement, cependant, Mussolini craint que le fascisme européen qu’il prône ne profite qu’au régime nazi.

À la veille du second conflit mondial, Mussolini évoque l’axe Rome-Berlin, définissant les tâches de chacun : à l’Allemagne les régions danubiennes, à l’Italie la Méditerranée. Les idéologues allemands, pour leur part, évoquent les « grands espaces ». Aussi envisagent-ils l’Europe pour le Reich, la Méditerranée et le Moyen-Orient pour l’Italie. Hitler et Mussolini divergent sur leurs différentes orientations géopolitiques, lesquelles correspondent à leurs axes idéologiques propres.

Cependant, Rome ne peut mener à bien sa « guerre parallèle » à celle de Berlin, ses échecs militaires l’obligent à entrer inéluctablement dans l’orbite du Reich et, in fine, à sa conception européenne de « grand espace européen ».

Le Troisième Reich et l’Europe

Le thème de l’Europe apparaît plus tardivement en Allemagne qu’en Italie. La conception hitlérienne de l’Europe consiste à acquérir l’espace nécessaire pour les peuples germaniques : le Lebensraum. Pour ce faire, Hitler entend rayer de la carte la Tchécoslovaquie et la Pologne ainsi que les populations juives du continent. Le Reich souhaite voir disparaître les petits États-nations au profit d’ensembles politiques et de grands espaces économiques plus vastes, afin de faire obstacle au mondialisme libéral anglo-américain.

Le chancelier du Reich souhaite instaurer un nouveau système international autour de grands blocs continentaux : le Großraum. Cependant, à Berlin, l’idée de « Nouvelle Europe » oppose différents courants de pensée. Les conservateurs tout d’abord, — favorables à une Mitteleuropa — s’opposent aux nationalistes (SA et membres du parti nazi), tenants qu’une vision plus territoriale que raciale. Les SS enfin, considèrent que la recomposition raciale de l’Europe passe par la destruction des juifs et l’asservissement des Slaves, dans l’unique but de parvenir au Lebensraum.

Cependant, la notion la plus importante pour le IIIReich — après celle de la race — demeure le « grand espace européen ». Cette notion comporte des aspects à la fois politiques, économiques, mais aussi juridiques.

Le projet euro-méditerranéen initial (1940-1941)

Malgré leurs divergences de vues, Rome et Berlin souhaitent réorganiser l’Europe autour d’un projet euro-méditerranéen cohérent, dont la sécurité serait garantie par l’Allemagne et l’Italie, face au bloc formé par les Anglo-américains.

Une fois la Pologne envahie, Hitler entend proposer la création d’un vaste espace économique grand-allemand regroupant le Reich, la Bohème-Moravie, la Pologne, le Luxembourg, la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas et le Danemark, le tout dans une union douanière et monétaire dirigée par Berlin.

L’Allemagne accepte de laisser la Méditerranée à l’Italie, à la seule condition que Mussolini accepte l’Anschluss et renonce à sa politique danubienne. Rome, Berlin et Madrid — dans une moindre mesure — entendent se partager le continent africain, n’en laissant qu’une infime part à la France de Vichy.

« Ventre mou » de la Nouvelle Europe, les Balkans sont au cœur des appétits communs de Rome et Berlin. Mussolini craint une éventuelle occupation allemande de cette région que l’Italie considère comme faisant partie de sa zone d’influence politico-économique. Finalement, un modus vivendi est arrêté et les Balkans divisés. La Yougoslavie et la Grèce reviennent à Rome, le reste revenant à Berlin.

Nonobstant, après la crise économique des années 30, l’influence allemande de ces régions ne cessera de s’accroître, au détriment de l’Italie. De plus, Hitler reprendra à son compte l’héritage de Guillaume II en s’alliant au Moyen-Orient musulman hostile aux Anglo-américains philosémites.

L’invariant hitlérien : un Germanisches Reich deutscher nation ?

Se voulant l’héritier du Reich bismarckien, Hitler entend rattacher à l’Allemagne, l’ensemble des nations germaniques. Pour ce faire, il entend rattacher au Reich les populations « germaniques » scandinaves et flamandes. Cependant, si la Scandinavie occupe une proximité culturelle et « raciale » avec l’Allemagne, elle n’est cependant pas au diapason du Reich. La question de l’intégration flamande au Reich, si elle est facilement envisageable pour les Pays-Bas, il n’en est pas de même pour la Belgique. Seule la Suisse n’est pas envahie par l’Allemagne. Jamais elle ne se ralliera au projet hitlérien d’Europe nouvelle.

À côté de ce Reich germanique est instauré le protectorat de Bohème-Moravie, après l’invasion des Sudètes et sa séparation d’avec la Slovaquie. Après avoir envahi la Pologne et annexé les territoires perdus en 1919, Hitler y instaure un Gouvernement général, colonisant le reste du territoire polonais pour y installer des colons allemands, une fois les populations juives et polonaises expulsées.

Cependant, l’invariant hitlérien n’est pas fiable. En effet l’Europe sous domination allemande manque de matières premières stratégiquement et économiquement primordiales, tels le pétrole, le charbon et la nourriture. De ce fait, le Reich ne peut faire face au poids stratégico-économique des Anglo-américains.

Pour faire face à ces derniers, le Reich n’a d’autre choix que d’englober l’Europe jusqu’à l’Oural, le Moyen-Orient ainsi que l’Afrique, le tout, en s’entendant avec l’Italie, la France, possiblement l’Espagne, pour contrôler conjointement le Moyen-Orient et le continent africain.

Vichy dans le « nouvel ordre européen »

L’adhésion du gouvernement de Vichy à l’« ordre nouveau » répond à deux facteurs : idéologique et stratégique. Si tout comme l’Allemagne, la France souhaite remplacer la SDN et voir le retour au concert européen des grandes puissances au XIXsiècle, elle sait aussi ne pas être en capacité de s’opposer au Reich.

La France et son Empire constituent un bloc de 100 millions d’habitants. Afin de ne pas déplaire au maître de Berlin, la France se désengage de son alliance diplomatique et militaire, au sein de la Petite Entente, pour se recentrer sur son Empire, tout en recherchant un compromis avec le Reich. Ainsi la France fait-elle le choix d’abandonner l’Europe centrale et orientale à l’Allemagne pour maintenir sa souveraineté en métropole et dans l’Empire, tout en s’associant par ailleurs au « nouvel ordre européen ».

Ce changement de politique extérieure permet à la France de bénéficier d’un armistice conciliant de la part de Rome et Berlin, qui, pragmatiques, souhaitent éviter que le gouvernement français ne poursuive la guerre outre-Manche, ou bien encore en Afrique du Nord.

Maître d’un tiers du territoire métropolitain, à la tête d’un Empire conservé et d’une armée de 100 000 hommes, le gouvernement de Vichy inaugure sa politique de « Révolution nationale », s’inscrivant pleinement dans l’ordre nouveau hitlérien.

Cette collaboration de l’État français au Reich ne se fait pas sans heurts. Deux conceptions s’opposent à Vichy. Une majoritaire — défendue par Laval — entend inscrire la France dans ce nouvel ordre européen dominé par l’Allemagne, et une minoritaire, plus traditionnelle et plus classique, qui appelle de ses vœux à un équilibre européen capable de faire contrepoids au Reich. Pétain se trouve enserré entre ces deux visions antagonistes.

Structures mentales de la « Nouvelle Europe »

Vaincue militairement, la France doit marcher sans réserve avec le Reich. Ainsi la collaboration d’État instaurée par Vichy doit-elle permettre de s’adapter au « nouvel ordre européen ».

Cette idéologie collaborationniste européenne, débutée avant-guerre, se poursuit durant celle-ci. La collaboration idéologique entre les deux fondateurs de l’Axe Rome Berlin est fondamentale. En effet, si l’Allemagne souhaite une Europe très unifiée, l’Italie est quant à elle plus favorable à une Europe plus souple et confédéraliste, dans un ensemble méditerranéen conduit par Rome. Cependant, les deux régimes convergent sur un point essentiel, celui de la culture comme moyen de contrôle social total des peuples.

Débutée dans les années 30, la collaboration idéologique entre les deux fondateurs de l’Axe Rome-Berlin se poursuit. Ainsi les deux États totalitaires tentent-ils d’élaborer des normes juridiques communes pour l’Europe future. In fine, cette coopération germano-italienne verra le duce s’aligner sur le führer.

Le grand espace économie européen, antécédents et prolégomènes

Frappées de plein fouet par la crise économique, les classes moyennes européennes de l’entre-deux-guerres rejettent massivement le modèle libéral américain. Devant cette crise économique des années 30, le Reich entend recentrer son économie sur l’Europe, notamment en augmentant ses échanges extérieurs avec l’Italie, ainsi qu’avec l’Europe danubienne et balkanique. Rejetant le modèle capitaliste libéral, Berlin lance un « nouveau plan » économique dès 1933.

Hitler place les considérations économiques au premier rang des paramètres de sa réflexion politico-stratégique. Dès juin 1940, l’Allemagne prépare un grand espace économique européen, vaste union douanière et économique européenne dirigée depuis Berlin.

Hitler et Mussolini entendent instaurer un espace économique européen indépendant du libéralisme anglo-américain et de l’économie planifiée soviétique. L’Italie mussolinienne dépasse l’espace économique européen; elle souhaite se suffire à elle-même économiquement et entend s’appuyer sur ses colonies pour y parvenir, à l’instar du Commonwealth britannique et de l’Empire français.

Cette orientation méditerranéo-africaine de l’Italie concourt à différencier les priorités économiques de Rome et de Berlin, en rivalité politique et économique, principalement dans les Balkans. Beaucoup à Berlin, considèrent que le véritable espace géostratégique pour le Reich doit dépasser l’Europe pour aboutir à l’Eurafrique.

Le grand espace économique, projets et réalisations

Pour mener à bien la guerre, le Reich doit s’approvisionner en matières premières. Pour contrer le blocus imposé par les alliés, l’Allemagne doit pouvoir diriger un grand espace économique comprenant l’Europe danubienne et balkanique, l’Europe du Nord, l’Espagne et l’Italie.

Pour ce faire, le Reich entend réorganiser l’économie et les échanges financiers de ce vaste espace économique européen. Pour Berlin, le Reichsmark doit former, avec les « monnaies vassales », un bloc monétaire cohérent. Les transactions économiques entre États sont encore possibles après l’établissement d’un clearing multilatéral. Le développement des échanges et des interpénétrations des économies de ce grand espace économique doit déboucher à terme, sur une union douanière et monétaire.

L’idée d’un grand espace économique européen, sous domination allemande, est favorablement accueillie par le monde de la finance du vieux continent. Passé l’idée d’autosuffisance de la Grande Europe en matière économique, le projet de grand espace européen revient après la bataille de Stalingrad. En effet, l’Allemagne tente de relancer l’idée d’un vaste ensemble économique capable d’assurer au continent son indépendance économique face aux alliés, au moment même où ces derniers échafaudent des projets pour l’Europe au sortir du conflit mondial armé. Les universitaires allemands réfléchissent quant à eux à une communauté économique européenne, une fois la paix mondiale recouvrée.

Toutefois, au sein du Reich, cette question divise. À ceux des idéologues qui prônent une forme de socialisme, s’opposent les réalistes, qui conçoivent l’économie de marché régulée et épaulée par l’État. Alors que la guerre est perdue pour les puissances de l’Axe, l’idée de grand espace économique européen pour contrer l’impérialisme anglo-américain est encore espérée. Les patronats allemand, italien et français, se préparent à l’économie d’après guerre.

L’Europe occidentale occupée dans le grand espace économique

L’Europe comme ensemble économique existe depuis toujours. Cependant, à partir de juillet 1940, les économies des pays occupés par les forces de l’Axe sont coupées de leurs fournisseurs anglo-américains.

Directement impactée, l’Allemagne tente de trouver un palliatif en faisant transférer sur son territoire, les machines ainsi que les matières premières des pays envahis, pour les utiliser à l’effort de guerre. La guerre à l’Est est beaucoup plus dure que prévu et se prolonge, le temps joue contre les forces de l’Axe. Le Reich durcit sa politique économique en réquisitionnant des milliers de travailleurs de toute l’Europe occupée.

Bientôt, le programme de grand espace économique du Reich devient moins un fait qu’une propagande. Pour autant, la coopération économique franco-allemande est intense. Les autres pays occupés : le Luxembourg, la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas et le Danemark concourent à l’effort de guerre allemand, notamment en exportant leurs productions agricoles à destination du Reich.

Les projets sociaux de la Nouvelle Europe sous direction allemande

En complément d’un nouvel ordre économique européen, le Reich entend installer une nouvelle Europe sociale. Cependant, dans sa conception d’une Europe nouvelle sur le plan social, Hitler établit une différenciation au sein de l’Europe occupée. En effet, les territoires de l’Est sont des terres de colonisation allemande où les populations sont asservies. Celles-ci ne peuvent donc pas jouir des bienfaits de cette politique sociale aux contours flous, balançant entre archaïsme et modernité.

L’Allemagne a pour objectif d’homogénéiser la société européenne, sur une base à la fois raciale et sociale. Pour le régime national-socialiste, il s’agit de former un homme nouveau, national-socialiste, capable de se transcender pour servir aveuglement la « communauté du peuple » totalitaire. L’Allemagne reproche à l’Italie et à l’Espagne de ne pas la suivre dans sa volonté d’harmoniser économiquement, socialement et sociétalement le continent européen.

Toutefois, les régimes nazi et fasciste se rejoignent dans leur volonté corporatiste de dépasser la lutte des classes au profit de l’État et du parti. Rome et Berlin, mais aussi Vichy, se rejoignent sur la question raciale. Ainsi, des similitudes existent dans les législations raciales élaborées en Allemagne et en France concernant les Juifs.

Si le projet social européen instauré par le régime nazi est largement partagé en Europe centrale et occidentale, la guerre, l’occupation et la répression dans l’Europe occupée, rend irréalisable l’idée de tout projet social européen cohérent.

1941-1942 : l’Allemagne joue et perd

Les projets hitlériens de « nouvel ordre européen » et de création d’un Lebensraum à l’Est, aux dépens de la Pologne et de l’URSS, sont ruinés avec le déclenchement du plan Barbarossa.

Ab initio, Moscou n’écartait pas la possibilité d’adhérer au pacte quadripartite proposé par Berlin. Cependant, Hitler a pour objectif d’attaquer l’Union soviétique, non pour des raisons politiques ou économiques, mais dans un but de réorganisation raciale de l’Europe orientale. Une fois instaurées sur ces territoires, les colonies allemandes pourraient assurer au peuple allemand, l’espace vital nécessaire à son développement futur.

Toutefois, Mussolini craint de voir l’antisémite et l’anti-slavisme du Reich compromettre le projet d’une Europe nouvelle. L’idée fondamentale d’Hitler, au-delà de son anti-bolchevisme, est d’envahir le territoire soviétique afin de s’approprier les ressources nécessaires au peuple allemand et à son économie.

Alors qu’il devait répondre à un triple objectif : racial, colonisateur et économique, le plan Barbarossa va conduire à la perte du Reich. Si l’invasion de l’Ukraine permet à l’Allemagne de se ravitailler en matières premières, elle compromet les chances de succès de la première phase euro-méditerranéenne de son plan de guerre. Finalement incapable d’organiser un « nouvel ordre européen », le Reich et Rome ne pourront résister aux épreuves de la guerre.

 Vichy dans une Europe anti-bolchevique

L’invasion de l’URSS par l’Allemagne favorise l’esprit de collaboration de Vichy. Tout comme le Reich, la France de Pétain s’inscrit dans une Europe anti-bolchevique excluant l’Union soviétique.

Le gouvernement de Vichy agit avec pragmatisme. Avant-guerre, les relations diplomatiques entre Pars et Moscou devaient permettre un certain équilibre européen face à Berlin. La guerre perdue face à l’Allemagne, la France en rompant ses relations diplomatiques avec l’URSS, se fait bien voir de Berlin.

Le gouvernement de Vichy va plus loin encore avec les « protocoles de Paris », qui prévoient une collaboration militaire étendue en Afrique du Nord et au Levant. Le but est d’inscrire la France dans l’ordre nouveau et de lutter, aux côtés de l’Allemagne, contre le Royaume-Uni.

Les protocoles de Paris vont plus loin encore et proclament que le gouvernement français poursuit son œuvre de Révolution nationale, qui repose sur un pouvoir autoritaire, à large assise populaire, à l’instar des gouvernements allemand et italien.

En s’associant pleinement avec l’Axe, le gouvernement de Vichy entend donner à la France, la meilleure place possible dans l’Europe nouvelle. Moins idéologue que pragmatique et persuadé de la victoire prochaine du Reich, Laval poursuit sa politique de collaboration après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. Dès lors, Vichy s’enfonce inéluctablement dans une position de collaboration totale, antibolchevique dont elle ne pourra plus changer l’orientation.

1943-1944 : Reich « grand-germanique » ou Europe ?

Lorsqu’il élabore le plan Barborssa, Hitler entend d’abord occuper l’URSS jusqu’à l’Oural, avant de retourner les populations victimes du traitement que leur inflige Staline, pour mettre à bas l’URSS. Une fois ces peuples « libérés du joug soviétique », Berlin entend les intégrer dans des États autonomes vassaux du Reich.

La bataille de Stalingrad scelle le destin de l’Axe. Mussolini insiste auprès d’Hitler pour qu’une paix séparée soit signée avec l’URSS, pour milieux résister aux Anglo-américains, après leur débarquement en Afrique du Nord. La proposition du duce n’est pas suivie d’effet.

L’enlisement militaire de l’Axe sur le front russe oblige Berlin à revenir sur le thème de l’Europe. Stratégiquement, l’Allemagne appelle l’Europe à dépasser les nationalismes, pour s’unir dans un grand espace organisé autour de Berlin, pour lutter à la fois contre l’interventionnisme britannique, le capitalisme américain, et le bolchevisme soviétique.

Si le Reich entend réorganiser le continent de façon hiérarchique, il doit cependant faire face à sa propre complexité structurelle. En effet, la vision d’une Europe « germanique » antisémite et antilibérale des SS, ne correspond en rien à la vision nationaliste et révisionniste des SA et des membres du NSDAP, beaucoup plus proche idéologiquement des fascistes italiens.

Après Stalingrad, les dirigeants du Reich changent donc de vision européenne. Ainsi Ribbentrop conçoit-il le projet d’une confédération européenne, répondant ainsi aux sollicitations de Mussolini, Antonescu et Laval. Cette confédération serait alors sans limites de temps et composée d’États souverains mutuellement garants de leur indépendance.

Conscient de l’échec de sa « guerre parallèle », Mussolini tente lui aussi de relancer le projet européen. Nonobstant, l’Italie est totalement dépassée par la question, alors même que l’Allemagne reprend la main sur les Balkans.

Alors que la victoire des Alliés n’est plus qu’une question de mois, les régimes nazi et fasciste se radicalisent et projettent de créer une Europe homogène, radicale, antibolchevique et antilibérale capables de se dresser à la fois contre les Juifs, les États-Unis et l’URSS.

Fin et rémanence de l’Europe et de l’Axe

Dans ce dernier chapitre, l’auteur pointe du doigt la polémique actuelle, sur le fait que l’Europe de l’Axe aurait été la matrice de l’actuelle Union européenne.

Dès la fin de l’année 1943, nombreux sont ceux à comprendre que l’Axe a perdu la guerre. Certains secteurs de l’économie allemande préparent l’après-guerre. Déjà se dessine le projet de renouer les relations d’avant-guerre.

L’Allemagne hitlérienne voit la constitution de trois grands ensembles, une fois la paix mondiale recouvrée : l’Eurafrique, le monde anglo-américain, enfin l’URSS. Aussi l’idée de fonder un grand espace économique européen, autour d’un bloc douanier et monétaire, demeure prégnante dans de nombreuses capitales du vieux continent, notamment à Berlin.

L’idée d’une Europe fédérale trouve son apogée lors du Congrès européen de La Haye, en 1948. Mené par les adversaires de la démocratie libérale, ce congrès reprend à son compte les idées conservatrices des années 30 et fixe des objectifs qui seront ceux de l’actuelle Union européenne. Paradoxalement, pourtant considérés comme pro-européens, les démocrates-chrétiens ne parviennent pas à s’accorder sur un sujet cohérent de construction européenne.

Pays vaincu, se trouvant dans une situation difficile au sortir de la guerre, l’Italie parvient contre toute attente à se moderniser économiquement et socialement. Cela permet à Rome de participer pleinement à la construction européenne.

Finalement, comme le conclut Georges-Henri Soutou, la politique européenne de l’Axe s’inscrit dans les courants généraux de son époque et non comme un accident de l’histoire.