Montre-moi tes billets et je te raconterai ton histoire : tel pourrait être le slogan de ce livre tout en précisant que la période étudiée court de 1938 à 1948. L’auteur, Jean-Claude Camus, responsable des collections numismatiques au service du Patrimoine historique et des archives de la Banque de France, propose ici une approche originale de cette période charnière pour la France.

Les billets pour lire l’histoire

Les billets se révèlent être effectivement une porte d’entrée très parlante pour traiter d’une époque, et notamment lorsqu’elle est troublée. La monnaie est un bon révélateur puisqu’elle est non seulement le « nerf de la guerre » mais aussi un moyen de paiement et un objet artistique. Battre sa monnaie c’est aussi «  prouver sa légitimité, clamer sa souveraineté ». Cet ouvrage richement illustré s’appuie sur les fonds d’archives français et américains et propose plusieurs focus.

1938-1939 : l’Etat et la Banque de France préparent la monnaie à la guerre

Dans le contexte de l’époque, l’argent liquide a tendance à se faire rare. L’Etat constitue une réserve de mobilisation de 150 milliards de francs-or en plus de la réserve habituelle. Il prévoit aussi d’émettre de plus grosses coupures et pour tenir ces nouveaux impératifs, la Banque de France se réorganise. La durée hebdomadaire du travail est augmentée, les billets voient leur taille se réduire pour en réaliser davantage. L’Etat encourage également la politique de l’emprunt. Le premier focus s’intéresse aux thèmes des billets envisagés à l’époque qui sont tous marqués par le patriotisme ou la guerre. Des soldats, des coqs et Vauban sont ainsi convoqués pour décorer de futures coupures.

1940 : l’invasion des billets étrangers et l’extorsion des billets français par l’Allemagne

L’invasion militaire a été précédée d’une « onde de choc monétaire » car depuis mars on s’attend à l’irruption de faux billets imprimés par l’Allemagne pour déstabiliser le pays. En réalité, l’Allemagne, très bien préparée en ce domaine, emploie au fur et à mesure de son avancée des billets spéciaux qui sont en usage dans les pays conquis. La spoliation de la monnaie et des richesses françaises s’organise au profit de l’Allemagne. Les frais d’occupation sont fixés à 500 millions de francs par jour. L’Allemagne emploie l’arme monétaire contre la Grande Bretagne qui résiste.

Cela se traduit par le largage de faux billets en livres sur les villes et campagnes anglaises. Face à une situation exceptionnelle en France, certaines municipalités se lancent dans l’émission monétaire pour pallier aux problèmes les plus urgents. Dans les zones annexées ou occupées se développent parfois d’étonnants billets comme ces coupures émises dans le Jura et frappées d’une croix gammée. 

1940-1944 Des billets pour l’Occupation 

La défaite française obligea à revoir les billets qu’on avait imaginés. Il fallait trouver de nouveaux sujets et en plus se posait le problème de l’alimentation en papier. On pouvait ajouter à cela la difficulté de rencontrer les concepteurs de billets. Il faut opter pour des sujets plus consensuels et Descartes remplace Vauban. Il est à noter que l’imagerie pétainiste n’atteint pas les billets de banque puisque la Banque de France est une institution privée et, à cet égard, elle maintient les grands principes définis en 1800 : ni mention ni symbole en rapport avec le pouvoir politique. Certains billets sont détournés néanmoins pour servir d’outil de propagande. Un tract anglais lancé en 1941 reprend le thème du billet de 50 francs et dénonce le pillage de la France en insérant une image de Laval et d’Hitler. 

Des billets pour l’après-guerre 

On s’aperçoit que dans le domaine monétaire l’après-guerre s’est préparée dès 1943. Des artistes sont sollicités pour imaginer de nouvelles coupures qui, comme le dit le directeur de la Fabrication des billets, ne verront «  pas le jour avant trois ans ». Un focus est proposé sur le billet de 500 francs à l’effigie de Colbert tiré à un million d’exemplaires mais qui ne sortit finalement jamais des chambres fortes de la banque de France. Retardé, il ne correspondait plus à la Libération aux nouvelles exigences de fabrication. 

1941-1942 Les forces gaullistes prennent le pouvoir monétaire dans l’Empire

Ce chapitre évoque les premiers pas des trésoriers de la France libre. En effet, les Français libres assurent la «  gestion économique et financière des territoires qu’ils administrent politiquement ». Dès le début, les forces gaullistes se dotent de bons de monnaie fabriqués avec les moyens disponibles.

1942-1944 Comment depuis Londres financer la Résistance intérieure ?

On découvre ici d’autres préparatifs liés au Débarquement. Il faut mesurer une fois de plus l’importance de la monnaie puisque dès la fin de l’année 1943 les responsables financiers de la France Libre prévoient de se munir de deux séries de billets : «  l’une pour les troupes lors des premiers jours du Débarquement, l’autre pour remplacer toutes les coupures de la Banque de France sur l’ensemble du territoire. ». On se rend compte que ce ne furent pas moins de 3,7 milliards de billets qui furent imprimés aux Etats-Unis pour l’occupation militaire des régions libérées : Maghreb, France, Allemagne …

1944-1945 Quels billets pour la Libération ? 

De Gaulle s’aperçut que les billets commandés aux Etats-Unis n’étaient pas encore prêts et que leur qualité se révélait médiocre. Il fallut donc en commander de nouveaux. Ce n’est qu’au début de l’année 1948 que les billets de la banque de France représentèrent la quasi totalité des coupures en circulation. Un peu comme pour les tickets de rationnement, on constate que les perturbations liées à la guerre se prolongèrent bien après 1945. L’auteur raconte également les fortes tensions qui existèrent au moment de procéder aux échanges de billets. 431 milliards de francs, c’est le montant des billets présentés à l’échange et la part des billets neufs de fabrication américaine et anglaise s’éleva alors à 85 %. 

1945-1948 Quelles monnaies pour la reconstruction ? 

Ce chapitre évoque plusieurs aspects dont la mise en place du franc CFA pour l’Afrique, l’importance du plan Marshall ou encore le cas des zones d’occupation françaises en Allemagne ou en Autriche. Il faut aussi se souvenir que le franc subit une dévaluation de 60 % par rapport à  sa valeur de 1940. En 1938, la population française disposait de quatre coupures ; elle en avait vingt-sept différentes à la fin de la guerre.

Billets en guerre de Jean-claude Camus, une agréable découverte

L’ouvrage de Jean-Claude Camus aborde donc de façon originale la période 1938-1948. Il fait la part belles aux illustrations mais le texte, très synthétique, fait comprendre au lecteur qu’à travers la monnaie et ses vicissitudes peuvent se lire les soubresauts de l’histoire. Il contient aussi son lot d’anecdotes mais toutes porteuses de sens. Une agréable découverte.

Jean-Pierre Costille pour les Clionautes