Olivier Razemon est journaliste, indépendant. Il est surtout l’auteur depuis mars 2012 d’un blog hébergé par le journal Le Monde, « L’interconnexion n’est plus assurée», dont on lira avec attention le propos, qu’il consacre aux mobilités, notamment celles qu’on qualifie de «douces» ou «durables», comme on voudra : marche à pied, vélo, transports en commun… On recommandera de s’y abonner (voir les modalités en bas de la page d’accueil du blog).
Mais ce journaliste est aussi l’auteur de quatre ouvrages, parus aux éditions de la Rue de l’Échiquier, qui concernent l’aménagement du territoire (mais aussi notre façon de vivre et d’envisager l’espace) au travers du prisme des transports. Le premier Les transports, la planète et le citoyen (2010, avec Ludivic Bu et Marc Fontané) reprend l’un des paradoxes de la société moderne soulevé par Ivan Illich et André Gorz : alors qu’on dispose de moyens de transports de plus en plus rapides, comment se fait-il qu’on circule de plus en plus difficilement ? La tentation du bitume. Où s’arrêtera l’étalement urbain ? (2012, en collaboration avec Éric Hamelin) invite à une réflexion, comme le sous-titre l’indique, sur les conséquences spatiales des moyens de déplacement, mais aussi à celles qui concernent la qualité de vie et le grignotage des campagnes. Olivier Razemon a poursuivi son propos en s’intéressant à la désertification du centre des villes moyennes, dont la vitalité se trouve de plus en plus dans leur périphérie : Comment la France a tué ses villes (2016).
Entre temps, il a publié Le pouvoir de la pédale (2014), dont une réédition avait paru en mai 2017, dans la collection «L’Écopoche». Cette fois-ci, il s’agit d’une édition qui a été revue : par rapport à la première moutureFaute pour moi d’avoir acheté la seconde version., il y a en effet quelques références et des réflexions actualisées, mais l’ouvrage n’a pas été repris de fond en comble. On peut le regretter parfois, mais cela aurait nécessité un travail complet de réécriture. À défaut, on trouvera en fin d’ouvrage deux textes initialement parus sur le site Mobilettre. Un certain regard sur les mobilités. Le premier est la postface : «La transition cyclable sous Macron». Le second est «Strasbourg, Grenoble, Bordeaux et les autres».
Olivier Razemon fait d’abord un historique de l’évolution du vélo et de l’importance qu’il occupe par rapport aux autres modes de déplacement, notamment motorisés. De là, il en vient à brosser un tableau de ce qu’il en est aujourd’hui en Europe, en soulignant comment les Pays-Bas et le Danemark en sont arrivés à un niveau d’utilisation aussi important (sans pour autant négliger les initiatives et les signes encourageants perçus ailleurs, comme à Londres). Il reprend ensuite sept arguments relevés contre l’usage du vélo, pour mieux démontrer l’inanité du transport motorisé, paré de toutes les vertus, y compris celles qui relève de la sécurité. Ainsi, faire du vélo, c’est dangereux ; sans qu’on se rende compte que le danger provient du transport automobile. On relève par ailleurs que c’est le mode de déplacement qui utilise le mieux l’énergie, quand on considère la distance parcourue.
Surtout, l’auteur indique en quoi le vélo est un outil dont la pertinence est on ne peut plus importante aujourd’hui. Il permet de rouler à bonne vitesse en ville, davantage que la voiture. Le budget nécessaire pour ce faire est ridicule. Son influence sur l’occupation de l’espace urbain est majeur : il peut être un facteur de revitalisation des centres, tout en apportant un apaisement de la circulation, ralentie, respectant les plus faibles (piétons, cyclistes…). En plus de cela, il permet de redévelopper une industrie du cycle, tout un secteur de services en tout genre qui ne peuvent pas être délocalisés, sans compter les bénéfices sur la santé (et donc pour les dépenses collectives), les économies réalisées sur la construction et l’entretien de pistes réellement cyclables par rapport aux routes, aux lignes de métro et de tramway. Par dessus le marché, il permet de développer l’autonomie de chacun, que ce soit à l’égard de l’énergie ou de l’entretien du véhicule, tout en permettant une vision tout à fait différent des espaces traversés.
La conclusion découle de source. Olivier Razemon en appelle à une reprise des politiques urbaines, faisant la part belle aux modes de transports à vitesse modérée, respectueux les uns des autres : on voit quel retentissement cela peut avoir sur les relations inter-personnelles et la qualité de la vie. Cela ralentira l’étalement urbain, favorisera une dynamisation des commerces de proximité. Des villes françaises se sont déjà engagées dans cette voie (cyclable) : Strasbourg, Grenoble, et Bordeaux fait des efforts importants. On est encore loin du niveau atteint par d’autres pôles européens comme Copenhague, qui cherche d’ailleurs à accélérer le mouvement, mais Olivier Razemon prend acte des initiatives prises ça et là.
Le livre se lit très facilement et repose sur une bonne documentation, ce qui permet d’approcher le sujet de façon agréable et sérieuse à un prix très abordable. En complément, et pour un euro de plus, on lira avec beaucoup un ouvrage qui a beaucoup inspiré Olivier Razemon, à savoir celui de l’universitaire Frédéric Héran, Le Retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050, éd. La Découverte, n° 432, 2014 (10 €). On y trouvera des arguments similaires mais avec une approche plus scientifique des choses, et donc plus précise ; il faudra cependant actualiser certaines données, mais on peut le faire avec ce que l’auteur produit. À lire également, si on arrive à le trouver, le livre de la Québécoise Claire Morissette, Deux roues, un avenir : le vélo en ville, éd. Écosociété, coll. «Retrouvailles», 1994, 256 p., heureusement réédité en 2009. Ces trois ouvrages, chacun avec sa sensibilité et des degrés de militantisme très différenciés, permettront de nourrir les cours sur la géographie urbaine et ce qu’on appelle le «développement durable».
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes