Alban Gautier est déjà l’auteur d’un Arthur, publié en 2007 chez Ellipses. Ici, il vient reprendre, approfondir, modifier certaines de ses hypothèses. Le présent ouvrage s’est également présenté sous forme de conférences en audio-livre en 2018, Le roi Arthur : figure historique ou légendaire ?

 

L’auteur éclaire d’abord le vocabulaire emprunté. Il précise ainsi que le terme Bretons renvoie d’abord aux habitants de l’île de Grande-Bretagne et que c’est à partir du VIe siècle qu’il s’étend au continent. Ce peuple dit breton n’est pas unifié politiquement mais se reconnaît dans cette langue et cette culture. Ainsi, il existe dans les langues celtiques une famille brittonique, parlée par les Bretons et le gaélique, propre aux Irlandais et certains Ecossais. Les premiers récits arthuriens se rattachent au monde brittonique et non gaélique et il est donc impropre de le relier à une culture celtique.

 

Alban Gautier s’attache dans la première partie de son livre à retracer le « parcours » historique d’Arthur. Il aurait vécu aux Ve – VIe siècles. Malheureusement, les sources sur cette époque sont extrêmement rares et ne mentionnent pas son nom. Cette quasi absence de documents s’explique par une période de troubles importants entre le soulèvement de Constantin III (406-411) contre l’empereur romain légitime, Honorius (395-423). Ceci s’accompagne d’une invasion de peuples germaniques en Gaule. Si Honorius parvient à se redresser, il délaisse l’île de Bretagne qui n’est finalement jamais réintégrée à l’empire. Au début du VIIe siècle, le territoire apparaît divisé en de multiples royaumes. A l’est les peuples barbares ont pris le contrôle alors que l’ouest est resté aux mains des Bretons, qui s’étaient acclimatés à la culture romaine et à sa nouvelle religion, le christianisme. Les païens de l’ouest, les Anglo-Saxons, se sont également convertis mais sous l’influence des missionnaires irlandais, les deux christianismes restent en opposition, le Bretons et Anglo-Saxons en guerre.

Quelles sont les sources ? L’archéologie, mais elle ne mentionne pas de nom. L’épigraphie ; une inscription portant le nom d’Artognus a été assimilée à Arthur mais de façon erronée. Il reste les textes. L’un d’eux retrace les invasions anglo-saxonnes, que l’on peut situer entre le début du Ve et le milieu du VIe siècle. Les élites bretonnes ont soit pris la fuite vers l’ouest qui résiste, soit vers la péninsule armoricaine, donnant la Bretagne continentale, soit se sont soumises. Ce texte a été écrit par le moine Gildas, De excidio Britanniae (Sur la chute de la Bretagne), vers 530 et 545. Il souligne la victoire des Bretons au mont de Badon. Il ne donne aucun cadre chronologique, il précise son âge, ce qui pourrait renvoyer les faits vers l’an 500. De la même façon, aucun mont de Badon n’a été localisé par les historiens. Aucun Arthur n’apparaît.

 

Il faut ensuite attendre le VIIIe siècle pour trouver des écrits mentionnant les évènements de ces temps obscurs. Ainsi, Bède le Vénérable (vers 675-735), nous livre en 731 une Histoire ecclésiastique du peuple des Angles (Historia ecclesiastica gentis Anglorum). Il y fait un travail d’historien, mêlé de questions religieuses. Si la chronologie donnée paraît plus claire (bien qu’impossible à vérifier et donc sujette à caution), aucun Arthur n’apparaît non plus. Sous sa plume Sous sa plume Arthur revêt l’image du héros chrétien.

Les premiers textes mentionnant Arthur proviennent du pays de Galles entre 800 et 1000. On trouve son prénom dans un poème, le Canu Aneirin, mais cette mention n’est pas fiable car ce texte a été copié de très nombreuses fois et le seul manuscrit disponible date du XIIIe siècle. Même si le poème a été composé entre la fin du VIe et le Xe siècle, le prénom d’Arthur peut très bien être un ajout ultérieur lié à la légende qui prend de l’importance. De plus il n’y a aucune précision sur qui est ce Arthur. Il faut donc porter son attention sur l’Histoire des Bretons (Historia Brittorum), composée vers 830. Cependant, là aussi le plus ancien manuscrit conservé date d’environ 1100. Ce texte est anonyme. La trame est un encouragement aux Bretons toujours en lutte contre les Anglo-saxons, une incitation à s’unifier. Dans une première mention, Arthur joue ce rôle historique de défenseur des Bretons chrétiens contre les Anglo-saxons, toujours vus comme des païens malgré leur conversion. Arthur est ceint d’une cape ou d’un bouclier aux images de la vierge Marie. La seconde mention est plutôt légendaire, évoquant des lieux symboliques, non identifiés, de son chien Cabal, du meurtre de son fils ici nommé Amr. Si l’historicité de ces lieux et évènements est discutable ils attestent cependant de récits véhiculés par les populations autour de l’image d’Arthur. Il est donc possible que l’auteur de l’ouvrage ait eu pour source les histoires orales ou des textes désormais disparus. Quant aux lieux de batailles mentionnés, ils couvrent aussi bien l’est de l’Angleterre, le sud du pays de Galles ou l’Ecosse, la légende d’Arthur s’est donc étendue.

Quelles sont les hypothèses d’Alban Gautier alors que les évènements relatés remontent à 500 environ, le récit à 830, et le manuscrit en présence à 1100 ? Dans une première hypothèse, c’est un héros folklorique, une figure légendaire dérivée d’une ancienne divinité celtique. Le prénom d’Arthur signifie en gallois : ours (arth) – homme (gur). La deuxième hypothèse est qu’il ait été un vrai chef de guerre du Ve – VIe siècles, suffisamment important pour devenir une figure légendaire à qui l’on prête des exploits.

 

On retrouve encore mention d’Arthur dans les Annales de Galles (Annales Cambriae) composées dans la seconde moitié du Xe siècle, mais dont nous ne disposons que de copies tardives. Ici la bataille de Badon est datée à 518, sans doute une déduction de ou des auteur(s) à partir de l’âge de Gildas. Apparaît également la date de 539 marquant la mort d’Arthur et de Medraut (évolution ensuite du personnage de Modred, neveu d’Arthur voire fils illégitime ?). Encore une fois la faiblesse des sources ne garantit pas la véracité de ces dates. Celle du décès peut d’ailleurs être une approximation, un calcul de probabilités.

 

Nous arrivons au XIIe siècle, après la conquête de Guillaume de Normandie. Guillaume de Malmesbury (vers 1090 – vers 1143) nous livre une Histoire des rois des Anglais (Gesta regum Anglorum). Il mentionne Arthur lors de la bataille du mont de Badon et précise que l’on n’a pas retrouvé sa tombe. La légende reste mise de côté ici au profit de faits possiblement historiques. Ce n’est pas le cas de Geoffroy de Monmouth (vers 1095 – 1155) dans son Histoire des rois de Bretagne (Historia regum Britanniae) en 1135-1136. Il prend le parti breton et développe la vie d’Arthur. Celui-ci mène un règne prospère avec la victoire du mont de Badon et va même guerroyer en Gaule dont il revient pour s’opposer au traitre Mordred qui a séduit Guenièvre pendant son absence. Le livre est un succès et peu remettent en cause son auteur. Le chroniqueur Guillaume de Newburgh fait partie des sceptiques mais ne peut rien à la diffusion des manuscrits dont près de 200 nous sont parvenus là où Bède ne parvient qu’à 160.

Cependant, d’autres textes de l’époque inscrivent Arthur non pas dans des récits historiques mais légendaires, les deux aspects se développent en même temps, rendant la différenciation difficile. Ces textes sont écrits en gallois, proviennent de récits de bardes ou autres diffusions orales, dont certains ont été mis par écrit, la plupart du temps dans une version très écourtée, ce sont par exemple les Triades de l’île de Bretagne (triade car les récits allaient par trois : les trois dévastations excessives de l’île de Bretagne nous intéressent ici). Arthur y règne sur Celliwig en Cornouailles, non identifié de manière précise. Il est difficile de savoir si ces textes, diffusés en parallèle de l’histoire de Geoffroy de Monmouth, ont été inspirés par celui-ci. Les quelques-uns antérieurs à l’Histoire des rois de Bretagne nous montrent un roi Arthur entouré de nombreux compagnons avec qui les exploits accomplis sont partagés, tel Gwalchmei (« faucon de mai » en gallois), Gualguainus chez Geoffroy, Gauvain en français et Gawain en anglais.

A partir du Xe siècle, de nombreux textes évoquent aussi un retour du roi Arthur. Le personnage apparaît également dans des vies de saints comme la Vie de saint Padarn vers 1120. Dans ces derniers textes Arthur est présenté comme un tyran, éloigné de la vie chrétienne que le saint en question parvient à « redresser ». Ce sont tous ces textes, écrits et oraux, qui ont inspirés Geoffroy de Monmouth, de Merlin à Avalon en passant par le géant qu’il défait au mont Saint Michel. La figure de Merlin est intéressante : Myrddin en gallois, barde ou poète, devenu fou après une bataille, mais également prophète des évènements à venir. La Vie de Merlin écrite quelques années plus tard par Geoffroy connaît également un grand succès.

 

Pour les versions françaises, elles apparaissent sous la plume d’un Normand, Wace, qui écrit Brut, du français Brutus, vu comme le fondateur troyen de l’île de Bretagne. C’est lui qui amène la légende la Table ronde. C’est entre 1155 et 1190 que les cinq romans de Chrétien de Troyes prennent place de leurs côtés. Pour sa part, il apporte le nom de Camelot comme résidence du roi. Il existe de nombreux débats quant à l’origine de ce nom ou sa localisation. Et, il introduit également la quête du Graal, dont l’ouvrage consacré, le Conte du Graal est resté inachevé, bien que continué par d’autres auteurs.

Au XIIIe siècle une compilation anonyme essaie de faire la synthèse de tous les récits arthuriens, illustrant l’importance prise en quelques siècles par le personnage d’Arthur, de quelques lignes à des manuscrits de plus de 500 pages, immenses pour l’époque. Chaque auteur garde à l’esprit la trame de fond et ajoute sa touche : Excalibur est soit dans une pierre, soit magique, soit obtenue enfant, soit l’inverse ! Le récit de Guenièvre varie également. Thomas Malory en 1471 apparaît comme l’auteur ayant le mieux réussit la synthèse de toutes ces histoires dans Le Morte d’Arthur (La mort d’Arthur). A la fin du Moyen-Age, la légende commence à se fixer.

 

Les récits d’Arthur sont utilisés par le pouvoir royal : les Plantagenêt ; la table ronde de 5,5 mètres de diamètre pour 1200 kg d’Edouard Ier (1272-1307), située à Winchester ; la prétendue découverte des tombes d’Arthur et Guenièvre en 1191 environ à Glastonbury, faisant de cette abbaye l’image d’Avalon et, lui permettant d’obtenir des dons pour les travaux de reconstruction après l’incendie de 1184 ; les Tudor, dont le premier enfant d’Henri VII est nommé Arthur (décédé en 1502 à l’âge de 15 ans). Cependant, l’historiographe d’Henri VII, Polydore Virgile, livre ses réticences sur l’ouvrage de Geoffroy de Monmouth dans son Histoire anglaise en 1513, publiée seulement en 1534 à Bâle, ce qui laisse penser à une forme de censure de la part du roi anglais. John Leland s’offusque et répond à Polydore en compilant de nombreuses sources qu’il présente comme preuve de l’existence d’Arthur. En cela il fait un travail de conservation louable de textes aujourd’hui perdus mais si le fond du propos est remis en cause.

 

Aujourd’hui justement. Arthur est repris par les mouvements hippie et culturels des années 1960. C’est également dans ces années que l’archéologue Leslie Alcock fouille South Cadbury, assimilé à Camelot, en réalité site présentant des traces de fortification comme nombre d’autres sites des Ve – VIe siècles. Et si Alcock est plus prudent dans ses conclusions, l’historien John Morris affirme l’authenticité d’Arthur en 1973. Après les travaux de David Dumville en 1977 il n’est cependant plus question de rester dans l’affirmation quant à l’existence d’Arthur. C’est d’ailleurs dans les années 1970-1980 que la légende se détache de l’origine chrétienne des récits. Arthur devient une figure hésitant entre christianisme et paganisme, voire totalement païenne. Et Alban Gautier de conclure que la légende a tellement été écrite et réécrite depuis sa naissance que le  » Arthur  » des premières sources et des traditions orales antérieures au Xe siècle est finalement bien différent.

 

Un petit ouvrage très complet, passionnant. L’auteur y mène une enquête érudite tout en se montrant accessible à son lecteur auprès de qui il démêle les sources, les versions…