Comment se construit et évolue le discours amoureux durant le Moyen-Age ? C’est ce que Joël Blanchard s’emploie à étudier en interrogeant les textes sur l’amour, des premiers textes chrétiens jusqu’au XVème siècle. S’appuyant sur de nombreux exemples, l’auteur retrace ainsi les débats qu’un tel sujet a suscités. « Le discours amoureux médiéval est partagé entre des tentatives contraires, des aménagements continus et des dérivations imprévues ». 

Une approche littéraire en trois temps

« Notre démarche, délibérément littéraire, met l’accent sur les aspérités, les turbulences, les résistances, les formes de restauration ou de réactivation à partir desquelles se construit le discours amoureux dans l’imaginaire médiéval ». Joël Blanchard est médiéviste. Il a précédemment écrit  une biographie de Louis XI et un essai sur « La fin du Moyen-Age ». Construit en trois parties, son livre aborde successivement les thèmes « Matrices et modèles », « Du miroir de Narcisse au miroir des princes » et «  De l’amour à l’amour de l’écriture ». 

Matrices et modèles 

La parole de Saint Paul a exercé une influence profonde. La chasteté a été d’emblée au centre des questionnements de l’Eglise. La concupiscence est une invention de Saint Augustin. Le « Cantique des cantiques » devint le texte le plus commenté dans les monastères. L’histoire d’Héloïse et d’Abélard fascina à l’époque et cet intérêt se prolongea. La poétique des troubadours surgit dans le sud de la France qui viivent l’éveil de pratiques et d’usages aristocratiques raffinés et élevés dans une région de grande tolérance et d’ouverture d’esprit. On associe aux troubadours la fin’amor ou autrement nommé l’amour courtois. « L’élan créateur des troubadours répond à la double exigence d’un public capté par leur virtuosité formelle et par la puissance de pénétration de leurs symboles. » Les savoirs sur l’amour sont nombreux, ne seraient-ce que le discours théologique ou le discours médical. La quête amoureuse est liée à l’errance du chevalier et elle est parsemée d’embuches. A la fin du XII  ème siècle, on constate donc qu’il existe de nombreux discours sur l’amour.

Du miroir de Narcisse au miroir des princes

L’auteur se focalise ensuite sur « Le roman de la rose » pour savoir comment l’oeuvre a été perçue et les discussions qu’elle a pu susciter. Au niveau de sa réception, on peut souligner que l’existence de plus de trois cents manuscrits est un bon indicateur de l’influence qu’il a pu exercer. L’ouvrage s’avère en tout cas d’une grande hétérogénéité ce qui est peut-être le signe d’un basculement du discours amoureux. Joël Blanchard examine aussi entre autres le « Livre de la vertu du sacrement de mariage et du réconfort des femmes mariées » ou encore « Joséphina » de Jean Gerson. Au-delà de ces références, l’auteur choisit aussi de s’arrêter sur des fabliaux, matériau trop longtemps méprisé dans l’étude de ce thème. Les fabliaux complètent, à leur façon, les romans courtois en levant le voile de la chambre à coucher. On constate en tout cas le passage de l’amour le plus délicat et le plus passionné à l’expression de la misogynie. 

De l’amour à l’amour de l’écriture

Joël Blanchard se penche ici sur l’ouvrage intitulé le « Voir dit » de Guillaume de Machaut. Cet ouvrage comporte des pièces lyriques, des lettres, et il agit comme un recueil de toutes les expériences littéraires et amoureuses. Pour lui, cet auteur ancien « réhabilite et réinvente la fin’amor ». Parmi les points de vigilance, il y a le fait que les femmes sont rarement les autrices. Il faut donc s’arrêter sur Christine de Pisan qui est la première figure littéraire qui place explicitement son identité de femmes dans celle d’autrice. Il s’agit d’une écriture engagée qui « est à la fois emprise et déprise des modèles, mais elle n’est pas une appropriation servile ».

Finalement, pendant les cinq siècles étudiés par l’auteur, le discours amoureux n’aura cessé de renouveler sa forme. L’amour fait dès le X ème siècle « l’objet de débats dans un cadre diversifié, théologique et rhétorique. L’amour est aussi l’objet d’expériences poétiques élaborées ». Le « Roman de la rose » marque une étape importante car il concrétise les désaccords autour du mariage, de la sexualité ou de la virginité. L’auteur retient enfin la vitalité du thème de l’amour et de ses débats durant le Moyen Age. 

Jean-Pierre Costille