Cette bande dessinée qui se décline en deux volumes, le premier consacré à la période 1960-1968, et le second à la période 1974-1979, a comme fil conducteur l’enquête d’un jeune journaliste au milieu des années 90, qui travaille sur les réseaux constitués dès les toutes premières années de la Ve République. Bien entendu, aucun des noms des personnages n’est réel. Les auteurs précisent que : « le service est une œuvre de fiction mettant en scène des personnages fictifs. »
Bien entendu, les personnages sont très facilement reconnaissables. L’action commence à la toute fin de la guerre d’Algérie et les lecteurs qui ont largement passé la cinquantaine et qui ont connu directement les années 70 n’auront aucun mal à se retrouver dans une atmosphère particulièrement familière. Mais cette période appartient désormais à l’histoire et cette bande dessinée peut donner prétexte à tout un travail de recherche sur les faces les plus sombres de la Ve République.
Les personnages ne sont ni tous noirs ni tous blancs et il n’y a pas véritablement de héros positif dans cette histoire. Le lieutenant Galland apparaît comme fil conducteur du récit est un soldat qui a le sentiment, à partir de 1961, que la guerre d’Algérie est terminée. Blessé au combat il se retrouve embarqué dans le premier réseau de « barbouzes » constituait pour lutter contre l’OAS. On voit bien ici que ce service rappelle beaucoup la gestation du « service d’action civique », qui regroupait les « gros bras » du parti gaulliste, UDVe, UDR, RPR.
Le premier volume met en scène les trajectoires croisées de groupe de personnages, les actions de ce réseau gaulliste, en charge de l’intimidation de syndicalistes et parfois de règlement de comptes sanglants avec les derniers soldats perdus de l’OAS, et parallèlement la trajectoire d’un étudiant qui se retrouve broyé au final par une histoire qu’il ne maîtrise pas. Il y a parfois dans le récit quelques raccourcis, notamment sur la trajectoire de l’un des deux étudiants, qui choisit de rejoindre en Allemagne ou en Italie, les réseaux qui seront à l’origine de la bande à Baader ou des brigades rouges. Il existait pourtant en France, en marche des mouvements d’extrême gauche, largement matière à évoquer la constitution de réseaux terroristes, notamment avec le mouvement action direct, issus des groupes d’action révolutionnaire internationalistes qui se sont développées au milieu des années 70.
Le second volume qui traite de la période 1974-1979, et sans doute beaucoup plus fidèle à l’histoire. Et c’est ce récit qui pourrait permettre une exploitation pédagogique intéressante mais délicate à gérer.
La mort de Georges Pompidou, la division du mouvement gaulliste en 1974 avec la « trahison » de Jacques Chirac, à l’égard du candidat naturel du mouvement, Jacques Chaban-Delmas, l’utilisation de ce « service » pour déstabiliser les adversaires, financer le mouvement, des liens particulièrement troubles avec le milieu dans le sud-est de la France, l’assassinat du juge Michel, le suicide de Robert Boulin, on n’y retrouve véritablement tous les ingrédients d’un formidable polar, qui flirte de façon véritablement poussée avec l’histoire de la Ve République.
Encore une fois, c’est l’ex-lieutenant Galland qui est l’exécutant des basses œuvres. Homme de devoir au début, il devient véritablement un homme de main et au passage une sombre crapule à la main leste, notamment pour ce qui concerne ses relations avec les femmes.
Le travail des scénaristes est, principalement pour le second volume, parfaitement documenté. Les questions que l’on se pose encore à propos du « suicide » de Robert Boulin sont parfaitement traitées, tout comme les interrogations à propos de l’assassinat du juge Michel. http://www.laprovence.com/article/actualites/518225/francois-checchi-le-tueur-du-juge-pierre-michel-se-livre.html
Dans l’histoire de cet assassinat racontée dans l’album, le tueur n’a absolument pas été manipulé, mais parfaitement conscient d’agir pour éliminer des questions gênantes qui aurait pu se poser, surtout en octobre 1981, lorsque l’on a commencé à démanteler, dans la réalité cette fois-ci, les réseaux du service d’action civique, dans le sud-est de la France.
Les éditions Emmanuel Proust, dans leur collection atmosphères, ont fait le choix de se colleter véritablement avec l’histoire. L’exercice n’est pas évident, il peut se révéler parfois périlleux, car les lecteurs de bandes dessinées à caractère historique peuvent se révéler particulièrement pointilleux, mais il est parfaitement méritoire.
D’abord parce que ces deux volumes qui traitent d’une actualité encore brûlante et qui posent, incontestablement des questions encore gênantes, questions qui pourraient être posées à des politiques, et pas des moindres, encore vivants d’ailleurs sont bien illustrés avec un découpage des séquences classique mais efficace, et surtout parce que, au delà d’une lecture de loisir, ces deux albums donnent à réfléchir.
Au même titre que la trilogie Sir Arthur Benton, cette série sur « le service » a toute sa place dans une médiathèque et dans un centre de documentation de lycée. Peut-être d’ailleurs que dans quelques médiathèques du Sud Est, certaines planches risqueraient de faire tousser quelques élus locaux toujours en place d’ailleurs ! On pense à l’affaire Ben Barka, à la référence à la « ratonnade » du 17 octobre 1961 qui trouverait parfaitement sa place dans une étude sur les mémoires de la guerre d’Algérie.
Bruno Modica