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Journaliste et consultant spécialisé dans les questions urbaines, Pierre Gras est un familier de l’étude des ports et des villes portuaires. Dans cette synthèse à la fois historique et géographique il dresse le bilan de ce développement qui a accompagné la mondialisation pendant la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, dans le développement des villes portuaires, une fois terminée la période de l’expansion coloniale, c’est bien la seconde guerre mondiale, et plus précisément la guerre du Pacifique et les préparatifs du débarquement en Europe qui ont jeté les bases ou accéléré le développement des infrastructures portuaires qui jouent un rôle essentiel dans mondialisation.
Bien des éléments traités par l’auteur se retrouvent dispersés dans plusieurs ouvrages, plusieurs études et plusieurs sites notamment mer et marine qui est largement suivi sur Hfrançais, la liste de diffusion, mais cet ouvrage apporte effectivement une synthèse de qualité, relativement accessible et actualisée, même si en la matière, les évolutions sont extrêmement rapides.
L’ouvrage traite successivement le déclin portuaire de l’Europe pendant la guerre, du fait des combats et des destructions. Les villes portuaires comme Hambourg, le Havre ou Dunkerque ont payé un lourd tribut à la guerre, contrairement aux ports de Méditerranée relativement épargnés, notamment Marseille.
Le développement des infrastructures portuaires dans le Pacifique mais aussi dans l’Atlantique doit beaucoup à la nécessité d’acheminer de grosses qualtités de matériel avec le programme de construction navale « liberty ships », ces cargos polyvalents qui avaient été construits pour durer cinq ou dix ans et qui navigueront pour certains jusqu’à la fin des années soixante dix.

La seconde guerre mondiale, la remise à plat

La reconstruction des infrastructures portuaires a été difficile. Le déminage des ports et la neutralisation des engins non explosés ne sont d’ailleurs pas terminé en 2010 et l’on trouve encore des obus et des bombes actives au Havre ou à Brest, particulièrement bombardés il est vrai !
L’auteur évoque donc une reconstruction protéiforme, souvent complexe, mais conduite sous l’impulsion de l’État qui y consacre des moyens importants. Cherbourg est remis en activité au bout d’un an, contrairement à Brest. Le Havre dont Pierre Gras fait l’historique en remontant à François1er est caractérisée de ville utopique. Le ministre de la reconstruction Raoul Dautry fait appel à Auguste Perret, un architecte classique, qui fut le maître de Le Corbusier, pour en conduire les travaux. Cette ville dont la reconstruction a été très critiquée par les havrais eux-mêmes, « Stalingrad sur mer » est désormais inscrite au patrimoine mondial de l’humanité.
Le reconstruction de Marseille a obéi à de subtils équilibres locaux et à une volonté de modernisation qui était sur place représentée par Le Corbusier mais aussi par Eugène Claudius Petit, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme de septembre 1948 à 1953 qui a joué un rôle majeur dans la réflexion sur l’aménagement du territoire. Il s’intéressait vraiment à Marseille et a aidé à plusieurs projets.
C’est ce grand serviteur de l’État qui est également cité par Pierre Gras à propos des occasions perdues, en matière de reconstruction des villes portuaires qui n’ont pas pu être véritablement menés au bout.
Une situation de guerre avec une destruction totale a pu être au contraire utilisée comme un atout à Rotterdam ce qui lui permis au début 1960 de devenir le premier port mondial.
Dans un chapitre dédié à la fin du rêve colonial l’auteur présente la trajectoire de ces ports des métropoles qui tiraient leur fortune de ces relations particulières avec les colonies. Dans les possessions françaises d’Indochine Saïgon et Haïphong ont largement bénéficié de la colonisation mais deux guerres successives ont compromis leur développement. L’expansion économique récente du Vietnam devrait sans doute permettre à ces infrastructures portuaires de se développer à nouveau.
Pour les ports coloniaux britanniques, la situation a été relativement la même. La crise de Suez et le retrait des dernières bases de l’Empire outre-mer, à l’exception de Honk Kong a sans doute joué un rôle dans cet effacement relatif de la maitresse des mers.
Le déclin des grands ports industriels est également évoqué par l’auteur. Leur déclin est intervenu à l afin des années 80, avec les délocalisations. Les friches industrielles ont été dans de très nombreux cas réhabilitées, ce qui permet à des villes comme Chicago, Boston, Barcelone et tant d’autres de retrouver un waterfront propice à la spéculation immobilière d’ailleurs. L’eau devient un élément de valorisation du foncier urbain.
La mondialisation a accompagné le développement du trafic maritime. La conteneurisation qui est le symbole même de la mondialisation des échanges de produits manufacturés a favorisé les transformations des infrastructures portuaires pour accueillir ces navires encombrants dont l’immobilisation doit être la plus brève possible. 3000 conteneurs naviguent actuellement, pour des capacités de 4000 conteneurs. Une centaine sont à 10000 et des chantiers navals coréens sont prêts à mettre en chantier des navires à 18/20000 unités standart. EVP.

Le waterfront et la spéculation immobilière

L’auteur se livre donc à une présentation géographique en traitant successivement des destins portuaires, vers l’économie-monde. Dans ces différentes de ses études géographiques, qui sont autant de brèves monographies, il évoque différentes situations. En Méditerranée, avec un fort développement portuaire qui devait beaucoup dans les périodes précédentes la colonisation, la situation a beaucoup évolué depuis. La recomposition économique du trafic portuaire a permis l’émergence de sites nouveaux, dès lors que la Méditerranée devient une mer de transit entre le canal de Suez et le détroit de Gibraltar. Le développement de nouvelles infrastructures portuaires au sud de l’Italie avec Gioia Tauro, à Malte et à Tanger montre bien les armateurs recherchent des ports de transbordement rapide de leurs conteneurs qui ne leur imposent pas de longs et coûteux détours.
Pour la partie que l’on appelle : « le rail du Nord » dominé par les installations portuaires d’enfer et de Rotterdam, l’auteur rappelle avec un incontestable bonheurcette histoire a commencé dès le XIIe siècle avec la constitution de la ligue hanséatique. À ce moment-là c’est Hambourg, « ville libre » qui profite largement du déclin de Lübeck. Le port d’Hambourg est aujourd’hui parmi les cinq grands européens celui qui a le plus progressé en parts de marché depuis le début du millénaire. Le rail du Nord et la deuxième façade maritime au monde et la principale interface maritime de l’Europe. Son bassin de consommateurs et riches de près de 500 millions d’habitants. Les trois premiers ports européens se placent parmi les 20 premiers au monde et représentent ensemble 600 millions de tonnes de trafic annuel de marchandises, l’équivalent du port de Shanghai.

De l’Atlantique au Pacifique

Rotterdam a longtemps été le premier port du monde, jusqu’en 1987, et il se trouve depuis 2008 à la quatrième place du classement derrière Shanghai, Singapour et les ports jumeaux chinois de Zsoushan et Ningbo. l’auteur constate avec un certain pessimisme la marginalisation encourt des ports français du Nord-Ouest. Il semblerait, d’après l’auteur que le climat social exécrable joue peut-être un rôle dans les difficultés que connaissent les infrastructures portuaires françaises. Le grand projet Paris-Rouen-Le Havre serait une réponse politique à une forme de désengagement de l’État évidente dans bien d’autres domaines. Pourtant, ce grand projet serait parfaitement cohérent eu égard aux possibilités de transbordement du trafic conteneurisé de la mer à la voie fluviale ou par le réseau ferroviaire. Les études montrent que les trois ports de l’axe Seine pourraient représenter 128 millions de tonnes de trafic maritimes et fluviales, 40 000 emplois directs et 1 milliard d’investissements. Mais cela suppose de développer des zones logistiques importantes le long de la Seine, ce qui irait à l’encontre de certaines préoccupations bucoliques.

La route du Nord

Enfin, toujours concernant le nord de l’Europe, l’auteur se livre à une étude de la route de l’Arctique. Celle-ci ouvrirait à la Russie des perspectives remarquables même si on sont dues pour beaucoup aux conséquences du réchauffement climatique avec la fonte de la banquise dont l’épaisseur a diminué d’environ 40 % 40 ans. Toutefois, plusieurs chercheurs s’interrogent sur sa rentabilité, de par la brièveté de son temps d’utilisation, 12 semaines par an, et par les besoins spécifiques des armements des porte-conteneurs. Ces derniers souhaitent trouver sur leur chemin des ports de transbordement. Ceci serait particulièrement rare en empruntant cette route du nord-ouest.
Le professeur de terminale qui serait amenée à traiter de la façade atlantique des États-Unis, pour encore deux ans, avant que l’entreprise délibérée de démolition ne se mette en place, pourrait trouver un intérêt particulier à cette présentation synthétique du port de New York, en tant que ville globale et porte du monde. On s’aperçoit d’ailleurs que les ports du nord-est des États-Unis conçu particulièrement bien exploiter leur capital foncier sur le front de mer et continue d’ailleurs toujours à jouer dans la cour des grands. En misant sur les technopoles, les universités et les flux informationnels, ces sites portuaires comme Boston ont pu renouveler leur base économique et réussir les adaptations structurelles aux contraintes de la mondialisation.
Moins connus les ports du sud de l’Atlantique et notamment ceux du Brésil ont connu un développement extrêmement rapide. Au passage, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, les chantiers navals brésiliens connaissent un regain d’activité et la montée en puissance de ce pays se traduit par un tonnage en trafic de 350 millions de tonnes, ce qui représente plus que le tonnage global des ports français. Peut-être d’ailleurs que ce développement portuaire en Amérique du Sud, qui concerne aussi l’Argentine avec le port de Buenos Aires, pourrait bénéficier à l’arc atlantique français qui semble frappé par une certaine atonie. Pourtant certains sites portuaires sont les héritiers d’une histoire prestigieuse qui pourrait être réinventée sur ce littoral qui va de la pointe bretonne jusqu’au Portugal.

En Asie toute !

Ce sont évidemment les horizons asiatiques qui apparaissent comme particulièrement bien traités dans cette étude. Pierre Gras constate, en s’appuyant très largement sur des travaux de géographes et d’économistes qu’une Méditerranée asiatique est en cours de constitution. À coups d’investissements massifs du nord au sud du littoral chinois, la Chine a su constituer un réseau d’activités complémentaires qui se traduisent par des échanges portuaires particulièrement massifs. Au passage, il apparaît que Singapour malgré une situation particulièrement favorable semble souffrir d’une certaine désaffection. Ses coûts élevés deviennent pénalisants et la récession qui a frappé le commerce mondial n’ont pas épargné le « lion de mer », la traduction littérale en sanskrit du nom de cette île. Il semblerait également que Hong Kong, victime de son succès, connaisse des difficultés importantes, à la fois par la dépendance croissante à l’égard de la Chine continentale qui représente 47 % de ses échanges, par la saturation de ses installations et par des phénomènes de fuite des cerveaux qui traduisent peut-être un certain manque de perspectives. Le déclin relatif donc on ne trouve sa réponse en Chine continentale. Deux des quatre premiers ports du monde se trouvent sur ce territoire avec Shanghai qui a atteint le premier rang depuis 2005. Les 600 millions de tonnes de trafic total annuel sont à comparer aux 80 millions de tonnes du Havre, ou 142 millions de New York ou aux 420 millions de Rotterdam. Le barrage des trois gorges permet l’accès au cœur de la Chine au navire de grands gabarits, ce qui ouvre des perspectives particulièrement importantes. Depuis 2002 un nouveau port de Shanghai est en construction reliée à la mégapole par un pont de 33 km de long construit en pleine mer. Il s’agit du port de Yangshan, qui devrait atteindre son rythme de croisière en 2020. Les installations ont été conçues pour accueillir 50 porte-conteneurs et gérer un trafic annuel de 25 millions d’EVP. L’auteur évoque également à propos des investissements chinois dans le domaine maritime cette fameuse stratégie du collier de perles qui visent à assurer à la marine chinoise, qu’elle soit commerciale ou militaire des facilités portuaires qui lui permettront de protéger ses voies de communication commerciale et le transport d’énergie dont la croissance chinoise a impérativement besoin.
C’est donc une très bonne approche que Pierre Gras propose au lecteur. Les chiffres sont récents, même s’ils ont l’inconvénient de devenir très rapidement obsolètes, mais cette étude montre surtout les évolutions dans la longue durée et c’est ce qui en fait son intérêt principal l’ouvrage est assortie de très important et très nombreux repères bibliographiques et d’un appareil de notes très étoffé. On y trouve également plusieurs cartes en noir et blanc qui permettent de se faire une idée assez précise des enjeux portuaires dans le cadre d’une réflexion sur la mondialisation.

Bruno Modica ©