La sécurité alimentaire est un sujet incontournable. Cet ouvrage présente la recherche interdisciplinaire conjointe du Cirad et de l’INRAE, mené entre 2014 et 2020, appelé GloFoodS. C’est devenu un défi mondial dans le monde  : comment assurer à tous et à chacun une alimentation suffisante, sûre, équilibrée ? Les auteurs abordent les questions de gouvernance, équilibre entre l’offre agricole et les besoins alimentaires des populations, la gestion des ressources locales et les innovations techniques.

La définition de la sécurité alimentaire a été adoptée au Sommet mondial de l’alimentation en 1996 : « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. »

Les systèmes alimentaires sont l’ensemble des activités de production, de transport, de stockage, de transformation, de distribution, de consommation, sans oublier la gestion des déchets. Ils sont impactés par le changement climatique, l’érosion de la biodiversité. Les études abordent ces questions à différentes échelles, combinant des approches locales et globales.

Gouvernance des systèmes alimentaires

Trois études de casDe Arlène Alpha, Antoine Bernard de Raymond, Sandrine Fréguin-Gresh et Allison Loconto  montrent l’intérêt d’une gouvernance partagée entre institutions et acteurs locaux : un programme alimentaire national au Nicaragua, l’agenda de la résilience et sa mise en œuvre au Sahel et une modélisation de l’utilisation des terres. Ils mettent en évidence le rôle des mouvements paysans comme Via Campesina qui utilise de concept de souveraineté alimentaire pour repolitiser la lutte contre la faim et la malnutrition. La crise de 2008 est un tournant dans la manière de gouverner l’agenda international de la sécurité alimentaire. Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale des Nations unies introduit la société civile dans les débats des experts.

Les experts s’interrogent : « qui a le pouvoir de définir les règles que les autres doivent suivre ? Qui influence la conception des instruments de politiques qui servent les intérêts des différents acteurs ? Comment les instruments développés façonnent-ils les actions possibles une fois que les acteurs des politiques publiques s’en emparent et les mettent en œuvre ? »

Ils montrent les limites du programme Faim Zéro au Nicaragua, le rôle des intervenants extérieurs dans le cas du Sahel. Ils évoquent les modèles d’utilisation des terres apparus dans les années 2010 qui ont favorisé une agriculture intensive et un renforcement de l’agrobusiness sans résoudre le problème de la faim.

Leur conclusion : « Notre analyse invite donc à porter une attention particulière aux inégalités que les instruments de gouvernance produisent ou renforcent, consciemment ou non. »

Des spécialistesCéline Bignebat, Romain Melot, Paule Moustier, Emmanuel Raynaud et Guillaume Soullier explorent la gouvernance des terres et des chaînes de valeur alimentaires et son impact sur les moyens de subsistance des populations au Sénégal, au Maroc et en France. Les politiques publiques, les actions des acteurs privés influencent le fonctionnement des transactions foncières et des échanges de produits agricoles.

Au Sénégal, l’agrobusiness exerce une forte pression sur le foncier dans la région de Dagana, dans la vallée du fleuve Sénégal. Que ce soit pour la production de riz, de légumes, des entreprises supra-nationales imposent des modifications de pratiques agricoles (utilisations des intrants industriels) et des conditions aux dépens des éleveursSur le projet Senhuile-Senethanol : comment le projet Senhuile-Senéthanol menace l’environnement et détruit les Communautés locales ? (Février 2014).

Le développement d’une zone industrielle en milieu périurbain de Casablanca, impliquant des investissements publics, au Maroc vient concurrencer la petite agriculture pour l’utilisation du sol.

L’analyse de la régulation par la SAFER de l’utilisation des terres en Île-de-France montre l’artificialisation croissante des terres.

Liens entre offre agricole et besoins alimentaires et nutritionnels

Une équipeSophie Drogué, Sandrine Costa, Michel Simioni, Viola Lamani, Marie-Josèphe Amiot et Caroline Méjean analyse l’offre et la demande alimentaires et montre la transition nutritionnelle et les transformations sociétales dans différents contextes.

L’évolution de l’approvisionnement alimentaire à court terme du fait de la mondialisation, entraîne le recours croissant à des aliments transformés, bon marchés, différents des régimes alimentaires traditionnels. Les auteurs s’intéressent à la qualité de l’alimentation, aux liens commerce-nutrition, à ce qui détermine ses changements à partir, principalement de deux exemples : le contexte de forte dépendance aux importations, aux Antilles françaises et la transition nutritionnelle marquée par les déterminants socio-démographiques au Vietnam.

David Makowski, Rotem Zelingher et Christophe Gouël consacrent leur article aux origines des chocs dans la production agricole et aux impacts sur les prix du marché des produits agricoles.

Depuis la crise de 2007-2008, on constate une grande variabilité des prix des principales cultures vivrières et fourragères sur les marchés internationaux. Les auteurs analysent les différents facteurs qui expliquent ces variations : les événements climatiquesTableau p. 68, les effets des ravageurs ou des maladies qui affectent les rendements. Pour se prémunir de ces évolutions des prix du marché, des outils imparfaits existent. L’information sur les pertes de rendement influent aussi sur les cours des marchés et sur les politiques de stockage.

 

Patrice Dumas, Agneta Forslund et Chantal Le Mouël analysent les rapports entre les changements de régime alimentaire à l’échelle mondiale, les usages des terres et les impacts de l’agriculture sur l’environnement, notamment la part d’alimentation carnée. Les essais de modélisation des régimes alimentaires sont contrastés. Quatre scénarios de régime alimentaire sont proposés à l’horizon 2050. Les hypothèses portent sur une stabilisation de l’apport calorique total et de la part des produits animaux dans les pays développés, des régimes deviennent plus riches en calories et en produits animaux, dans les pays en développement ; soit, avec des variantes, des régimes plus urbains où la part des produits transformés augmente. D’autres hypothèses envisagent une part croissante des productions de biomasse énergétique. Les conséquences de l’utilisation des terres sont très variables, selon les scénarios. Les auteurs souhaitent plus de transparence dans la communication des résultats des études.

Innovations agroécologiques et diversité des régimes alimentaires

Les auteursSandrine Fréguin-Gresh, Danièle Clavel, Hélène Guétat-Bernard, Geneviève Cortès, Valentina Banoviez-Urrutia et Sandrine Dury s’intéressent au rôle des femmes dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages, à partir de deux études de cas au Sénégal et au NicaraguaSchéma de l’analyse de l’approvisionnement alimentaire des ménages au Nicaragua, p.98.

Si la place des femmes est connue depuis longtemps, les autrices souhaitent montrer le travail souvent invisibilisé des femmes dans les espaces productifs et domestiques, comme la cuisine. L’étude, de l’ONG ENDA, au Sénégal montre les impacts de l’intensification de la riziculture sur la biodiversité agricole et la qualité des alimentsSchéma p. 99.

La cuisine est aussi un espace de pouvoir où les femmes peuvent exprimer leurs compétences. Le maintien des traditions alimentaires est un gage d’alimentation équilibrée comme au Sénégal où, dans le Waalo, l’alimentation repose sur des plats à base de sorgho et des légumes associés à des graines produites ou récoltées. Le remplacement du sorgho par le riz et le blé (pain blanc) a conduit à une détérioration nutritionnelle.

La migration, notamment au Nicaragua, et le changement agricole sont, pour les femmes, une opportunité dans leur recherche d’autonomie ou de résistance.

 

Des innovations agroécologiques pour les petits agriculteurs.

Les auteursLudovic Temple, Éric Malézieux, Denis Gautier, Christine Aubry, Jeanne Pourias, Raul Puente Asuero et Hubert de Bon montrent leur rôle dans le développement des innovations, l’amélioration de l’accessibilité à des produits alimentaires de qualité. L’étude porte sur trois études de cas en Afrique et en Europe : méthodes, obstacles.

Dans la province de Tuy, dans la région des Hauts-Bassins au Burkina Faso, l’étude montre la complexité qui existe entre les systèmes agricoles, les pratiques agroécologiques et la diversité alimentaire.
Le développement de l’agriculture biologique en Afrique favorise l’accès à une alimentation de qualité, d’autant qu’elle permet une augmentation des revenus des producteurs de certains produits exportés vers l’Europe (soja, au Burkina Faso ; fruits et légumes au Cameroun). Elle est, aussi, à l’origine d’une petite industrie de produits transformés (par exemple, jus de fruits, produits séchés). Cependant, des obstacles comme les coûts de la certification, le manque d’assistance technique pour les agriculteurs, en limitent le développement.

Un paragraphe est consacré à l’agriculture urbaine en Europe : Paris et Séville, avec l’exemple des jardins familiaux et communautaires. En quoi contribuent-ils à la sécurité alimentaire des familles ?

Procédés de transformation innovants pour des aliments de qualité

Une équipe de chercheursAlain Kondjoyan, Valérie Guillard, Pierre-Sylvain, Mirade, Thierry Goli, Antoine Collignan, Élodie Arnaud, Sandrine Costa, Nathalie Gontard et Nadine Zakhia-Rozis a étudié les pertes alimentaires dans les chaînes d’approvisionnement en viandes et en fruits. De quelle façon l’ingénierie alimentaire peut-elle apporter des solutions ?

Ils décrivent les possibilités de réduction du gaspillage aux différents stades de la transformation, de la distribution et de la consommation : exemples de la chaîne d’approvisionnement française en viandes fraîches, de celle des viandes transformées en Afrique du Sud. La même étude porte sur les fruits et légumes, avec l’exemple des fraises.

Les auteurs présentent des innovations possibles en Europe, mais insistent sur la nécessité de réduire les pertes alimentaires dans les pays du Sud.

 

Sylvain Rafflegeau, Germain Kansci et Claude Genot traitent des huiles de palme artisanales, au Cameroun. Si la production artisanale est en augmentation, sa consommation à Yaoundé recule par manque de qualité des productions artisanales. Les auteurs analysent la totalité de la filière depuis la culture du palmier à huile, la production de l’huile, les circuits de commercialisation et de distribution de l’huile de palme rouge jusqu’aux marchés de Yaoundé.

Ils concluent sur l’intérêt de cette huile, ingrédient principal des plats locaux, les apports nutritionnels.

 

L’agroécologie pour promouvoir des chaînes de valeur résilientes

– Geneviève Teil et Sylvie Lardon apportent leurs regards socio-économique et géographique sur la transition agroécologique. Elles analysent le concept de résilience : « le résultat d’une activité de transformation qui s’appuie sur des savoir-faire, des actions collectives et des méthodes de coordination entre acteurs ».

A partir d’exemples en France, en Italie et au Brésil, elles montrent comment les acteurs cherchent à se différencier en pratiquant l’hybridation des modes de production fromagère (production au lait cru et/ou pasteurisation), de commercialisation (circuits alternatifs dans la plaine de Pise, en Italie) et les interactions multi-acteurs (communauté traditionnelle du Faxinal Emboque, au Paraná – Brésil).

En s’appuyant sur des stratégies individuelles et collectives des acteurs, ces pratiques contribuent aux dynamiques de développement territorial (ex sur le territoire du parc naturel régional Livradois-Forez en Auvergne-Rhône-Alpes,).

 

Les chercheursÉric Vall, Claire Aubron, Stéphane Ingrand, Marie-Odile Nozières-Petit, Mathieu Vigne, Marie Dervillé, Étienne Sodré et Charles-Henri Moulin nous entraînent au Burkina Faso, en France et en IndeProvinces des Hauts-Bassins, des Cascades et du Centre (Burkina Faso) ; États du Gujarat, du Bihar, de l’Andhra Pradesh, du Karnataka et du Bengale-Occidental (Inde) ; Région des Grands Causses (France), à la découverte de l’agroécologie, appliquée à la production et à la commercialisation du laitTableau comparatif, p. 177. Les auteurs présentent des systèmes de production laitière à faible niveau d’intrants ou agropastoraux, familiaux. Ils débattent des conditions d’atténuation des impacts environnementaux de l’élevage, en combiner les cultures et de l’élevage, tout en répondant à la demande croissante de produits laitiers.

 

Mobiliser les ressources locales comme levier de la sécurité alimentaire

Une large équipeRémi Cardinael, Olivier Deheuvels, Louise Leroux, Julie Subervie, Akiko Suwa-Eisenmann, Cécile Bessou, Emmanuelle Bouquet, Thibault Catry, Regis Chikowo, Marc Corbeels, Gabriela Demarchi, Abdoul Aziz Diouf, Gatien Falconnier, Ndeye Fatou Faye, Jérémie Gignoux, Christèle Icard-Vernière, Camille Jahel, Pamela Katic, François Libois, Sabine Mercier, Claire Mouquet-Rivier, Talent Namatsheve, Andréa Renk, Ninon Sirdey, Isabelle Tritsch et Éric Verger s’est réunie pour analyser les stratégies en matière de sécurité alimentaire et de ressources naturelles.

Dans les régions rurales tropicales, les ménages doivent faire face à deux défis la conservation des ressources naturelles et la sécurité alimentaire dans un contexte de changements climatique, comme le montrent cinq études de cas de diversification de la production : l’agroforesterie au Sénégal (régions de Niakhar et de Nioro), l’agroforesterie à base de cacao en Amazonie péruvienne (communautés indigènes d’Urakusa et Chipe), la culture intercalaire de céréales et de pois au Zimbabwe et en Afrique subsaharienne, la monoculture pérenne d’huile de palme en Indonésie et la production bovine extensive dans la forêt amazonienne brésilienne (initiatives REDD+).

En conclusion : « la diversification des systèmes de production basés sur l’agroforesterie est susceptible d’augmenter les rendements des cultures et de réduire la vulnérabilité des ménages en améliorant leur sécurité alimentaire.[…]si des instruments tels que les paiements pour services environnementaux permettent de résoudre l’arbitrage entre ressources naturelles et sécurité alimentaire dans les zones tropicales à court terme, leur efficacité à long terme reste à démontrer. »

 

Jean-Daniel Cesaro, Guillaume Duteurtre, Stéphane Guilbert et Nadine Zakhia-Rozis, traite la question de la gestion des déchets alimentaires en zone urbaine, une économie circulaire ville-campagne.

Les biodéchets alimentaires sont à traiter à trois niveaux d’action : la distribution alimentaire en ville, les pratiques quotidiennes des consommateurs et une nouvelle économie circulaire de recyclage des biodéchets. L’agriculture pourrait être une solution. Les auteurs s’appuient sur des exemples précis : Montpellier, Chicago, Antananarivo, Dakar et Hanoï pour décrire la production et le recyclage des déchets alimentaires à différentes étapes du système alimentaire. Ils analysent les atouts de l’économie circulaire pour la valorisation malgré les contraintes des réglementations sanitaires au nord et grâce aux initiatives informelles au sud.

 

Les chercheuirsPerrine Burnod, Angel Avadí, Paula Fernandes, Frédéric Feder, Christine Aubry, Thibault Nordey, Laurence Defrise, Djibril Djigal, Audrey Jolivot, Stéphane Dupuy, Komi Assigbetsé, Hélène David-Benz, Coline Perrin et Valérie Andriamanga étudient les atouts, les contraintes et les défis du maraîchage pour les villes africaines. Ils présentent l’évolution de cette activité intra- et périurbaine dans un contexte foncier difficile, à partir d’étude de cas à Madagascar, au sud du Bénin, en Tanzanie et au Sénégal, avec une approche interdisciplinaire.

L’aspect positif de l’approvisionnement des marchés locaux est contrebalancé par la faible qualité des produits et le recours à des intrants chimiques non conventionnés. Malgré la pression foncière, le maraîchage se développe et des incitations visent à l’amélioration de la qualité nutritionnelle et sanitaire des productions.

 

Conclusion

Les auteurs se félicitent de participer à la réflexion sur la sécurité alimentaire en lien avec les Objectifs du Développement Durable. Le projet GloFoodS est un marqueur des transformations profondes de l’agenda international.

 

Au-delà des chercheurs et des spécialistes de la sécurité alimentaire, cet ouvrage, par les exemples précis, localisés qu’il présente, intéressera les enseignants qui y trouveront matière à compléter leur informationOn pourra aussi se référer à l’Atlas des politiques agricoles et alimentaires, Philippe Ducroquet, Jean-Paul Charvet, Éditions du Rocher, 2024 et Atlas de l’agriculture – Mieux nourrir le monde, Jean-Paul Charvet, Autrement, 2023.

 

L’ouvrage est téléchargeable sur le site des éditions Quae.