Catalogue d’une exposition qui s’est déroulée à Arles Jusqu’au 31 octobre dernier, ce beau livre publié par actes Sud réunis sous un petit format les contributions de plusieurs artistes qui rendent ainsi hommage au grand maître. Ce dernier, lorsqu’il avait composé son premier tableau, initialement intitulé, la course de taureaux, avait prévu de réaliser une toile de grande taille, montrant une tauromachie dans laquelle le combat était sans doute la partie essentielle.
Cette œuvre qui a été acceptée au salon de 1864 semble avoir finalement déplu à Manet qui l’ a redécoupée et désormais les deux parties se trouvent aux États-Unis mais dans deux musées différents. En réalité, ce sont deux toiles très différentes qui sont ainsi proposées, tant par leur inspiration que par la facture.
Le torero mort qui est l’objet du catalogue et surtout de cette exposition « hommage au maître », semble avoir été inspiré par une toile qui a longtemps été attribuée à Vélasquez, le soldat mort.
L’artiste a voulu sans doute, avant de découper la toile montrer à la fois la sauvagerie du combat et cette image d’une mort apaisée, avec un matador qui ne porte d’ailleurs pas l’habit de lumière, reposant paisiblement sur le sable, son capote, dans la main gauche. Même si la position du cadavre ne laisse aucun doute sur l’état de mort, on reste quand même étonné devant cette sérénité qui semble avoir été atteinte dans les derniers instants de ce torero.
On comprend alors les différents artistes qui ont été réunis autour du texte de Jean-Paul Curnier, pour cette exposition présentée par Jean-Marie Bénézet.
Ce catalogue démontre, s’il en était besoin, que la corrida, au-delà du combat, est une sublimation de l’expression artistique, qui vise, comme dans une création graphique, picturale ou photographique, à fixer un instant. Ici, c’est le moment suprême, même si cette expression peut apparaître comme emphatique en français. En espagnol, les aficionados parlent, au moment de la mise à mort, de la suerte suprema, c’est-à-dire du moment le plus intense lorsque le corps se livre aux stylets acérés des deux cornes et lorsque pour la seule et unique fois du combat, le matador quitte du regard la tête du taureau. Alors on imagine, comme les sept artistes réunis autour de cette oeuvre, cette déclinaison des sentiments qui a pu traverser l’esprit de l’homme qui s’est livré. Dans cette présentation de la mort, on retrouve cette expression que l’on a pu observer dans des pietà, la paix atteinte après le sacrifice.Mais la toile « le soldat mort » inspire aussi les mêmes sentiments.

Il faut avoir entendu et lu ce que les toreros ont pu dire à propos de leurs blessures, lorsqu’ils sentaient que par l’orifice de la cornada, leur vie les abandonnait. Les familiers des arènes qui ont vu les coups de cornes infliger des blessures, savent bien que les matadors n’expriment pas leur douleur. Ce n’est pas simplement leur courage qui les fait réagir ainsi, mais cette acceptation préalable de leur destin. Ils savent aujourd’hui que dans la plupart des cas, et cela est heureux, un bloc opératoire permettra la réparation des dégâts infligés, mais ils savent aussi que cette blessure peut-être la dernière, si celle-ci leur ôte pour toujours le courage de revenir exposer leur vie.
Alors, que l’on prenne les différents supports qui ont été utilisés par des artistes aussi différents que Hervé Di Rosa, Christian Lacroix, Lucio Fanti, et d’autres, on retrouve toujours cette idée de l’acceptation d’un destin immuable.
Jean-Paul Curnier évoque d’ailleurs dans son texte la bouleversante gestuelle d’appropriation de l’existence jusque dans la mort. Il cite d’ailleurs un torero particulièrement étonnant, Luis Francisco Espla, qui rappelait que ceux qui le préoccupait, était davantage la façon de mourir, que la mort elle-même.
Si l’on présente la tauromachie comme un art, c’est parce que la tauromachie est certainement l’art de surpasser la peur pour la sublimer dans la grâce.

Alors, en parcourant ce beau catalogue, ce bel objet on peut se livrer à une introspection sur le sens de la vie, de ce creuset de lumière dans lequel l’homme créature fragile dépassera sa peur, dans son existence quotidienne, résumée lors des trois temps du combat.

Bruno Modica