Les arêtes de poisson sont un ensemble de tunnels souterrains qui ont marqué l’histoire lyonnaise à travers différentes époques. Redécouvertes au XXe siècle, elles ont suscité danger, controverses et explications plus ou moins farfelues dans la capitale des Gaules. Cette BD retrace cette redécouverte et les destins de l’ensemble des acteurs qui ont tourné autour de cette aventure urbanistique.

Pourquoi s’intéresser à ce récit, si l’on n’est pas soi-même lyonnais ou urbaniste? Tout simplement, ces arêtes de poisson dépassent le cadre lyonnais pour être un parfait exemple de tout l’écosystème politique, judiciaire, culturelle et économique qui se crée autour d’un drame.

Car l’histoire des arêtes de poisson, ce sont d’abord des catastrophes: l’effondrement des collines de Fourvière et de Saint-Clair dans les années 30, des affaissements d’immeubles à la Croix-Rousse dans les années 60, des explosions de conduites de gaz… Des drames humains qui engendrent des querelles entre propriétaires et mairie, entre mairie et assureurs, pour savoir qui est responsable et qui va payer les dégâts…

Les arêtes de poisson, c’est aussi une histoire de cataphiles. Des fans de réseaux souterrains, qui frôlent en permanence avec la légalité, l’ésotérisme, l’amateurisme éclairé ou délirant. Présent ou discret médiatiquement, en quête de réseau politique et associatif pour étayer une thèse ou défendre un patrimoine auquel il s’attache, le cataphile se nourrit de ces endroits secrets, enfouis, parfois volontairement cachés.

Mais que sont ces réseaux? Ce sont des constructions maçonnées qui existent à Lyon depuis une époque lointaine, finalement datée au XXe siècle de l’Antiquité. Elles servent à transporter l’eau de rivières souterraines qui aliment le Rhône. Réseau complexe et étendu sur plusieurs km, en réseau avec des conduites plus lointaines dans l’Ain, les arêtes de poisson ont été oubliées avant que leur redécouverte, accidentelle, ne pose de sérieux problèmes.

Mal entretenues, cachées politiquement, objets de mythes, il a fallu l’intervention de nombreux acteurs institutionnels ou privés, pour les remettre sur le devant de la scène, notamment au moment des grands travaux d’aménagement de la ville de Lyon, travaux qui menaçaient leur existence. Objets de convoitise ou de rejet, à la fois obstacles et objets patrimoniaux, elles ont fait couleur de l’encre et suscité des débats controversés.

Cette BD est à la fois un récit, une enquête journalistique, un hommage aux acteurs des différentes périodes urbanistiques lyonnaises. Mais en allant plus loin, la BD pose la question de ce qu’est la patrimoine, de son intérêt politique, économique, culturel et affectif. Elle est aussi une plongée dans ce que sont les recherches historique et architecturale et comment ces recherches peuvent faire face à des obstacles, particulièrement administratifs.

Très richement documentée, cette BD offre un réel plaisir de lecture, en étant à la fois accessible et pointue techniquement. Le style graphique est agréable et il faut noter les efforts de mise en page et de structure pour rendre l’ensemble le plus intelligible possible. Une très belle surprise qui ne doit surtout pas se réserver à un public lyonnais.