A l’occasion d’une exposition consacrée au peintre Antoine Watteau, présentée au cabinet d’arts graphiques du musée Condé (8 mars – 15 juin 2025), les éditions Faton publient un nouveau titre dans la collection Les Carnets de Chantilly, numéro 22, intitulé Les mondes de Watteau.

Dans le prolongement de l’exposition-dossier du Louvre, autour du célèbre Pierrot, dit le Gilles (16 octobre 2024 – 3 février 2025), une belle opportunité est offerte par le domaine de Chantilly pour voir ou revoir les tableaux de Watteau qu’il possède, désormais restaurés : Plaisir pastoral, Le Donneur de sérénades, L’Amante inquiète. Mais cet événement permet avant tout d’admirer quelques feuilles du corpus dessiné très rarement exposées (dont le château en possède six).

Le Donneur de sérénades
Antoine Watteau
Huile sur toile, 24 x 17,5 cm
Chantilly, musée Condé, PE 371
© Eric Joly

L’Amante inquiète
Antoine Watteau
Huile sur bois, 24 × 17,5 cm
Chantilly, musée Condé, PE 372
© Eric Joly

La totalité de la cinquantaine d’œuvres présentées est reproduite dans ce catalogue. Elles donnent un très bon aperçu de la production graphique de l’artiste. On retiendra l’extraordinaire vivacité et expressivité du coup de crayon de Watteau. Il brille particulièrement dans la technique de la sanguine, associée à la pierre noire et la craie blanche.

Passé de mode, le « style Pompadour » ou « roccoco » subit une désaffection jusque dans le premier tiers du XIXe siècle. Au cours de la Monarchie de Juillet, les Orléans, réévaluent le style rocaille et donc l’art de Watteau, dans un contexte politique qui vise à la réconciliation.

Le duc d’Aumale, propriétaire du château de Chantilly, n’a semble-t-il pas cherché à acquérir avec passion du Watteau. Mais il affirme, comme ses contemporains, son goût pour les maîtres du XVIIIe siècle et soutient la vogue pour les pastiches réalisés au XIXe siècle, dans laquelle s’inscrivent des peintres comme Ernest Meissonier et Eugène Lami. A la dimension esthétique s’ajoute une nostalgie historique, en lien aussi avec la filiation politique de la famille d’Aumale.
On retrouve en Angleterre ce même intérêt pour cet art passé, à l’image de la collection de lord Hertford et de son fils Richard Wallace (Wallace collection).

Les visages de Watteau

Il paraît vain de chercher à donner une identité aux modèles. L’artiste produit en nombre un répertoire de poses et de visages, réutilisables d’une composition à l’autre pour ses peintures de fêtes galantes.
Le présent ouvrage avance toutefois quelques hypothèses d’identification comme dans le tableau, Le Concert champêtre, où portraits et figures de fantaisie se mêlent.

Dessiner d’après les maîtres

Watteau réalise de nombreuses copies d’après des maîtres anciens. L’artiste bénéficie d’un accès privilégié au palais du Luxembourg à Paris, lorsqu’il entre chez Claude III Audran, dès lors que ce dernier reçoit la charge de « concierge » (conservateur) en 1704. Hébergé en 1717 chez Pierre Crozat, il profite de l’imposante collection de son hôtel particulier de la rue de Richelieu.
Ces œuvres servent d’études de modèles anciens mais constituent aussi un répertoire, source d’inspiration, pour élaborer ses propres compositions. Ces dessins ne sont pas de simples reproductions. Ils sont personnalisés par son style et sa technique. On dénombre environ 80 feuilles découlant d’une composition peinte ou dessinée des « anciens peintres », parmi son corpus qui comprend 650 dessins.
La peinture de Titien, pour ses paysages vénitiens, et celle de Rubens influencent particulièrement Watteau.

Regard sur le monde contemporain

Watteau porte un regard attentif au monde qui l’entoure. Véritable chroniqueur de son temps, il dessine et peint des charlatans, des marchands, des soldats en campagne militaire. La représentation de Noirs, de figures du théâtre italien, de « Savoyards », de membres de l’ambassade persane, peuplent son corpus dessiné, offrant une image de l’altérité. Ces feuilles qui donnent une impression de pris sur le vif, fournissent une étude presque ethnographique, notamment par les usages vestimentaires.

Modes et divertissements

Les frères Goncourt ont fait l’éloge de Watteau dans son traitement des vêtements, combinant des influences italiennes et flamandes du XVIIe siècle avec la mode parisienne du premier tiers du XVIIIe siècle. Par « mode », il faut comprendre la manière de s’habiller. Ce terme est à privilégier par les historiens de la mode. En revanche, les contemporains de Watteau parle de « costume » pour le discours sur la peinture ou le théâtre. L’artiste se distingue par son observation attentive des étoffes et plus généralement des vêtements, reproduits avec précision.
Cette association de styles de différentes époques crée une atmosphère intemporelle.

Femme assise à terre, un voile sur la tête ; tête d’homme tournée vers la gauche
Antoine Watteau
Sanguine, pierre noire, graphite et craie blanche
15,6 x 21,5 cm
Chantilly, musée Condé, DE 446
© Rmn-GP (Domaine de Chantilly)

Watteau montre aussi l’influence de la mode espagnole à son époque, avec la représentation de femmes voilées d’une mantille.

La musique est très présente dans l’œuvre de Watteau. Elle constitue un tiers de ses tableaux et 10 % du corpus dessiné. La guitare (ou le théorbe) accompagne fréquemment les fêtes galantes. Il s’agit de saisir plus encore la posture du praticien, que la précision organologique.

Aux sources des fêtes galantes

La fête galante wattesque donne à voir un espace imaginaire de délassement et de liberté, idéalisé, peuplé d’assemblées et de scènes de conversation, prétextes à des entretiens amoureux, associant souvent la musique, dans une atmosphère conviviale mesurée.
Sorte de paradis terrestre, où l’homme en quête d’amour fait corps avec la nature, la fête galante a pour origine le « jardin d’amour », un thème largement répandu dans l’iconographie médiévale.

Ce genre a permis à Watteau d’acquérir une renommée européenne auprès des collectionneurs de son époque. Pourtant il est qualifié aussi par ses contemporains de « peintre flamand ». Éloigné de la grande tradition de l’art français du XVIIe siècle de Le Brun ou de Poussin, cette désignation s’explique, outre ses origines valenciennoises, par sa manière de peindre. Son ancrage à la tradition picturale flamande des XVIe et XVIIe siècles est évidente, telles les fêtes de village, qui se caractérisent par la représentation de vastes paysages occupés par une multitude de figures.
Watteau crée un répertoire graphique de visages, de silhouettes, de motifs, qu’il utilise et insère dans ses compositions.
On dénombre environ 80 fêtes galantes peintes sur un corpus de 215 tableaux (soit 35 % de sa production totale). Trois catégories sont distinguées : les petites assemblées dans les parcs, les grandes assemblées galantes habitées de sculptures vivantes ou de fragments d’architecture, et enfin les figures isolées (comme Le Donneur de Sérénade, ou L’Amante inquiète).

En conclusion, l’ouvrage offre une synthèse claire, accessible et contextualisée du processus créatif d’Antoine Watteau, à partir d’une faction de son corpus dessiné.