Pascale Mormiche est l’auteur d’une remarquable étude présentée dans la Cliothèque:
Devenir prince, l’école du pouvoir en France. XVIIe-XVIIIe siècle
CNRS éditions. Septembre 2009
Après avoir approché le service du roi grâce aux valets de la Chambre du roi, Mathieu Da Vinha, Les valets de chambre de Louis XIV, Tempus, Perrin, 2009. il est maintenant possible de pénétrer dans la « Ville-Versailles »Référence à la Ville-Louvre de Nicolas Philibert, dans le fonctionnement du château. C’est du moins l’expérience que relate Mathieu Da Vinha dans un nouvel ouvrage passionnant.
Un intérêt nouveau est apparu dans l’histoire des résidences royales déjà évoquées dans d’autres ouvrages qui mettent en évidence sa construction, son « Oeconomie » Frédéric Tiberghien, Versailles : Le chantier de Louis XIV (1662-1715), Perrin, 2002. Thierry Sarmant, Les demeures du Soleil. Louis XIV, Louvois et la surintendance des bâtiments du roi, Seyssel-Champ Vallon, 2003. R W Newton, L’espace du roi, Fayard, 1999. Idem, La petite Cour : Services et serviteurs à la Cour de Versailles au XVIIIe siècle, Fayard, 2006. Idem, Derrière la façade : Vivre au château de Versailles au XVIIIe siècle, Fayard, 2008. Jean-Claude Le Guillou, Versailles, Le Château en construction, Art Lys, 2006. . Le château de Versailles est devenu un objet d’étude proprement dit.
En suivant les étapes de la construction du château, on suit précisément les étapes d’installation de la famille royale, du gouvernement du royaume et l’administration. L’auteur insiste sur le passage d’une résidence longtemps privée à une résidence d’État, un centre de décision et un espace d’administration d’un État disposant de toutes les infrastructures nécessaires. Et l’on suit les agrandissements empiriques qui se multiplient alors que la vie même s’installe dans le château, le roi dirige, les princes naissent, les ambassades viennent admirer et des spectacles sont joués…
L’auteur décrit d’abord les logements et leurs attributions, grand enjeu à la cour. La différenciation s’accroît entre les logés ou «logeants» au château, les courtisans et ceux n’étant pas distingués par un logement, habitent à Versailles, hors du château. Encore plus quand ceux qui ont un logement de faveur narguent ceux qui ont un logement de fonction, lié au service du roi ou de la famille. Dure hiérarchie, subtile distinction qui valent tous les sacrifices et qui expliquent la cour qui peut être faite à des personnes subalternes mais qui excellent dans l’attribution des logements: l’intendant par exemple.
Construction d’un espace de pouvoir
L’auteur suit les modifications des pièces et des espaces, l’abattage des murs, les déménagements à l’intérieur du château. Tout ceci conduit à une spécialisation des espaces avec des « quartiers » attribués à certains groupes comme Mme de Maintenon, les Noailles, le duc de Bourgogne, sa famille et les hommes à son service. Loin d’être anecdotique, c’est toute une stratégie de la faveur, une analyse des grâces royales et de ses revers qui sont décrites. Mais cette organisation facilite également la vie à la cour, la rapidité du service lié à la charge domestique, le repos entre deux cérémonies, le changement d’habits, sans que le courtisan ait à rentrer dans son hôtel particulier le long des avenues de Versailles.
Puis l’auteur s’intéresse au fonctionnement quotidien des nécessités de la vie dans un château. Ce spécialiste de la vie quotidienne à Versailles tord le cou définitivement, il faut l’espérer, à la légende noire de Versailles.
Non, le roi ne mangeait pas tout ce qu’il y avait sur ses tables. Oui, il y avait des commodités et des salles de bains au château. Oui, le roi et la famille royale se baignaient. Non, le roi ne reçoit pas sur sa chaise percée mais il est arrivé quelques rares fois que son valet le serve à ce moment intime et le signale dans ses mémoires.
L’hygiène à Versailles, la légende noire
Les travaux sur l’hygiène, sur l’intime et sur les eaux, leur distribution à Versailles, la connaissance des lieux permettent d’affirmer que le roi fit le choix de la maîtrise des eaux et de l’hygiène pour la résidence royale. Ses vêtements étaient pris en charge par le grand maître de la Garde Robe et son cortège de valets de la Maison du roi. Lavandiers, baigneurs, parfumeurs, dentistes s’affairent autour des corps royaux tandis que les parfums de Mme de Montespan finissent par exaspérer le roi. Les commodités décrites avec attention montrent assez l’usage de ces lieux retirés et l’importance de l’intimité pour le roi. En 1710, on dénombre trente-cinq fosses d’aisance dans l’ensemble du château. Est-ce assez pour évacuer les eaux usées par des aqueducs souterrains vers des « étangs puants » et surtout est-ce assez pour orienter le débat de l’hygiène au château vers d’autres nouvelles découvertes que la répétition des lieux communs habituels ?
Le repas du roi ne se limite pas au spectacle public du souper, grand couvert et petit couvert à la table royale. Il faut nourrir ceux qui vivent à la cour. Les repas sont un moyen de créer une distinction supplémentaire entre les commensaux, ceux qui sont « de bouche à la cour » et ceux qui ne sont pas nourris par obligation de service. Le tout est contrôlé par le Grand Maître de la maison du roi qui délègue les taches pénibles de comptabilité, qualités et contrôle au personnel du Bureau du roi. Des informations très précises sont données sur cette administration ainsi que sur le service de la Bouche, le Gobelet, la Cuisine-Bouche. Les Offices-Communs assurent quant à eux la nourriture des autres habitants du château. On apprend que les tables à Versailles étaient servies dans la journée selon un menu précis mais surtout selon un horaire rigoureux permettant de répondre aux utilités de service des officiers de la couronne.
Le repas du Roi
Ainsi le roi ne mangeait pas le premier ! Et après avoir eu l’honneur d’assister solennellement au repas du roi, il y avait plusieurs autres tables pour «chercher midi» « Chercher midi » à Versailles était-il plus facile qu’à Paris? à Versailles. En dernier lieu, il était possible d’être nourri par la desserte des tables royales qui prévoyaient d’après les estimations le double de nourriture par rapport aux convives. Donc une cascade de repas selon la hiérarchie sociale et la faveur permettait d’être nourri au château.
Autre thème évoqué, le système de chauffage du château. Ce sont les officiers de la Fourrière qui approvisionnent le château en bois et combustible et la Fruiterie en bougies. Outre les cheminées, les brasiers (braseros), les bougies et girandoles, il semblerait qu’il existât un chauffage indirect par le sol, à l’entresol plus précisément, comme sous la grande galerie.
L’auteur s’intéresse ensuite à l’administration, à l’intendance et à la surintendance des bâtiments. Se distingue progressivement la notion de concierge, de gardien, puis d’intendant et de gouverneur pour assurer la gestion de cet immense domaine. Cet emploi de confiance et d’importance était bientôt lié à celui de valet de chambre du roi.
Dans ce lieu exposé qu’est Versailles, il faut ensuite assurer la garde. Les amateurs d’uniformes et de mot de passe se régaleront à ces analyses de service du guet du château et du domaine, les gardes françaises affectés dans la partie sud et les suisses au nord.
En dernier lieu, s’inscrivant dans un courant de recherche sur le tourisme au XVIIIe siècle dans les capitales européennes, l’auteur traite de la cérémonies des ambassades mais surtout des visites moins prestigieuses du château et des guides rédigés à cet usage. L’image de Versailles tient à cette organisation, à ses innovations en matière d’hygiène, d’entretien, de police et d’administration domestique mais surtout à cette exceptionnelle ouverture au public, voulue par Louis XIV, ouverture dont pâtît bientôt l’image du château parcourue par des foules peu respectueuses des usages. Versailles, demeure longtemps privée mais publique par usage. Versailles admiré, imité mais déjà victime sous Louis XIV d’une sur-fréquentation !
C’est un vrai manuel de vie quotidienne au château que nous offre ce livre, un manuel d’intendance qui remplit d’hommes de service, d’artisans mais aussi d’espions ces salles que parcourent la tête en l’air les touristes actuels… Il fait réapparaître cette foule d’hommes qui ont rendu possible la monarchie absolue, par leur service, leur créativité, leur obéissance, leurs observations. Un beau livre d’histoire sociale au château.
Un homme parcourt ce livre et les appartements de Versailles, c’est Bontemps dont on attend que l’auteur fasse une biographie tellement il a rempli son rôle au-delà de la confiance requise par Louis XIV.
Pascale Mormiche