La Société d’histoire des Filles du Roy et la Société historique de la Côte-du-Sud ont collaboré à cet ouvrage qui est consacré à l’histoire des trente-sept Filles de Roy de la Côte-du-Sud.

Comme pour les précédentsLes Filles du Roy pionnières de Montréal ( 2017), Les Filles du Roy pionnières de la seigneurie de La Prairie (2019), Les Filles du Roy pionnières de la seigneurie de Repentigny (2021), Les Filles du Roy – pionnières des seigneuries de Varennes et de Verchères (2022), les auteurs, avec l’aide de l’historien spécialiste de la Côte-du-Sud Gaston Deschênes, détaillent le contexte local avant les biographies de chacun des filles du roi. Ils font ici une grande place aux peuples des Premières Nations. 2022 est dans plusieurs localités de la Côte-du-Sud l’anniversaire de leur fondation, une occasion de rendre hommage à ces filles à marier qui ont laissé une trace dans l’histoire collective su Québec.

Les Filles du Roy du XVIIe siècle et les relations avec les Premières Nations

Ce premier chapitre, Danielle Pinsonneault rappelle que les premiers pêcheurs de morue normands ou basques, Jacques Cartier puis Samuel de Champlain arrivent sur une terre habitée depuis fort longtemps. C’est auprès de ces habitants que les premiers colons vont apprendre comment survivre dans cet univers qu’ils ne connaissent pas : chasser, se déplacer sur la neige ou sur l’eau, se soigner. L’autrice montre aussi que sous le régime anglais, après 1763, les relations entre colons européens et Amérindiens changent. La Loi sur les Indiens de 1876 introduit une politique d’assimilation dont les effets catastrophiques avec notamment les pensionnats autochtones sont aujourd’hui mieux connus et dénoncés.

L’autrice s’étonne que dans un pays qui met en avant son histoire (Je me souviens) la mémoire des Premières Nations ait pu être occultée : « Quand nous avons appris l’existence et le contenu de l’Alliance de 1603, à TadoussacSur ce Thème : Reconnaissance et exclusion des peuples autochtones au Québec du traité d’alliance 1603 à nos jours, Camil Girard, Carl Brisson, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, entre les représentants du roi de France au Canada, Du Pont Gravé et Champlain, et trois groupes des Premières Nations, soit les Malécites, les Algonquins et les Montagnais ou Innus,nous avons compris quelle était la source de cette entente remarquable qui a existé entre eux et nous. » (p. 20).

Des pionnières hors des sentiers balisés

La Côte-du-Sud connaît au cours de l’année 1672 ses premières seigneuries. C’est dans ce contexte de début de mise en valeur qu’arrivent, dans la région, les premières Filles du Roi. Ce premier article en donne une vue générale : origines, âge, mariages, nombre d’enfants, mortalité infantile. Remarque que quinze d’entre elles sont arrivées dès 1671 : Anne Barillet, Catherine Beuzelin, Renée Biret, Henriette Cartois, Louise Faure/Planchet, Françoise Grossejambe, Jeanne Gueneville, Charlotte Joly, Marie-Louise Michaud/Michel, Anne Philippe, Marie Robineau, Marie Madeleine Routy, Jeanne Savonnet, Nicole Souillard et Marie Vauquet. Quinze autres entre 1673 et 1679 : Marie Ariot, Catherine de Baillon, Catherine Bruneau, Marie Denoyon, Élisabeth Agnès Lefebvre, Marie Madeleine Normand, Marguerite Paquet/Pasquier, Marie de Pasquier de Franclieu, Françoise Pilois, Anne Pineau/La Vieville, Catherine Poisson, Louise Robin, Marguerite Roussel, Anne Roy, Marie Madeleine Sel/Decelles. Enfin sept arrivèrent de 1679 et 1702 : Catherine Bureau, Jeanne Chartier, Jeanne Chevalier, Martine Crosnier, Marie Dallon, Jacquette Michel et Marguerite Peuvrier/Lepeuvrier.

Les peuples des Premières Nations de la Côte-du-sud

Catherine Dumont-Lévesque consacre son étude aussi bien à la vie des peuples amérindiens de langue algonquine, ici des Malécites, des Innus (ou Montagnais) et des Micmacs, qu’au choc de la rencontre avec les Européens.

Elle évoque les différences comme les droits d’usage sur le sol / droit de propriété, la vie des femmes : avant la colonisation, le mariage, la sexualité et les rapports hommes/femmesMême si les témoignages à ce sujet sont « biaisés » car ils n’émanent que les colons et plus particulièrement des ecclésiastiques. sont très différents de la culture française notamment pour les Filles du Roy qui arrivent.

La rencontre est aussi marquée par le choc microbien d’autant plus virulent que les Amérindiens voyagent à travers le pays transmettant ainsi les maladies.

La Côte-du sud au temps des Filles du Roi

C’est l’histoire de la fondation des premières seigneuries et les modes de mise en valeur qui sont décrits par Jean-Claude Tardif pour les seigneuries de Cap Saint-Claude ou Vincennes et Beaumont, Jacques Saint-Pierre pour celle de La Durantaye à Port-Joly et Pierrette Maurais pour le secteur de la Grande-Anse à Rivière-Ouelle.

L’intendant Jean Talon concède le 3 novembre 1672 à François Bissot la seigneurie de Vincennes et celle de Beaumont à Charles Couillard des Islets qui a épousé en 1668 une Fille du Roi Marie Pasquier de Franclieu.

Les auteurs proposent une description détaillée de chaque seigneurie. On note les efforts de mise en valeur : dès 1681, 66 arpents de terre ont été défrichés sur la seigneurie de Beaumont qui dispose d’un moulin à farine et d’un moulin à scie. « Le contrat de concession d’un territoire à un seigneur, il était stipulé que le seigneur devait s’engager à construire un moulin à farine, parfois à scie, parfois à carder la laine. »(p. 49). Cette mise en valeur est d’autant plus rapide que le seigneur vit sur sa terre comme à Beaumont au contraire de Vincennes ou La Durantaye.

En ce qui concerne les seigneuries des Rivières-du sud elles furent concédées très tôt à des hommes importants de la colonie : Bellechasse, en 1637, à Nicolas Marsolet, interprète et trafiquant de fourrures et la Rivière-du-Sud (incluant l’île aux Oies et l’île aux Grues) au gouverneur François Huault de Montmagny, en 1646. La mise en valeur ne fut guère possible avant le recul de la menace iroquoise. La présence du régiment de Carignan à partir de 1665 permet de nouvelles installations sous la gestion de Louis Couillard de Lespinay devenu seigneur en 1668.

Les autres seigneuries ont été concédées à Olivier Morel de La Durantaye et Alexandre Berthier, des officiers du régiment de Carignan-Salière, des descendants des premiers colons et et des habitants méritants comme François Bélanger, recrutés par le seigneur de Beauport, Robert Giffard, à Mortagne au Perche en 1634. En 1672 Jean talon attribue de petits fiefs au Cap-Saint-Ignace.

C’est d’abord sur la rive du fleuve que s’installent les nouveaux habitants comme le montre la carte de Gédéon de Catalogne, en 1709.

Les auteurs évoquent la formation des paroisses sur ces terres de mission. Au XVIIe siècle la vie religieuse et l’encadrement des populations est encore difficile : « le baptême des nouveau-nés devait être retardé jusqu’au prochain passage du missionnaire et les enfants envoyés au catéchisme devaient se déplacer sur de longues distances sur des chemins non carrossables et dépourvus de ponts au-dessus des rivières. Quant aux derniers sacrements, plusieurs mourants en ont été privés, le prêtre ne pouvant se rendre à leur chevet avant leur décès. » (p. 68-69).

L’habitat est dispersé, chacun sur son rang et les communications se font par le fleuve ou par un chemin sur la grève. Les auteurs dénombrent les moulins à farine et à scie, importants car ils fournissent les matériaux de construction et pour les meubles. C’est une vie assez largement en autarcie. L’exemple de Jean Gaudreau, pionnier de Cap-Saint-Ignace montre la mise en valeur d’une concession ; tandis de l’histoire de la colonisation de la Grande Anse à la Rivière-Ouelle permet de comprendre le système seigneurial.

Deux encarts complètent les informations sur la vie à cette époque :

  • « La Côte-du-Sud au fil des édits » Extraits de La Nouvelle-France au fil des édits, in Chronologie reconstituée d’après les principaux édits, ordonnances, arrêts, lois et règlements émis sous le Régime français, par Philippe Fournier, Québec, Septentrion, 2011, 610 p.
  • « La Grande Traversée » qui rapporte les difficiles conditions des voyages transatlantiques.

Biographies de chacune des trente-sept Filles du Roy

On retiendra de ces présentations détaillées : origines, arrivée en Nouvelle-France, mariage et descendance, mais aussi installations, activités et les quelques biens gagnés par un dur labeur, quelques faits marquants comme les hésitations avant le mariage comme Marie Ariot qui signe un premier contrat avec Claude Renard dit Deslauriers, un soldat de la compagnie Grandfontaine du régiment de Carignan-Salière avant de se marier avec René Vandet dit Potvin, domestique de Bertrand Chesnay à Beaupré.

Catherine de Baillon est une fille noble, orpheline de père, elle apportait des biens estimés à 1000 livres. Son père était notaire et secrétaire du roi. La légende prétend que qu’elle aurait été enfermée à l’hôpital de la Salpêtrière à la demande de son frère, suite à sa séduction par le duc de Verneuil et expédiée au Canada en tant que « fille du roi ». Elle eu sept enfants.

Anne Barillet eu moins de chance, elle meurt moins de deux ans après son arrivée. Catherine Beuzelin ne demeure pas plus longtemps en terre québécoise, arrivée sur le Saint-Jean-Baptiste en août 1671, mariée en octobre, elle repart avec son mari la même année. Le couple Marie Vauquet et Guy Dorillard repart en France au bout de huit ans, peut-être parce que sans enfants.

La biographie de Renée Biret est l’occasion d’évoquer Anne Gasnier, la principale accompagnatrice des Filles du Roy, Elle fit plusieurs voyages en France pour recruter des filles et leur fournit, à l’arrivée le gîte et le couvert à Québec. On trouve des mariages à la chaîne, le 26 octobre 1671à l’église Notre-Dame-de-Québec, douze Filles du Roy, toutes arrivées cette année là, se marient, se servant alternativement de témoin de mariage puis de marraine des enfants comme le montre les baptêmes des enfants de Nicole Souillard, elle-même marraine à cinq reprises (p. 532).

On note les mariages précoces (15, 16 ans), les nombreux remariages avec parfois de grands écarts d’âge comme pour Pierre Balan / Elisabeth Pépin, 32 et 16 ans. Les familles recomposées, pour prendre un terme actuel, sont nombreuses.

Les établissements successifs du couple Marine Crosnier/Philippe Destroismaisons nous renseignent sur l’attribution des parcelles de terre, les emprunts et l’endettement des familles et la longévité de ce couple. Les déménagements du couple Élisabeth Agnès Lefebvre/François Thibault montrent le rôle des seigneurs et les difficultés quand la nouvelle concession se situe sur l’autre rive du Saint-Laurent. Pour fixer les nouveaux installés la construction d’une église est importante.

L’histoire du couple Marie Dallon/Pierre Bissonnet renseigne sur les cas de bigamie : un mariage en France et un au Québec.
Les cas de la Rochelaise Louise Faure Planchet ou de Jean Daniau, époux de Marie Louise Michaud mettent en lumière la migration huguenote après le siège de la ville (« 78 personnes huguenotes venant de La Rochelle ont été répertoriées et 200 venant de toute la France : des soldats, des habitants, des marchands, des artisans, malgré les interdictions du cardinal Richelieu et l’opposition de M gr Laval à leur venue ici » p. 269)

Le voyage de Marguerite Lepeuvrier fut particulièrement difficile (111 jours , p. 338). Quand elle arrive à Québec Marie Madeleine Normand retrouve sa sœur Catherine, elle-même Fille du Roi arrivée en 1665.

La biographie de Nicole Souillard nous renseigne sur les petits démêlés judiciaires de son époux : « Il est à Trois-Rivières en décembre 1659, où il comparaît, en janvier 1662, pour payer les soins donnés à Jacques Pépin, blessé par pistolet. […]Les divers témoignages le font acquitter.Louis Gaboury a toutes sortes d’ennuis : dette, menace de saisie et, en décembre 1670, sentence du bailli de l’île d’Orléans le condamnant à donner une vache à un voisin, à payer une amende aux pauvres et à être « attaché à un poteau pendant trois heures avant d’aller demander pardon à genoux à Dieu et au roi […] pour avoir mangé de la viande pendant le carême sans autorisation de l’Église ». Même si sa sentence est commuée et diminuée, il paie cher pour son offense. En 1671, il est habitant de la Côte-de-Beaupré lorsqu’il vend des planches de pin à Philippe Varnier pour Jean Talon. Après ses déboires, Louis Gaboury cherchait probablement à s’éloigner de l’île d’Orléans, d’où son établissement sur la Côte-du-Sud »(p. 524).

Marie Pasquier De Franclieu est issue de la noblesse, Son père est conseiller du roi et seigneur de Francelieu. Elle fait partie d’un contingent de Fille du Roi qui quitte Paris en juin 1667 en direction de Dieppe avec d’autres « demoiselles de qualité » pour devenir les épouses des officiers du régiment de Carignan-Salière qu’on espère en retenir dans la colonie. Certaines protestent à leur arrivée à Dieppe, elles arrivent à Québec le 25 septembre 1667. Marie Pasquier De Franclieu épouse le 5 janvier 1668 un notable de la colonie Charles Couillard, seigneur de Beaumont en présence des autorités de Québec. Son installation est beaucoup confortable que celle de nombreuses Filles du Roi issues de la petite bourgeoisie.

  • Un encart, de Rémi d’Anjou, évoque les motifs de la migration : « Il y a quelque 360 ans, la vie à Paris au XVIIe siècle »

L’ouvrage est complété d’une ligne du temps qui permet quelques repères, de la liste des Gouverneurs de la Nouvelle-France au temps des Filles du Roy »

Pour qui s’intéresse à ce phénomène, une histoire « à hauteur de femme », l’ouvrage apporte des informations précieuses.

On peut conclure par ces mots de Gabrielle Dussault, dans le dernier portrait : « On est en droit de se demander quel était l’état d’esprit de ces jeunes femmes, à peine arrivées au pays, précipitées dans le mariage avec un quasi-inconnu. Solidaires ? Heureuses de leur choix ? À la fois inquiètes et confiantes en l’avenir ? » (p.536).