Dans sa préface, Ángel Gurría, secrétaire général de l’OCDE et membre du conseil consultatif pour l’eau et l’assainissement auprès du secrétariat de l’ONU, affirme que « l’irresponsabilité des hommes a fait de l’eau un des principaux problèmes pour les hommes de ce siècle » et salue dans l’ouvrage d’Antoine Frérot l’appel à une mobilisation collective.
L’organisation de l’ouvrage est somme toute classique. Dans un premier temps, l’auteur dresse un constat du problème de l’eau. La seconde partie est consacrée à une évaluation des actions menées tant au Nord qu’au Sud pour satisfaire les besoins en eau. Enfin, le dernier volet de l’ouvrage trace des perspectives pour mieux répondre aux défis posés.
« Le siècle de l’eau »
Dans cette première partie, Antoine Frérot dresse un bilan nuancé et parvient ainsi à éviter les deux écueils qui selon lui « polluent » le débat autour de la question de l’eau : l’indifférence et le catastrophisme. Il montre avec clarté qu’en dépit d’une ressource stable la demande en eau a crû et croît encore de manière notable. Il met surtout en évidence les problèmes qu’occasionne cette augmentation de la demande en eau : exploitation excessive voire irraisonnée de l’eau, inadaptation des réseaux d’adduction et d’assainissement, gaspillage agricole, … Cette croissance des besoins et des usages a pour conséquence une baisse de la qualité de l’eau qui est, à court terme, à l’origine de véritables « bombes sanitaires » comme au Pérou (épidémie de choléra 1991-1992) et, à long terme, cause d’une pollution durable des nappes. Or, selon l’auteur, la question de l’eau, autant celle de son accès que de son assainissement, est centrale en terme de développement dans la mesure où elle conditionne le développement sanitaire, économique, scolaire.
« Les faux amis de l’eau »
Le titre de cette partie ne reflète pas tout à fait son contenu. Il s’agit avant tout pour Antoine Frérot de tordre le cou à de fausses vérités. En premier lieu, il revient sur le changement climatique et sur ses conséquences sur le problème de l’eau. Sans nier l’aggravation des inégalités hydriques à l’échelle mondiale et la multiplication des événements climatiques extraordinaires, il s’inscrit en faux contre l’idée d’une généralisation des « guerres de l’eau » et souligne même, au contraire, que se développent une « hydrosolidarité » à l’échelle mondiale ainsi que de nouvelles attitudes. En effet, la prise en compte de la question climatique dans la gestion de l’eau à long terme s’amorce dans les pays développés. Il examine ensuite l’épineuse question du financement du service de l’eau et renvoie dos à dos les deux solutions extrêmes, gratuité totale et recouvrement total par l’usager, qui soit ne sont pas envisageables dans les pays en développement soit ne prennent pas en compte toutes les dimensions du service dans les pays développés. Il privilégie dans les pays en développement un « recouvrement socialement acceptable » pour responsabiliser les usagers et étendre la couverture du service. Après avoir rappelé la faible importance du secteur privé (moins de 10 % à l’échelle mondiale), il aborde la place de ce secteur dans le service de l’eau à travers l’exemple français puis à l’échelle internationale à travers l’étude de quelques cas. Il s’agit avant tout de revenir sur des échecs de partenariat public-privé, par exemple à Buenos Aires en 2006, et d’en tirer des enseignements. Cependant, le point de vue est trop centré sur les opérateurs privés, les cas présentés sont toujours à décharge pour ces derniers. Il aurait été intéressant, selon nous, de présenter un exemple de réussite. Antoine Frérot aborde également la question de la cherté de l’eau, critique récurrente de la part des consommateurs. D’une part, à travers l’exemple de la France, il montre que l’eau ne représente pas un poste de dépenses conséquent dans les pays développés. Elles sont ainsi trois fois moins importantes que celles liées aux télécommunications en France en 2006. Il revient sur la question du secteur privé à travers la comparaison entre régie et délégation de service public. Par ailleurs discutable, l’argumentation de l’auteur tourne à un plaidoyer pour l’entreprise en général qui ne nous semble pas avoir sa place dans un tel ouvrage et nuit au propos de l’auteur. Quant au prix de l’eau dans les pays en développement, il lui semble notoirement sous-évalué et source d’exclusion pour les populations non raccordées en raison du sous-financement structurel du service. Enfin, il revient sur le financement des Objectifs du Millénaire concernant l’accès à l’eau et à son assainissement. S’il regrette l’inégale répartition et, surtout, l’insuffisance, de l’aide publique, il souligne cependant que cette aide est indispensable. En outre, ses nouvelles formes (aides conditionnées aux résultats, associations bailleurs de fonds internationaux – opérateurs privés) vont, selon lui, dans le sens d’une efficacité accrue.
« Vers de nouveaux modèles »
Afin de répondre aux défis posés par les usages croissants de l’eau et par la nécessité d’inscrire dans les faits le droit à l’eau, Antoine Frérot trace plusieurs pistes. En premier lieu, il est indispensable d’accroître les ressources en eau. Pour cela, il compte sur une réduction des gaspillages mais également sur un usage nettement plus conséquent des eaux usées recyclées et un recours accru au dessalement de l’eau de mer. Une gestion plus rigoureuse des nappes aquifères et un usage plus important de l’eau de pluie à des fins industrielles iraient également dans le même sens. D’autre part, dans les pays développés, il lui semble nécessaire de faire évoluer les modèles de financement des services de l’eau. Par exemple, l’élargissement des missions confiées aux opérateurs devrait conduire à recourir à l’impôt pour tout ce qui ne concerne pas le financement de l’accès et de l’assainissement de l’eau. Il préconise également d’adapter la rémunération aux performances des opérateurs. Pour élargir les services de l’eau dans les pays en développement et garantir un prix socialement acceptable de l’eau mais aussi du raccordement au réseau, il lui semble nécessaire de multiplier les niveaux de solidarité financière ainsi que de nouer de nouveaux types de coopération, par exemple sur le modèle du « social business ». Mais, avant tout, le problème de l’eau ne saurait être résolu sans une amélioration de la gouvernance. Si la nécessité de mécanismes de régulation est clairement affirmée comme l’indispensable participation de tous les acteurs, l’appel à « la conscience personnelle et à la droiture de chacun » laisse plus dubitatif.
Indéniablement, à travers cet essai, Antoine Frérot entend faire œuvre utile et apporter sa contribution à la résolution d’un problème crucial pour l’humanité. Le point de vue d’un des acteurs de la gestion de l’eau – rappelons qu’il dirige Véolia Eau – nous semble par ailleurs également intéressant à découvrir même s’il nous a paru parfois nuire à l’objectivité que se propose d’atteindre l’auteur. Parce qu’il entre de plain-pied dans les débats et qu’il réduit à néant des contre-vérités, cet ouvrage sera précieux pour l’enseignant. Il pourra par exemple être utilement consulté pour préparer le nouveau programme de Géographie de 5e qui fait une place à la question de l’accès à l’eau. Il complètera utilement l’Atlas mondial de l’eau de David Blanchon publié aux mêmes éditions.
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