Auteur d’une thèse en 2004 sur l’eau en Afrique du Sud, David Blanchon enseigne la géographie à l’université Paris X – Nanterre. Il a par ailleurs participé à la rédaction de l’Atlas des développements durables paru également aux éditions Autrement.

David Blanchon inscrit, dès l’introduction, la question de l’eau dans une triple perspective, celle de la croissance démographique, de l’augmentation du niveau de vie de la population mondiale et enfin de la nécessaire préservation de l’environnement. Dans ce cadre, il rappelle que plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et que 40 % de la production agricole est issue de l’agriculture irriguée. Il souligne enfin le rôle essentiel des écosystèmes aquatiques dans la biodiversité.

Dans une première partie, il dresse l’indispensable dimension « physique » de la question de l’eau. Après avoir souligné l’abondance de la ressource qu’est l’eau, il en démontre l’inégale répartition. A travers l’exposé des paramètres (temps de résidence, géographie du cycle de l’eau, structures hydrogéologiques des nappes souterraines, facteurs temporels) qui expliquent cette inégale répartition, il parvient à initier le lecteur à la notion d’hydrosystème et à en montrer ses fragilités mais aussi ses capacités de résistance voire de résilience.

Dans une deuxième partie, David Blanchon s’attache à montrer comment l’homme parvient à s’emparer de cette ressource. En premier lieu, plutôt que de mesurer la disponibilité en eau par habitant, il lui semble plus pertinent de recourir à l’Indice de Pauvreté en Eau, indice composite qui prend, notamment, en compte la capacité d’un Etat à accéder à ses ressources hydriques. Un bref aperçu historique montre que l’eau a fait l’objet d’une mise en valeur très ancienne sur un modèle que l’auteur qualifie de durable. Il l’oppose à la « mystique des grands travaux » qui a présidé, sur le modèle de la Tennessee Valley Authorithy créée en 1933, à l’érection de grands barrages à « buts multiples » (mise en valeur agricole, hydroélectrique, approvisionnement des centres urbains, régulation des sécheresses amis aussi des crues). Il revient également sur la production d’eau par dessalement d’eau de mer dont le modèle, rien moins que durable, ne saurait que représenter une solution temporaire et locale, dans le meilleur des cas. Enfin, il aborde les questions du prélèvement et de la consommation de cette ressource. Le dernier siècle a enregistré une multiplication par cinq tant du prélèvement que de la consommation d’eau. Or, s’il est impossible de poursuivre à un rythme identique, les défis contemporains ne laissent pas de côté l’eau. A l’échelle mondiale, 70 % des prélèvements en eau concernent l’agriculture. Une part accrue de la surface cultivée est irriguée. L’irrigation représente en effet un facteur d’augmentation et de stabilisation des rendements. D’autre part, le développement des pays émergents (production d’électricité, industries) s’accompagne de prélèvements accrus mais aussi de dégradations massives de l’environnement. L’augmentation du niveau de vie de l’ensemble des pays du Sud ne peut faire, par ailleurs, l’économie d’un meilleur accès à l’eau domestique.

Inégalement distribuée, inégalement utilisée, l’eau serait-elle une « ressource menacée » ? C’est cette question qu’aborde David Blanchon dans une troisième partie. La disparition de la moitié des zones humides en France entre 1950 et 1990, la surexploitation des nappes fossiles en Arabie Saoudite, la disparition programmée de la mer d’Aral, la réapparition du choléra au début des années 2000 en Afrique du Sud sont autant d’arguments en faveur d’une réponse positive. C’est cependant à une réponse beaucoup plus nuancée que nous invite David Blanchon. Selon lui, en effet, la nature de la gestion de la ressource est seule en cause et il ne saurait être question d’une inéluctable dégradation de l’eau. Il met ainsi en parallèle l’exemple de la mer d’Aral avec celui du Colorado. La salinité, excessive, des eaux destinées au Mexique aurait sans doute été à l’origine d’atteintes environnementales similaires à celles qu’a connues la mer d’Aral. L’aménagement d’une usine de désalinisation à la frontière américano-mexicaine a permis d’éviter un tel scénario.

La rareté de l’eau pose la question de son partage voire des conflits qu’elle susciterait. Elle incite aussi à discuter de son prix. Ce sont ces questions qu’aborde David Blanchon dans un chapitre intitulé : « De l’eau pour tous ? ». L’auteur fait rapidement un sort aux « guerres de l’eau ». La question de l’eau révèle davantage les tensions qu’elle ne les suscite. Au mieux est-elle instrumentalisée dans les négociations internationales. Les enjeux liés à la question de l’eau lui semblent, par ailleurs, plus prégnants à l’échelle régionale. C’est ainsi qu’il interprète l’opposition des communautés autonomes espagnoles septentrionales à tout transfert des ressources de l’Ebre vers les régions méridionales. L’Etat redistributeur se heurterait ici à de profondes revendications d’autonomie politique. Après avoir souligné la valeur inestimable attachée à l’eau dans de nombreuses cultures, l’auteur rappelle la persistance des inégalités Nord / Sud mais aussi des inégalités au sein du Sud entre urbains et ruraux ainsi qu’entre urbains tant sur le plan de l’accès à l’eau potable que sur celui de la connexion à un système d’assainissement. Au Nord, le report des coûts d’un accès quasi universel à la ressource, et à une ressource de bonne qualité, sur le consommateur final ne représente pas un obstacle rédhibitoire (0,8 % du budget d’un ménage français). Il n’en est pas de même au Sud. Sans recours possible à l’impôt, les municipalités doivent faire face à deux impératifs, assurer le financement du service de l’eau et respecter des exigences de justice sociale. Une solution viable est peut-être la gestion sociale de l’eau mise en place, par exemple, à Johannesburg. Gratuite jusqu’à 6 litres par personne et par jour, l’eau voit ensuite son prix croître avec la quantité utilisée.

Dans le dernier chapitre de cet atlas, David Blanchon tente de détailler le champ des possibles. Sans nier les puissants déséquilibres qui seront à l’œuvre dans un futur proche, par exemple en Chine où le développement industriel et urbain de la région de Beijing doit s’accompagner d’un transfert important depuis le barrage des Trois-Gorges, il met en avant des motifs d’espérer. Le premier d’entre eux est la collaboration qui, des bassins versants à l’échelle mondiale, a conduit à une meilleure gestion de la ressource et même, depuis la définition de quelques principes, lors de la conférence de Dublin en 1992, à une forme de « gouvernance » mondiale. Enfin, une meilleure gestion de cette ressource est possible. S’il doute fortement d’une redistribution des échanges économiques sur la base de l’eau virtuelle (eau contenue dans un bien de consommation et consommée hors du lieu de sa production), les progrès techniques mais aussi l’évolution des habitudes de consommation devraient permettre d’accentuer la diminution de l’«empreinte hydrologique » des centres urbains du Nord. Les progrès réalisés en terme d’irrigation sont de nature, selon lui, à permettre une « révolution bleue ». Cependant, il ne masque pas que cette « révolution bleue » nécessite des investissements tels que les agriculteurs doivent promouvoir de nouvelles cultures à plus forte valeur ajoutée et remettre ainsi en question leurs productions traditionnelles. Avenir, certes, mais avenir lourd de conséquences économiques et sociales … David Blanchon, enfin, expose les scenarii futurs (poursuite des tendances actuelles et aggravation des problèmes, améliorations liées à la réussite des innovations, « crise mondiale de l’eau ») et pronostique une évolution différenciée selon le niveau de développement des Etats.

L’atlas est utilement complété par un glossaire qui regroupe les principaux termes techniques employés dans l’ouvrage.

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