Une « synthèse brêve et accessible »

Ce livre, et c’est annoncé comme tel, est un manifeste. Mais il veut être également une synthèse brêve et accessible «  de ces contributions historiques et des apports nouveaux des sciences cognitives à propos du cerveau qui apprend ». Tel est l’objectif que s’assigne Olivier Houdé. Il est professeur de psychologie et dirige le laboratoire CNRS de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant (LaPsyDÉ). Il est le premier en France à avoir appliqué les technologies d’imagerie cérébrale à l’étude du développement cognitif des enfants. Son but est clairement de montrer les continuités entre la pédagogie telle qu’elle s’est pratiquée et ce que peuvent dire aujourd’hui les neurosciences. Pour Olivier Houdé « un tel intérêt porté à l’élève et à son cerveau, en termes d’attentes, de contraintes et de potentiel d’apprentissage, renoue avec l’esprit des pionniers des pédagogies nouvelles ». Il précise néanmoins que la réflexion à ce propos est beaucoup plus avancée dans le monde anglosaxon. On ne lira pourtant nul enthousiasme déraisonnable de la part de l’auteur qui souligne que, s’il y a un réel intérêt pour les neurosciences, cela ne doit pas faire oublier le b.a.-ba de la méthode scientifique. Cela peut éviter de prendre pour argent comptant ce qu’il qualifie de neuromythes. Son objectif est donc d’« enseigner la science en train de se faire » dit-il, reprenant ainsi une formule  de Maurice Merleau-Ponty.

 

L’intérêt pour l’enfant en pédagogie à travers l’histoire

Cette première partie est un passage en revue de plusieurs penseurs de l’éducation. Olivier Houdé choisit de remonter à Platon qui, pour lui, a déjà posé des questions et repères essentiels. Ainsi il considère qu’il fut le premier à relever que l’intelligence doit être vue comme un effort cognitif du cerveau. L’auteur passe ensuite en revue les apports de John Locke, Jean-Jacques Rousseau, mais envisage aussi les travaux de Jean Itard connu pour son travail sur l’éducation spécialisée avec le cas de l’enfant sauvage, Victor de l’Aveyron. Si l‘on ajoute les travaux d’Edouard Seguin, cela conduit à mettre en avant une idée essentielle qui est celle de « l’éducabilité ». Le tour d’horizon se poursuit avec Maria Montessori, Célestin freinet et Ovide Decroly. Il fournit là un utile résumé des grands principes de ces pédagogues. Maria Montessori estimait que l’intelligence se construisait par l’action. Olivier Houdé souligne que cette idée trouve non seulement une résonnance aujourd’hui dans une société qui met l’accent sur la bienveillance et l’autonomie, mais aussi que les neurosciences confirment cette conviction. A Freinet, l’auteur reconnait le fait d’avoir mis aussi en avant la créativité de l’enfant, par exemple sous la forme à l’époque de réalisations de journaux scolaires. Olivier Houdé insiste aussi sur les fiches autocorrectives. Ce qui fait le lien de tous ces pédagogues, c’est finalement « le besoin d’une pédagogie fondée sur l’action, la pratique, les essais erreurs et le projet ». Dans un dernier temps, l’auteur se focalise sur les apports d’Alfred Binet, Jean Piaget et Lev Vygotski. Il souligne plusieurs idées fortes de chacun d’eux. S’il reconnait que la théorie des stades de l’intelligence a fait la célébrité de Piaget, il considère aussi que les neurosciences ont mis à mal cette idée. N’oublions pas non plus les travaux de Jerome Bruner avec l’idée essentielle de l’étayage. Il revient aussi sur les travaux de Skinner pour le réhabiliter en quelque sorte, ou l’extraire d’une certaine caricature, en montrant que ce sont ses travaux qui ont pu faire abandonner le système des punitions à l’ école. Skinner fut aussi à la base du renforcement positif, procédé bien connu, et ô combien utilisé aujourd’hui jusque dans les jeux pour les rendre plus addictifs.

 

Sciences cognitives et sciences de l’éducation

Dans cette deuxième partie, Olivier Houdé retrace l’aventure des neurosciences et il plaide clairement pour un enseignement dans les Espe. Il considère en effet que le cerveau « théâtre de l’éducation …est l’angle mort de l’Education nationale ». Olivier Houdé énonce ensuite les grands principes d’apprentissage du cerveau humain en s’appuyant sur les cours de Stanislas Dehaene au Collège de France. Il faut insister sur quatre d’entre eux, absolument fondamentaux. Il s’agit de la plasticité cérébrale, de l’attention et du contrôle exécutif, de l’engagement actif et de la consolidation des apprentissages. Chacun de ces thèmes est développé par l’auteur. A propos du deuxième thème, de nombreuses études insistent sur les bienfaits d’un travail collectif et envisagent ensuite la question de la « récompense ». Il y eut les « bons points » mais il faut prendre conscience qu’il ne s’agit pas forcément de traces matérielles mais qu’un sourire peut suffire. Fort logiquement, Olivier Houdé plaide aussi pour le fait que l’on apprenne aux élèves comment fonctionne leur cerveau. Il insiste aussi sur l’importance du feed back. Plus loin il écrit que « les neurosciences …confirment l’intuition tant de Socrate que de Freinet …quant aux vertus pédagogiques du travail de groupe ». Cette phrase résume bien son projet qui est de montrer des continuités et pas d’opposer. Sur l’apprentissage, il se focalise sur le besoin d’espacer les périodes d’apprentissage. On peut mettre en avant les recommandations issues des travaux de Eustache et Guillery-Girard comme multiplier les modalités perceptives de présentation ou encore enrichir l’encodage par une action ou un geste. Olivier Houdé revient ensuite sur l’automatisation et l’inhibition à travers des exemples parlants tirés d’erreurs fréquentes en mathématiques ou en orthographe. De façon peut-être plus originale, l’auteur met aussi l’accent sur « l’éveil du beau » qui doit se faire notamment dans les familles.

En conclusion, Olivier Houdé redit que son ouvrage n’a pour but que de « déclencher la réflexion et les lectures complémentaires ». Son but est de « corriger l’idée selon laquelle la neuropédagogie serait une science tout à fait nouvelle ». Il se félicite de savoir que si certaines démonstrations vont dans le sens d’intuitions déjà pratiquées, c’est tant mieux. Il s’en prend pour finir à une certaine démagogie qui dit que « la science ne fait pas la classe ». C’est évident pour lui, et le dialogue entre la science et le terrain doit se poursuivre, s’enrichir, au service des apprentissages des élèves.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.