Ce livre de Dominique Bucheton est, comme elle le dit elle-même, « autant un cri d’alarme que d’espoir ». Elle entend en effet livrer à la fois un état des lieux du système scolaire, mais aussi et surtout, des outils d’analyse et des pistes de travail autour de la notion de « gestes professionnels » qu’elle explore depuis plusieurs années. Dominique Bucheton, longtemps professeure de collège, a dirigé pendant six ans le LIRDEF (laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation).
Un livre en quatre étapes
Dominique Bucheton entend d’abord livrer un état des lieux sur la crise que traverse le métier d’enseignant. Ensuite, elle se focalise sur la notion de « gestes professionnels » qui constitue la partie majeure du livre, puis elle s’intéresse à ce qu’elle nomme les « ajustements réciproques » avant de proposer, en quatrième partie, un point de vue et des pistes de réflexion pour la formation. Le livre comprend en outre des annexes, un lexique et une bibliographie.
Enseignant, un métier dans la tourmente
L’auteure pointe les difficultés du métier d’enseignant en le resituant à l’échelle européenne. Elle rappelle surtout quelques constats sur l’école en France, comme le fait que nous sommes les « champions de la ségrégation scolaire ». Elle note aussi les difficultés actuelles du recrutement, dénonce une gouvernance approximative marquée, selon elle, par la « précarité, l’austérité et un management autoritaire ». Elle parle même d’ « alerte rouge » pour qualifier la situation actuelle, ce qui l’amène dans le chapitre 2 à revenir sur l’éthique qui est au fondement de l’éducation. L’éthique doit orienter et irriguer toutes les décisions du professeur. Il est nécessaire de redéfinir clairement les finalités et responsabilités du métier et, s’appuyant sur les travaux de Philippe Meirieu, elle en isole trois : le pôle des finalités, le pôle des connaissances valorisées ou passées sous silence et le pôle des pratiques. Dominique Bucheton insiste ensuite sur les pouvoirs du langage et note qu’il s’agit encore trop souvent d’un « impensé du métier ». Ici, elle prend le temps de rappeler quelques acquis fondamentaux de la recherche. Ainsi, le langage n’est ni fluide, ni transparent ou encore, répéter à l’identique ne sert à rien. Dire, c’est également vouloir agir sur l’autre, et en l’occurrence sur l’élève. Il faut aussi réfléchir au temps de parole des enseignants qui représente souvent de plus de 70 % du temps d’une séance. Dominique Bucheton souligne également l’utilité des bilans de savoir, cette stratégie qui consiste à ce que l’élève récapitule ce qui a été vu durant la journée.
Au coeur de l’agir enseignant dans la classe : les gestes professionnels du multiagenda de l’enseignant et ses postures d’étayage
Cette partie est le coeur de l’ouvrage : il s’agit de dénouer « la pelote des relations complexes qui se nouent entre l’enseignant et ses élèves ». L’auteure détaille d’abord huit recherches qui ont servi de base à sa réflexion. On découvre ainsi comment s’élabore la pensée de la chercheuse, et notamment comment elle en arrive à formaliser ce qu’elle appelle le « modèle du multiagenda » ou MMA. Ce modèle entend faciliter la compréhension des gestes professionnels des enseignants. Elle identifie les cinq préoccupations qui devraient guider chaque enseignant à savoir : piloter et organiser l’avancée de la leçon, maintenir un espace de travail et de collaboration langagière et cognitive, tisser le sens et les finalités des taches, étayer le travail en cours et cibler un but. Dominique Bucheton détaille ensuite chacun de ces aspects. Elle relève, par exemple, que le tissage est la préoccupation la plus absente des pratiques observées alors qu’il est indispensable de faire des liens entre les éléments pour les élèves. Elle consacre un chapitre particulier à la question de l’étayage et propose notamment un tableau qui en récapitule les formes possibles. Il faut également avoir en tête ce chiffre : en une heure de cours dialogué, on estime que le nombre d’échanges entre l’enseignant et les élèves est entre 500 et 1300 : cela en dit long sur le nombre de décisions prises par le professeur et en un temps record ! Le formateur trouvera dans cette partie de nombreuses précisions sur chacun des cinq temps du modèle du multiagenda.
Enseignants/élèves : des ajustements réciproques efficients ou délétères
Faire cours, c’est procéder à de multiples ajustements. Cette capacité à s’ajuster « n’est pas le fait du hasard », c’est un geste professionnel. Pour nourrir son propos, l’auteure s’appuie sur l’analyse de deux exemples vidéos. Il s’agit de deux extraits de séances de classe de 3ème avec un cours de français et un cours de mathématiques, tous deux délivrés par des enseignants débutants, auprès des mêmes élèves, mais pas du tout avec les mêmes résultats. L’auteure détaille les postures adoptées par les deux enseignants et montre, par exemple, que le défaut d’explicitation du pourquoi de l’activité est dommageable dans l’exemple du cours de français. On n’en reste pas à l’étude de ces deux cas et le chapitre suivant explore les arrières-plans. Ce terme signifie tout ce qui constitue ce qu’on appelle parfois la culture professionnelle des enseignants. L’auteure pointe « la valse des dispositifs » qui n’est pas de nature à rasséréner les professeurs. Aujourd’hui, un dispositif apparaît et disparait parfois très vite sans aucune réelle évaluation de son impact. On peut souligner l’exercice redoutable mais très intéressant, relaté par Dominique Bucheton, qui a consisté à montrer les vidéos des cours cités précédemment à des élèves. L’auteure essaye ensuite de préciser d’autres éléments qui ont tendance à enfermer l’enseignant dans un type de raisonnement ou de pratique de classe. Parmi les questions qui reviennent sans cesse, celle de l’autorité. Son propos est clair puisqu’elle dit que cette image de l’autorité du maitre, partagée par les enseignants, les élèves et les parents, « est un obstacle à l’évolution des pratiques enseignantes, les empêchant de passer aux postures d’accompagnement. »
Défendre le métier enseignant et le réinventer : quel projet démocratique pour l’école ?
Dans la dernière partie de l’ouvrage qui se veut prospective, Dominique Bucheton invite à une réflexion sur le métier. Les convictions de l’auteure sont clairement affirmées puisqu’elle parle des « attaques du néolibéralisme contre les enseignants ». Elle s’inquiète, par exemple, d’une remise en cause de la liberté pédagogique. Elle développe ensuite quatre axes de réflexion pour « un vrai projet politique, démocratique pour l’école » : elle pointe, entre autres, la nécessité d’une formation initiale et continue de haut niveau ou encore l’intérêt du travail collaboratif dans l’établissement.
En conclusion, Dominique Bucheton remet en avant certaines de ses idées fortes et invite aussi bien à développer l’intelligence collective qu’à « résister au rouleau compresseur des cerveaux que sont les médias sociaux ». Elle choisit néanmoins de terminer en deux temps. D’abord elle raconte ce qu’elle nomme elle-même, « une belle histoire », c’est-à-dire une réussite dans l’approche de la lecture pour les plus petits. Ensuite, une postface rappelle qu’enseigner est un défi, synonyme d’immenses responsabilités, réalisé par des « héros du quotidien bien mal reconnus des politiques. »
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes