De nos jours et plus encore en 2018, année de mondial (et de victoire française), on ne peut sans faire de preuve de mauvaise fois ou d’être un anachorète, échapper à la déferlante du ballon rond qui s’abat sur la planète.
Mais aujourd’hui et depuis les années 2000, le football est devenu un sujet sérieux dont se sont emparés les chercheurs en sciences humaines, historiens, sociologues, économistes et désormais géographes et géopoliticiens.
Ici, c’est l’habitué des travées du Parc des Princes et des plateaux de C’est dans l’air, Pascal Boniface, qu’on ne présente plus, géopoliticien fondateur de l’IRIS[1] qui se présente à la fois en spécialiste et en passionné pour nous conter la fabuleuse histoire du ballon rond qui a conquis le monde.
Outre les relations internationales, Pascal Boniface s’est attaché très tôt, dès 1997, à la géopolitique et aux relations diplomatiques dans le sport et publie une première géopolitique du football en 2002.
Ici, il entend réactualiser le sujet à l’occasion de la compétition et aux vues des dernières évolutions que connait le football avec la montée en puissance de la Chine, l’irruption du Qatar dans le football hexagonal, l’envolée des transferts et la féminisation accrue de ce sport mondialisé.
Le football, la quintessence de la mondialisation
En effet, aujourd’hui, rien ne semble arrêter l’expansion du football, parti depuis les années 2000 à la conquête des derniers territoires échappant à son influence, l’Asie et le Moyen-Orient. L’achat à prix d’or de grands joueurs en fin de carrière issus des championnats européens par les clubs chinois ou l’attribution du mondial à la Russie en 2022 puis au Qatar quatre ans plus tard témoignent de cette emprise.
Selon Pascal Boniface, le football constitue le symbole et le phénomène socio-économique et géographique le plus abouti de la mondialisation devant internet, l’informatique, le téléphone portable ou la démocratie[2]. En effet, on joue au football en Corée du Nord ou dans des endroits sans internet, démocratie ou électricité… Et les grands joueurs de football sont les êtres humains les plus connus de la planète.
L’auteur souligne également que cette conquête s’est faite rapidement et sans heurts. 1863, la première fédération de football naît en Angleterre puis d’autres suivent dans les îles britanniques et traversent la Manche vers le continent européen à la faveur de l’essor des transports de l’ère industrielle. Ce n’est pas anodin si les premiers clubs de football émergent dans les villes portuaires telles Barcelone en Espagne ou Le Havre en France. Le football avant d’être mondial est anglais et constitue un des premiers exemples de soft power à l’échelle planétaire qui favorise la diffusion des règles mais aussi de la langue et des us et coutumes de l’île : l’auteur cite en exemple un match opposant les Anglais de Montevideo à ceux de Buenos Aires sous le portrait de la reine Victoria… Ou l’interdiction par la fédération d’Uruguay de jouer le dimanche car la coutume anglaise commandait le samedi soir[3]…
Ainsi, le football s’est propagé comme une traînée de poudre en Amérique, en Asie et en Afrique à la suite des premières lignes de chemins de fer construites par des ingénieurs anglais aux quatre coins du globe : Argentine, Russie, Japon, Costa Rica…
L’élargissement de l’horizon du football a suivi le rythme de l’évolution des moyens de transports et les premiers matchs internationaux se déroulent d’abord entre voisins géographique : Angleterre-Ecosse en 1872, Argentine-Uruguay en 1901, France-Belgique en 1904, Portugal-Espagne en 1923, Japon-Chine en 1917, Sénégal-Mali en 1965…
En 1930, année de la première coupe du monde en Uruguay, quatre équipes européennes mirent 15 jours pour rejoindre Montevideo avec le navire le plus rapide de l’époque…
Outre des distances, le football s’est aussi joué progressivement des murs et des idéologies, la Coupe d’Europe des clubs champions est née à l’initiative française en 1955, deux ans avant le Traité de Rome et le rideau de fer n’a pas empêché les clubs de football de voyager… Quant à la Turquie, sa place dans le football européen lui fût accordée dès 1956 lorsque le club de Galatasaray participe à la Coupe d’Europe et la gagne lors de l’édition 2000…
Mais plus que les transports, c’est l’avènement de la télévision qui propulse véritablement le football au rang de phénomène mondial incontournable en faisant de la planète le plus vaste stade… Pascal Boniface cite à l’occasion cette anecdote révélatrice : en 2006, les autorités religieuses et politiques de Thaïlande autorisent les moines bouddhistes du pays à regarder le Mondial à la télévision.
Et le football le lui a bien rendu en favorisant en retour l’essor de la petite lucarne. Ainsi, le premier match retransmis fut France-Allemagne en 1950 alors que le pays comptabilisait seulement… 1500 postes ! Les jours précédant le match, plus de 1000 postes furent vendus par jour !
En 1966, c’est la première fois qu’une Coupe du monde est retransmise en mondovision, plus de 400 millions de personnes regardèrent la finale en même temps dans trente-six pays, on estime à 1,8 milliards, le nombre de téléspectateurs lors de celle de 1982 et 3 milliards en 2014.
En 2017, une nouvelle étape est franchie avec pour la première fois qu’un match de championnat, entre clubs, le Real de Madrid et le FC Barcelone est visionné par 700 millions de téléspectateurs et ce jusqu’en Asie avec un horaire de match aménagé pour toucher le public oriental.
Le phénomène de la télévision va permettre alors de démultiplier considérablement la visibilité du football, des clubs, des joueurs et in fine, de favoriser l’identification en abolissant les distances. Ainsi, Manchester United dispose de 200 clubs officiels de supporters dans plus de 40 pays.
Cette visibilité accrue donnée au football par la télévision le transforme en terrain de premier choix pour le sponsoring maillot multiplié par 4 depuis les années 2000, celui de Manchester passant de 10 millions à plus de 53 en 2018.
Cet engouement pour le football, Pascal Boniface l’explique avant tout par la simplicité du jeu, de son but et de ses règles ainsi que par la facilité de sa mise en œuvre.
Enfin, cette mondialisation du football s’exprime également dans sa gouvernance au travers de la FIFA qui regroupe de nos jours 211 pays soit 18 pays de plus que l’ONU ! Mieux, la FIFA réussit où l’ONU a échoué[4] en réunissant la Chine et Taïwan et en accueillant la Palestine en tant que fédération et donc équipe nationale…
Le soleil ne se couche plus sur l’empire football…
Et le football ne compte pas s’arrêter là, il est déjà parti à la conquête de nouveaux horizons, la Chine et les femmes.
En effet, d’un point de vue géopolitique, une grande puissance comme la Chine peut-elle se passer du football ? Pour Xi-Jinping, grand amateur de football, il paraît inconcevable que la Chine n’ait pas de place dans le sport le plus universel qui soit.
Ainsi, une ligue professionnelle a vu le jour en 2004. 50 000 écoles de football sont sorties de terre en 10 ans et les clubs chinois n’hésitent pas à mettre la main au portefeuille afin d’attirer de grands joueurs issus des championnats européens.
Signe de la montée en puissance de la Chine du football, les joueurs étrangers n’y viennent plus forcément y terminer leur carrière en échange d’un gros cachet à l’image d’un Ramires, 28 ans, quittant Chelsea ou d’un Gervinho, 28 ans, de l’AS Roma ou encore l’argentin Carlos Tevez, joueur le mieux payé au monde avec 38 millions d’euros…
La Chine noue aussi des partenariats avec des clubs européens au riche centre de formation et y investit : des multinationales chinoises ont ainsi racheté Aston Villa, le Milan Ac ancien club de Berlusconi, 70% de l’Inter de Milan ou encore Sochaux, Auxerre, Nice et 20% de l’Olympique Lyonnais…
En 2016, Xi Jinping a lancé un plan football avec pour objectif la victoire ultime pour l’équipe nationale d’ici 2050 et discute actuellement avec la FIFA pour organiser la prochaine Coupe du monde en 2030.
Dans cet objectif, Xi Jinping a tenté d’encadrer les flux d’argent dans le football chinois en limitant le nombre d’étrangers à trois au lieu de cinq, de plafonner les salaires et le coût des transferts en versant la même somme à un fond national de développement de jeunes joueurs chinois. Mais comme en Europe, c’est l’explosion des droits télévisuels qui se trouve à l’origine de cet afflux d’argent…
Mais après de la Chine, il restera encore au football, près de la moitié de l’humanité à conquérir…
Si le premier match féminin opposant l’Angleterre à l’Ecosse s’est déroulé dès 1881, il fallu attendre 1917 pour un match de ce type en France et les années 1960 pour qu’il se développe réellement avec l’organisation par les fédérations anglaises françaises et allemande de compétitions nationales puis d’une Coupe d’Europe en 1969 et d’une Coupe du monde en 1970, mais qui ne sont reconnues par l’UEFA et la FIFA qu’en 1984 et 1991 !
De nos jours, le football féminin est très présent dans les pays nordiques, au Japon et en Allemagne mais l’équipe la plus performante est celle des Etats-Unis, pays relativement réfractaire à ce sport…
Quant à la France, le nombre de licenciées ne cesse de croître passant de 54 000 femmes en 2011 à 160 000 en 2017 et la sélection féminine a battu le record d’audience lors de la Coupe du monde féminine en 2011. C’est d’ailleurs la France qui organisera la prochaine compétition mondiale en 2019.
Une mondialisation du football en trompe l’œil ?
Néanmoins, à l’image de la mondialisation, le monde du football s’il est ouvert en apparence reste très discriminant dans le fond. Ainsi, que ce soit au niveau des sélections ou des clubs, si tous peuvent participer, touts ne peuvent espérer gagner et ce, même en tenant compte de l’incertitude et de la magie du sport. Ainsi, comme le rappelle l’auteur, il y a avait peu de probabilité pour que l’équipe victorieuse du 15 juillet ne soit pas une grande nation qui ait déjà remporté le trophée[5]…
Cette oligarchie footballistique est une conséquence de la mondialisation qui tend à concentrer et hiérarchiser l’argent, le talent, le savoir-faire, les installations…. Pascal Boniface l’explique également par l’expérience et le temps que demande l’intégration de la pratique, en un mot la formation.
L’ouverture progressive de la Coupe du monde à davantage de pays explique aussi cette discrimination : il faut attendre 1954 pour voir une équipe asiatique puis 1970 pour en voir une africaine après les indépendances et 1980 pour que ces deux continents obtiennent deux équipes. Ainsi, l’Europe perd successivement une place en 2006 au profit de l’Océanie et une deuxième en 2010 au profit de l’Afrique mais sans influencer l’identité du vainqueur qui reste soit européen soit sud-américain.
Mais une autre compétition se déroule en coulisses, loin des rectangles verts, et aux bénéfices autrement plus importants, celle du choix du pays hôte de la Coupe du monde. Mais au contraire du terrain, cette compétition ne répond pas forcément à des règles clairement établies et le lobbying, clientélisme voire corruption comme l’actualité récente a pu s’en faire l’écho…
Longtemps, la Coupe du monde s’est partagée entre pays européens et sud-américain, mais en 1970 à la suite du CIO, la FIFA s’ouvre à l’Amérique du Nord en offrant la Coupe au Mexique puis il faut attendre 1994 pour que l’organisation se lance à la conquête des Etats-Unis. Les années 2000 marquent l’ouverture à l’Asie avec une co-organisation inédite entre la Corée du Sud et le Japon en 2002, puis à l’Afrique en 2010 avec l’Afrique du Sud, l’Est entre Europe et Asie avec la Russie en 2022 et le Moyen-Orient avec le Qatar en 2026. Il n’est pas impossible que la Coupe s’installe par la suite en Chine vers 2030.
Il est ici dommage que l’auteur se contente de recenser les faits sans analyser cette géographie évolutive des pays hôtes qui nous montre combien la FIFA pour des raisons politiques et financières accompagne les évolutions géopolitiques du monde : l’émergence du Tiers-Monde dans les années 70 avec le Mexique, la consécration de la première puissance mondiale dans les années 90 avec les Etats-Unis, l’ouverture à l’Asie pour témoigner du basculement économique du monde au tournant des années 2000 et le politiquement correct[6] en 2010 pour saluer le succès de la sortie de l’Apartheid en Afrique du Sud… Mais quelles logiques président à cette expansion du football ? L’auteur ne répond pas vraiment à cette interrogation et se contente d’évoquer le passage du mondial à l’universalisme tout en soulignant les critiques adressées à l’attribution des deux prochaines Coupes du monde en Russie puis au Qatar dont les logiques semblent floues mais celle de l’appât du gain semble tenir la corde….
Football contre mondialisation, un catalyseur de l’identité nationale ?
Paradoxe du football, s’il est parti à la conquête du monde via les canaux de la mondialisation qui abolit les frontières, il contribue en retour à renforcer le sentiment d’appartenance local à un territoire qu’il soit urbain avec les clubs, régional ou national. Pour l’auteur, le football est un important foyer de l’identification collective parce qu’il se développe avant tout dans l’opposition (pacifique). Cette opposition favorise la constitution d’identités fortes surtout si les clubs sont géographiquement proches et l’auteur de citer quelques exemples connus : A Glasgow , les Rangers sont protestants et le Celtic, catholique, Lyon a une image bourgeoise quant Saint-Etienne incarne la tradition ouvrière ect[7]…
Le football constitue un formidable indicateur de l’identité nationale dans un monde où les identités ont tendance à se diluer. Mieux, le football peut préexister à la constitution d’un Etat, ce fut le cas de l’Algérie avec l’équipe du FLN qui, de 1958 à 1961, défendit les couleurs d’un pays qui n’existait pas encore[8] et l’équipe de France de l’époque perdit quelques grands joueurs. Non reconnue par la FIFA, l’équipe fit une tournée face à des équipes régionales des pays du bloc soviétique afin de faire connaître ses revendications.
De nos jours, l’exemple algérien inspire les Palestiniens dont l’équipe fut créée en 1964 par l’OLP et reconnue par la FIFA en 1998 et participa aux éliminatoires de la Coupe du Monde 2002. En 2008, elle joua son premier match à domicile contre le voisin Jordanien mais dû délocaliser ses matchs d’éliminatoires à la Coupe du monde de 2006 à Doha. En 2011, elle disputa son premier match qualificatif à domicile contre la Thaïlande[9]. Malgré tout, chaque rencontre, chaque déplacement de joueur palestinien reste soumis aux autorisations et contrôle de l’armée israélienne…
Le football comme arme diplomatique permet donc à des pays d’exister sur la scène internationale. La première Coupe du monde en Uruguay en 1930 fut un excellent moyen pour ce pays coincé entre deux géants de s’affirmer. Aujourd’hui, le Qatar, lui aussi coincé entre deux grands aux relations compliquées, utilise également le football comme moyen diplomatique pour se montrer sur la scène internationale, avec l’achat du PSG en 2011 puis l’attribution de la Coupe du monde 2022.
L’auteur évoque également la faculté du football de créer du lien national dans des pays socialement, politiquement ou religieusement divisé tels le Brésil, l’Irlande, Turquie, Suisse ou même Espagne… Le football a constitué un formidable moyen pour les jeunes nations de forger un sentiment national et de rendre concrète la souveraineté à l’instar d’un Kosovo qui a proclamé son indépendance en 2008 et demande son adhésion à l’ONU comme à la FIFA, ce qu’il obtient en 2016… Ou le Monténégro qui fit sécession de la Serbie en 2006, adhéra à la FIFA en 2007 et joua son premier match international deux mois après.
Le football, miroir et caisse de résonance des rapports de force géopolitiques
Le football entre guerre et paix ? Peut-on résumer le football à un affrontement, pacifiste et codifié au-delà des débordements de supporteurs ? Pour Pascal Boniface, si le football a pu endosser des apparats guerriers en de rares occasions, il a davantage œuvré au rapprochement des peuples et aux premiers pas diplomatiques des gouvernements.
Et de citer en premier lieu, l’ordonnance de 1365 d’Edouard III aux shérifs de Londres qui interdit la pratique du football car nuisible à la pratique de la guerre !
Le football a pu se faire la caisse de résonance de conflits diplomatiques et idéologiques comme en témoignent le match Italie-Espagne de 1934, d’une grande violence ou le quart de finale de 1986 entre l’Angleterre et l’Argentine dans le contexte de la guerre des Malouines gagné par celle-ci grâce aux fameux deux buts du prodige Maradona… A l’inverse, l’auteur souligne que le match perdu par la France contre l’Allemagne en 1982, dans des circonstances tendues (Battiston sortant inconscient après une sortie agressive du gardien Schumacher) n’a pas entamé les relations franco-allemandes.
Mais plus que le football en lui-même, c’est l’utilisation qui en est faite par les politiques et les médias qui peut raviver tel ou tel antagonismes anciens comme l’a montré en 2004 la finale de la Coupe d’Asie des nations en Chine entre le pays hôte et le Japon dans un climat très anti-japonais en lien avec le réveil nationaliste japonais et la minoration du massacre de Nankin de 1937. Autre exemple cité par l’auteur, le match de qualification pour la Coupe du monde 2010 entre l’Egypte et l’Algérie utilisé par deux dirigeants en difficulté politique pour rassembler derrière eux le peuple et créer un ennemi extérieur.
Mais pour l’auteur, le football a davantage servi de moyen de réconciliation entre les peuples et leurs dirigeants que de catalyseur d’antagonismes à l’image des qualificatifs en 2009 à la Coupe du monde de 2010 entre la Turquie et l’Arménie qui initia un rapprochement historique entre les deux pays, ou le match entre l’Iran et les Etats-Unis lors de la Coupe du monde de 1998 donnant lieu à une photo où joueurs des deux équipes se mélangèrent… Ou encore l’appel à l’union des joueurs de la Côte d’Ivoire dans un pays en proie à la guerre civile à l’occasion des qualifications pour la Coupe du monde de 2006.
Et de conclure que le football est un effet et non une cause et de la manière dont il est utilisé, il peut apaiser ou provoquer la violence car le football porte en lui une dimension nationaliste et d’identification forte. Le sport et le football en particulier ont donc une fonction cathartique en permettant la libération pacifique de tensions et passions nationalistes.
Généalogie sociale du football : de l’élitisme au populaire
Dans deux chapitres (5 et 10), l’auteur s’éloigne de la géopolitique pour évoquer l’aspect sociopolitique du football et d’en souligner son caractère démocratique, sa capacité d’intégration et, en retour, l’hostilité qu’il peut susciter des élites traditionnelles.
A l’origine nous rappelle Pascal Boniface, le football est un sport discriminant, réservé à une élite blanche manifestant sa supériorité. Mais le football a su dépasser ces clivages sociaux ou ethniques pour s’imposer auprès du plus grand nombre et se faire le porte-étendard de l’intégration et de la tolérance.
L’auteur nous cite alors l’exemple du Brésil où le football fût d’abord réservé, par décret, aux Blancs dans les années 1920 puis s’ouvrit peu à peu aux Noirs et Métisses sous le coup de la professionnalisation dans les années 1930 et de la virtuosité des joueurs de couleurs…
Dans le dernier chapitre, Pascal Boniface se fait plus polémique et règle ses comptes avec quelques intellectuels français dont en premier lieu Luc Ferry cité à maintes reprises[10]et très critique à l’égard de ce sport. L’auteur dénonce, avec raison, chez ces élites, ce qu’il qualifie de « mépris de classe » et dans le fond de jalousie[11]. Néanmoins, malgré les arguments de l’auteur on pourra s’interroger sur la pertinence d’un tel chapitre dans un ouvrage de géopolitique, d’autant que le ton et les mots employés sont très vindicatifs à l’égard des intellectuels cités.
La fable du foot-business et du suspense sportif
Ici, le géopoliticien cède quelque peu la place à l’amateur de football afin de justifier la présence de sommes colossales dans ce sport et de répondre pied à pied aux diverses critiques émises par ses collègues des sciences humaines en France.
Si l’argumentaire de Pascal Boniface est pertinent sur le sujet de l’argent, le ton employé nous éloigne du sujet tout comme l’absence d’un propos spatialisé. On est loin ici de l’ouvrage de géopolitique.
L’afflux massif d’argent dans le football depuis les années 2000 n’est que la rançon de son succès et de sa popularité explique justement Pascal Boniface, mais également de sa mondialisation : les droits télévisés, le merchandising, les investisseurs du monde entiers contribuent à injecter de l’argent dans ce sport, à « stariser » certains joueurs et in fine à hausser le niveau des salaires et des transferts.
Mais comme le rappelle Boniface, « personne n’est obligé d’acheter un maillot floqué à plus de 100 euros, ou de souscrire à un abonnement à une chaîne privée… »[12]. Et de conclure simplement que les footballeurs ne font que récupérer l’argent qu’ils génèrent[13]…
Pour Boniface, qui se fait ici plus polémique, ceux qui critiquent les sommes mirobolantes du football sont ceux qui ne supportent pas dans le fond que le football puisse être un facteur de réussite économique et un ascenseur social dont ils ne contrôlent pas l’accès….
Mais sur le plan plus technique, Pascal Boniface n’explique pas cette dérégulation des flux d’argent par l’arrêt Bosman de 1995 comme beaucoup le font mais plus logiquement par l’explosion des droits télévisuels dans les pays à forte population créant ainsi une oligarchie footballistique à 5 grands championnats (anglais, italien, espagnol, allemand et français) et laissant sur le bord de la route, les petites ligues de Belgique, Portugal, Pays-Bas ou écossais, pourtant pourvoyeur de jeunes talents mais qu’ils ne peuvent conserver…
La principale conséquence de cette dérégulation est la création d’une élite financière des clubs européens sur et en dehors des terrains. Et un cercle vicieux de se créer : c’est la Ligue des champions qui rapportent le plus d’argent aux clubs et leur permet d’attirer et de payer les plus grands joueurs, or la présence de ces grands joueurs est censée garantir à ces clubs, les résultats escomptés, mais aussi des stades remplis et une visibilité accrue… Sans investisseurs extérieurs, difficile alors d’entrer dans ce club fermé des plus grands clubs mondiaux. Elle est désormais loin et révolue l’époque où le Steaua Bucarest ou L’Etoile rouge de Belgrade pouvaient remporter la Ligue des champions…
Et l’auteur de conclure qu’il faut réguler cette économie du football car un jour peut-être, si la « glorieuse incertitude du sport » disparaît, la poule aux œufs d’or pourrait bien s’évaporer…
Conclusion, une géopolitique inachevée qui s’égare
Si l’auteur balaie tous les sujets liés au football à l’aide d’une solide culture historique de ce sport, le propos dépasse largement le cadre de la géopolitique.
De manière générale, on se trouve plutôt en présence ici d’un essai sur le football, parfois au ton polémique d’un amoureux du ballon rond que d’un livre sur la géopolitique de ce sport comme en témoigne l’absence totale de carte !
Le propos et l’argumentation restent clairs et précis mais l’absence de traduction spatiale n’en font pas vraiment un ouvrage de géopolitique. De plus, le découpage des chapitres selon les thématiques choisies ne permettent pas de mettre en grande évidence les logiques géographiques, géopolitiques du football et de la FIFA.
Néanmoins, l’enseignant d’histoire-géographie, en lycée mais aussi en collège, pourra aisément y trouver quelques données afin d’illustrer un cours sur la mondialisation, la place des femmes dans la société voire même un cours d’éducation civique. Il devra cependant confectionner soi-même ses cartes et rechercher ailleurs des documents utilisables pour l’analyse.
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[1] L’IRIS est un think thank français crée en 1991 et travaillant sur les thématiques géopolitiques et stratégiques. Il est reconnu d’utilité publique et a été fondée sur l’initiative privée de Pascal Boniface.
[2] Pascal BONIFACE, L’empire FOOT, Armand colin, 2018, p. 10.
[3] Op. Cit, p. 12.
[4] Op. Cit, p . 29.
[5] Op. Cit, p. 33.
[6] C’est ici l’interprétation de l’auteur, p. 37.
[7] Op. Cit, p . 46
[8] Op. Cit, p . 48.
[9] Op. Cit, . 51.
[10] Le philosophe français est cité p 170 et 171 et ses saillies sur le football font l’objet de deux pages.
[11] Op. Cit, p. 171.
[12] Op. Cit, p. 139-140.
[13] Op. Cit, p. 140.