Cet ouvrage est en réalité la troisième édition d’un livre paru initialement en 1979 puis une première fois augmenté en 2002 avant de l’être encore plus cette fois-ci. On pourrait parler d’une oeuvre de jeunesse de Pascal Ory, historien bien connu et désormais membre de l’Académie française.

On mesure à travers ce livre que son goût pour la bande dessinée est ancien. Il faut souligner qu’effectivement cette édition offre de nombreuses reproductions ce qui permet de mieux mesurer ce qu’était «  Le Téméraire ».

Le Téméraire

Il s’agit d’un journal illustré qui a compté pas moins de 200 000 lecteurs, majoritairement des jeunes garçons. Il a été publié pendant dix-huit mois à partir de janvier 1943. « Le Téméraire » est une entreprise de propagande fasciste et même hitlérienne par le biais doublement efficace, d’un public adolescent et d’un média spectaculaire.

Lorsqu’il se penche sur ce journal à partir de 1975, Pascal Ory signale qu’il y avait encore des limitations aux archives, par exemple sur les collaborateurs du journal. Une certaine acculturation américaine se diffusait dans la société française depuis le début des années 30.

Le désordre nouveau

Un encart synthétique fait le point sur la presse pour la jeunesse entre 1940 et 1944. Au début de l’année 1942, ne survivent que quinze périodiques dont quatre en zone Nord. « Le Téméraire » sort du lot et apparait comme une publication presque luxueuse. Son format est proche des canons néo-américains. Les deux pages centrales sont le territoire de la bande dessinée complétées par un court récit se rattachant au genre du conte, parfois à suivre. En sixième page, le texte l’emporte de nouveau avec un roman-feuilleton. La septième est vouée aux rubriques et chroniques.

Le propos des producteurs est évident : attirer par l’image vers « l’instruction » du jour, distraire par trois pages de délassements variés et terminer dans l’exaltation par la page de dialogue direct avec le lecteur. « Le Téméraire » se situe au carrefour de trois cheminements dont la conjoncture politique assure le lien : le cheminement de la propagande allemande, celui d’un groupe d’éducateurs français ralliés et des opportunistes gens de plume peu regardants.

L’enfant et les sortilèges

On peut distinguer cinq éléments : le conte ou la fable, l’épisode comique, le récit d’aventure, le jeu individuel et le jeu collectif. Au « Téméraire », toutes les règles de ces cinq genres seront rigoureusement respectées et systématiquement réinvesties. On retrouve les deux logiques complémentaires du manichéisme et de l’exaltation virile dans la fiction dominante. « Le Téméraire » emprunte à toutes les sources existantes : à la presse scoute pour l’exaltation d’une sorte de chevalerie adolescente, à la presse des « petits adultes » pour la part consacrée à l’exposé didactique et à la presse traditionnelle enfantine pour les contes et récits.

Le jeu de massacre

Le discours du « Téméraire » est beaucoup plus loquace dans la dénonciation que dans la positivité. Il promeut une image virile. La germanité colore toute l’esthétique du journal. Les ennemis sont clairement identifiables : l’anglais, le bolchevik et le juif. Pascal Ory décortique à plusieurs reprises des extraits comme à la page 53, ce qui lui permet de montrer la mise en place progressive d’une idéologie raciste. On pourra lire in extenso le Téméraire n° 4 de mars 1943 avec son article sur les quatre sangs. Les extraits sont clairs puisqu’il est dit : «  une race peut dégénérer par l’immigration. La Russie a accueilli au cours des siècles des tribus d’Asie mineure : Caucasiens, Turcs, Israélites ». Le journal joue souvent avec la peur en couverture et la thématique de la fin du monde.

Une jeunesse hitlérienne

Plus encore que la feuille quotidienne ou la station de radio, au public difficilement accessible, plus encore que la revue pour convaincus, « Le Téméraire » avouera une fonction clairement mobilisatrice. Divers appels à l’action des jeunes sont essaimés à travers la publication. Il existait un cercle des Téméraires qui nécessitait le versement d’une cotisation assez élevée de 20 francs.

Non lieu

La question se pose évidemment de savoir quel pouvait être l’écho auprès de la jeunesse d’une telle entreprise. Le tirage du premier numéro atteint 100 000 exemplaires et un an et demi plus tard il grimpe à 150 000 exemplaires. Monopole éphémère certes mais présence incontournable : c’est au fond ce que confirme la vie posthume du « Téméraire ».

Pascal Ory prend le temps de détailler quelques itinéraires des collaborateurs du journal. Il ne fut pas difficile aux anciens du journal de se recaser dans la presse populaire. Elle était à la fois peu légitime et on avait besoin de leurs compétences. Il est assez troublant de constater la continuité des caractéristiques graphiques certes mais aussi thématiques du journal. Il est sûr en tout cas qu’avoir collaboré au « Téméraire » n’a pas compromis, hormis le cas de Vica, la carrière des dessinateurs.

Postface

Didier Pasamonik insiste dans la postface sur le rôle joué par Pascal Ory dans la reconnaissance de la bande dessinée comme objet d’histoire. Lorsqu’il initie ce travail dans les années 1970, l’histoire de la bande dessinée en était à ses balbutiements.

Cette troisième édition permet tout d’abord de profiter d’un confort visuel pour mesurer ce qu’était ce journal mais elle remet en avant un travail pionnier d’historien.