Les auteurs, Catherine Coquery-VidrovitchSpécialiste de l’Afrique, professeur émérite de l’université Paris Diderot, elle a publié de nombreux ouvrages et le plus récent : Les Routes de l’esclavage. Histoire des traites africaines VIe – XXe siècles, Albin Michel, Paris, 2018., Eric MesnardProfesseur formateur à l’IUFM de l’Académie de Créteil, Membre du Centre International de Recherche sur les Esclavages (GDRI-CNRS), il a publié Enseigner l’histoire des traites négrière et de l’esclavage, Cycle 3, (avec A. Désiré), Scéren- CRDP, 2007, proposent un renouvellement des approches, une relecture historiographique au-delà du commerce triangulaire pour une perception plus globale du phénomène y compris le rôle des Africains dans la traite en s’appuyant sur une démarche historienne rigoureuse et une déconstruction du discours mémoriel tout en donnant à entendre la voix des esclaves. Leur objectif : « s’émanciper des mémoires, victimaires ou non repentantes…, rééquilibrer l’étude de la contribution des différents espaces impliqués »Page 7..

La rééditionCatherine Coquery-Vidrovitch, Éric Mesnard, Être esclave. Afrique-Amériques, XVe-XIXe siècle, Paris, La Découverte, 2013, 329 p. de cet ouvrage essentiel est présentée dans la belle préface d’Ibrahima Thioub, professeur d’histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

La bibliographie est classée par sous-thèmes dont la réflexion mémoire et histoire et propose notamment les références de témoignages d’esclaves, d’œuvres littéraires y compris en littérature jeunesse.

Dans leur introduction les auteurs définissent leurs objectifs : se concentrer sur la relation Entre Européens, Américains et Africains, montrer l’importance des échanges économiques, politiques et culturels entre les deux rives de l’océan et leur évolution dans le temps. Ils rappellent les biais idéologiques qui ont marqué le travail des historiens depuis les années 50 dans le contexte de la décolonisation, notamment l’idée selon laquelle l’esclavage traditionnel africain n’avait rien à voir avec l’esclavage de plantation et les travaux qui la contredisent. Ils insistent sur la traite interne à l’Afrique et ses conséquences sur l’organisation politique et sociale du continent sans nier le rôle des Européens et le caractère racial de la traite atlantique.

L’esclavage dans les sociétés africaines, une histoire ancienne

Des structures de pouvoir, de la chefferie à l’État, des hiérarchies sociales et le travail servile né des guerres et razzias existaient en Afrique bien avant l’arrivée des Européens. Les auteurs rappellent la surprise des premiers voyageurs devant les royaumes, empires de Tekrour, d’Edo ou la ville de Mbanza Kongo qui comptaient environ 30 000 habitants en 1483.

Le sens à donner au mot esclave en Afrique : absence de personnalité propre, sans lignage et statut héréditaire dit la réalité de ce statut comme le montrent les travaux cités de l’historien congolais Benjamin Kala Ngoma sur le pays bakongoIl soutient sa thèse à l’université Paris 1 en 1990 : Les Beembe (Congo) : XVIIIe-XIXe siècles, esquisse des dynamiques d’intégration, de différenciation et d’individualisation d’une société lignagère. Voir son article dans les Cahiers d’histoire africaine 2011/4 (n° 204), pages 945 à 978 : L’esclavage domestique chez les Beembe (Congo-Brazzaville) XVIIIe-XXe siècles., la possession d’esclaves par les Signares SaintlouisiennesSur ce sujet : Aissata Kane LO, De la Signare à la Diriyanké sénégalaise, L’Harmattan, 2014. ou la forte proportion d’anciens esclaves dans le corps des Tirailleurs sénégalais au XIXe siècle. Cette réalité esclavagiste persiste à l’époque coloniale, les traces n’en sont pas éteintes.

Les auteurs abordent la question du poids de la demande musulmane et européenne dans l’évolution de l’esclavage africain. Comment s’est développée une économie de prédation contre les plus faibles au XVIIe et XIXe siècle.

Les Traites orientales et les traites internes

L’étude du marché arabo-musulman à partir du VIIe siècle s’ouvre sur le traité de 652 entre le gouverneur arable de l’Égypte et les Nubiens qui décrit la traite par la vallée du Nil à laquelle il faut ajouter la traite transsaharienne avec le rôle des premiers souverains convertis à l’Islam et décrite par Ibn Battûta (1353) : le caractère premier de l’esclave est le fait d’être non musulman même si le racisme n’est pas absent des textes.

Les auteurs décrivent ces traites et le rôle des razzias dans ce commerce grâce à quelques témoignages tardifs (XIXe siècle) d’Africains érudits qui en ont été victimes : Olaudah EquianoSon témoignage a été publié notamment en 2008 au Mercure de France : Ma véridique histoire Africain, esclave en Amérique, homme libre. Le site de l’académie de Versailles en propose une utilisation en classe de Quatrième : https://histoire.ac-versailles.fr/spip.php?article897, Hyuba ou Abd ar-RahamnSur ces témoignages on pourra se reporter à la recension par Dominique Chathuant de l’ouvrage : Gilda Gonfier, Bruno Maillard, Frédéric Régent, Libres et sans fers – Paroles d’esclaves français, Fayard, 2015..

La culture luso-africaine (XVe-XVIIe siècle)

Ce troisième chapitre met en évidence le rôle pionnier des Portugais dans les relations entre l’Europe et l’Afrique, dans le commerce de l’or et des esclaves présents sur le continent européen où ils rejoignent, en Espagne, les esclaves arrivés par le commerce arabo-musulman transsaharien. Vers 1550 on comptait 10 000 Noirs et Métis sur les 100 000 habitants de Lisbonne.

Mais c’est l’implantation de la canne à sucre dans les îles du Cap Vert qui préfigure l’esclavage de plantation du Brésil. Les auteurs montrent le déplacement du commerce portugais de la Sénégambie vers le royaume du Kongo.

Le grand passage. De l’esclave en Afrique à l’esclave en Amérique (XVIe-XVIIe siècle)

Sans entrer dans une histoire bien connue les auteurs choisissent d’en montrer les conséquences en Afrique : amplification des réseaux de traite intérieurs, rôle des pouvoirs côtiers (Ghana, Sénégambie, Angola). Ils évoquent aussi les conséquences culturelles et notamment la permanence des savoirs en matière d’agriculture ou de pharmacopée. Ils rappellent le développement économique des colonies espagnoles, portugaises mais aussi anglo-françaises des Antilles.

Le « Middle Passage » ou Passage du milieu » (seconde moitié du XVIIe – première moitié du XIXe siècle)

Ce chapitre permet de relater les conditions du voyage : embarquement, conditions du troc, traversée à partir des témoignages d’Olaudah Equiano ou Ottobah CugoanoSur ces récits voir le site : Esclaves en Amérique Récits autobiographiques d’anciens esclaves 1760-1865 et notamment la présentation d’Ottobah Cugoano..

Le bilan démographique, entre 12 et 13 millions d’enfants, femmes, hommes, est difficile, d’autant que ce chiffrage des victimes est un enjeu mémoriel important. Les auteurs en montrent les variations de rythme avec une période haute entre 1650 et 1800.

L’esclavage en Amérique (fin XVIIe-première moitié XIXe siècle)

Les récits d’esclave sur ce sujet sont plus nombreux et viennent compléter d’autres sources notariales, judiciaires pour décrire la vie, la survie dans les « habitations » des « îles à sucre ». Là encore un sujet bien couvert par l’historiographie. Les auteurs en rappellent les grandes lignes traitant des cadres juridiques notamment le Code noir pour les Antilles françaises puis ils abordent les colonies anglaises et les plantations de coton aux États-Unis.

Les résistances d’esclaves

Sur ce sujet très inégalement traité jusqu’à maintenant les auteurs montrent les révoltes en Afrique depuis la fin du VIIe siècle : celle des esclaves Zendj dans les plantations d’Arabie, celles de Saô Tomé au XVIe siècle et les débuts du marronnage.

Ils décrivent les révoltes au moment de la traite, de l’embarquement ou pendant la traversée, et les révoltes plus nombreuses encore en Amérique notamment au XIXe siècle : marronnage, passage vers le Canada.

Les chapitres 8 et 9 aborde le métissage de la créolisation tant en Afrique qu’en Amérique.

La créolisation en Afrique

Cette créolisation est définie comme une hybridation identitaire et culturelle faite d’apports réciproques. Elle commence au plan agricole quand les esclaves apportent des graines, des savoirs et des pratiques (riz en Amérique) mais aussi quand les Portugais rapportent en Europe ou en Afrique des cultures américaines : maïs, haricot, tomate mais aussi manioc, cultures qui ont sans doute contribué au développement des empires d’Afrique centrale.
Les auteurs évoquent l’histoire de quelques esclaves parvenus à revenir en Afrique comme Ayuba métis capturé qui, après trois années en Amérique, revient en Sénégambie comme agent de la Royal African Compagny. Ces exemples concernent plus des fils de chef négrier souvent pris par mégarde ou vengeance que de simples paysans raflés mais ils montrent la créolisation de certains Africains. L’autre voie de créolisation est l’évangélisation.

Le métissage culturel s’exprime aussi dans le paysage urbain comme la ville de Loanda ou dans l’apparition de sociétés métis comme les Signares de Sénégambie, femmes souvent fort riche qui ont joué un rôle dans la créolisation de l’« habitation », la maison « dite coloniale », une adaptation au monde tropical de l’habitat portugais.

La créolisation en Amérique

Ici la nouvelle culture vient du brassage ethnique des esclaves sur les plantations qui conduit à la création d’une nouvelle langue, indispensable aux relations maîtres-esclaves.

La christianisation a induit un temps et un lieu de rassemblement propice au chant, à la musique, à la danse qui mêlent des pratiques européennes comme le carnaval et la transmission, malgré l’hostilité des maîtres, des cultures africaines et fait naître une culture nouvelle ni européenne, ni africaine comme autour du vaudou en Haïti ou le Candomblé au Brésil.
Mais cette société créole est multiple : maîtres blancs, petits et grands, esclaves noirs et métis sans oublier les « Libres de couleur ».

Les abolitions (fin XVIIIe XIXe siècle)

Elles sont le fruit à la fois de la résistance des Noirs et d’une lente prise de conscience des Blancs. Elles furent graduelles et multiples depuis la première abolition par la Convention et la révolte haïtienne.

Le chapitre retrace les étapes de l’antiesclavagisme dont les premières expressions remontent au XVIe siècle : Francisco de Vitoria, Bartolomé de Las Casas jusqu’aux mouvements abolitionnistes nés vers 1770-1780 en Angleterre, en France. Les auteurs rappellent les grands moments de l’indépendance haïtienne et comment on passe de l’abolition de la traite à celle de l’esclavage qui demeure jusqu’à la fin du XIXe sicle dans les pays nés des colonies portugaises et espagnoles (1886 Cuba, 1888 Brésil)

L’esclavage intégré en Afrique (fin XVIIIe-XIXe siècle)

C’est la période de l’essor de l’esclavagisme interne à mettre en relation avec le recul de la traite et donc des flux vers l’Amérique et le développement de l’utilisation des armes à feu qui génère de nouveaux pouvoirs en Afrique et donc des besoins en soldats, souvent esclaves quand ils ne sont pas utilisés dans les cultures de rente (gomme, arachide, noix de kola).

On perçoit les différences dans le temps et l’espace entre les Etats négriers de la côte du golfe de Guinée (Royaume Ashanti ou du Dahomey) ou de l’Angola, les guerres de conquête du djihad des Peuls au Soudan qui poussent des populations vers les missions côtières comme dans le cas d’Osifekunde ou de Samuel Crowther qui devint le premier évêque anglican noir.

Les auteurs dressent un bilan des différentes régions (Afrique de l’Ouest, traite transsaharienne, Afrique équatoriale, Afrique portugaises, Zanzibar) et montrent un repli vers l’intérieur du continent, la côte étant petit à petit colonisée par des pays favorables à l’abolition.

Un paragraphe est consacré au sort particulier des femmes esclaves.

La conclusion évoque la reconnaissance tardive des crimes de la traite.

Voilà un ouvrage qui permet à la fois de revoir des éléments bien connus de ce dossier mais aussi apporte des éclairages nouveaux grâce aux récits autobiographiques de quelques-uns de ces esclaves.

En annexe : le texte de la Constitution haïtienne de 1805