Les Editions Armand Colin ont publié en août 2019, dans leur collection « Mnémosya », l’ouvrage L’Empire russe en révolutions, du tsarisme à l’URSS. L’auteur est Michel Tissier, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Rennes 2 et membre du laboratoire Tempora. Ses domaines de recherches sont principalement l’Empire Russe au XIXème – début XXème siècles et l’histoire de sa culture juridique.
L’Empire russe en révolutions, du tsarisme à l’URSS croise à la fois les dimensions chronologique comme spatiale. Comme le rappelle M. Tissier dans son introduction, l’année 1917 a souvent été étudiée sous l’angle de la Révolution d’octobre, au mieux en se penchant également sur celle de février, par des intellectuels appréhendant ces épisodes sous un angle politique biaisé (marxistes ou libéraux). Ces approches ont souvent orienté les études historiques de façon téléologiques. Michel Tissier se propose donc d’élargir l’étude des révolutions de 1917, en y incluant celle, souvent oubliée, de 1905, afin d’en dresser des continuités dans les innovations politiques. Par ailleurs, la dimension spatiale est aussi au cœur de l’ouvrage : le domaine impérial russe, construction tsariste, a pourtant survécu aux révolutions, en devenant l’URSS. Malgré les aspirations nationalistes, ou a minima d’autonomie, des peuples « allogènes », ceux-ci, affirment Michel Tissier, avaient « possiblement un avenir commun ». Ces deux dimensions ne peuvent que résonner dans la géopolitique et la politique russe actuelle (implosion depuis 1991 de l’URSS, centenaire de la Révolution célébré à Moscou en 2017), d’où l’importance de leur étude croisée.
Divisé en dix chapitres, l’ouvrage brosse un portrait de l’Empire russe, allant de la guerre russo-japonaise de 1904 jusqu’à la formation de l’URSS (1922). Dès 1905, un décalage évident s’opère entre les aspirations des différents peuples au sein du domaine impérial, mais aussi d’une majorité de la population, et la pratique du pouvoir telle qu’elle est exercée par Nicolas II. La répression terrible du « Dimanche Rouge » de Saint-Pétersbourg débouche sur une vraie politisation des populations. Le régime tsariste se rétablit, en apparence du moins (croissance économique et vitalité culturelle) car ne répondant pas aux fragilités internes de l’Empire. Les relations entre les peuples de l’empire, les hiérarchies socio-économiques au sein de la population comme la recherche de démocratie connaissent des évolutions sur la période 1905-1917, se cristallisant davantage à la suite des révolutions de février et d’octobre. Le discours sur les différences socio-économiques devient plus intransigeant, prenant le pas sur les antagonismes entre les peuples de l’empire. La guerre de 1914 désigne des ennemis directs (Allemands) ou suspectés de sympathie avec ces derniers (Juifs, Finlandais, Polonais) ; néanmoins, l’unité de l’empire n’est pas la priorité des Bolcheviques, même si ceux-ci, par les oppositions ou ralliements à leur politique sur l’ensemble du territoire, ont su le reconfigurer sous la forme de la fédération soviétique. La question paysanne n’est, elle aussi, pas le résultat d’une vraie politique bolchévique. La réforme agraire de Stolypine, dont les effets ne sont pas encore assez justement évalués par les chercheurs, ou le « partage noir » des terres (qui débouchera sur la collectivisation) sont en germe depuis 1905. Le mouvement paysan de saisie des terres procède d’un comportement déjà visible dans les campagnes, les Bolcheviques le reprenant à leur actif car servant leurs intérêts et ne pouvant finalement vraiment l’empêcher.
L’Empire russe en révolutions, du tsarisme à l’URSS est un ouvrage qui procède des cours de licence de Michel Tissier, d’où la clarté du propos. Des cartes, notices, mais surtout des focus sur des documents judicieux viennent appuyer le récit. La bibliographie très fournie permet également de prolonger la lecture si possible. Les points lexicaux en russe, notamment sur l’évolution de l’utilisation de certains mots, est bienvenue, tout comme l’explication de la filiation des idées sur l’ensemble de la période. Le glossaire, s’il est nécessaire, n’est néanmoins que peu pratique : il est dommage qu’il n’y ait pas de renvois systématiques du vocabulaire expliqué (police différente, chiffrage). Par ailleurs, un organigramme des différentes institutions du régime impérial aurait pu être intéressant pour mieux comprendre les demandes de réformes et leur impact. Ceci n’empêche néanmoins pas de faire de cet ouvrage une synthèse solide sur la question des révolutions russes et de leurs impacts sur les populations et leurs territoires.