Historien du cinéma et spécialiste de la période Jérôme Bimbenet nous livre ici une biographie sans concession de Helene Amalie Bertha Riefenstahl, dite « Leni », Riefenstahl. Il s’agit de la réédition au format poche d’un ouvrage publié en 2015 et primé au Salon du livre d’Hossegor. A travers cette biographie, Jérôme Bimbenet nous permet de comprendre pourquoi Levi Riefenstahl restera à jamais « la cinéaste d’Hitler », celle qui a mis son talent au service du national-socialisme.
Le livre suit la carrière de Levi Riefenstahl œuvre par œuvre. Enfant de la petite bourgeoisie Berlinoise, elle a d’abord commencé comme danseuse, immédiatement reconnue comme talentueuse. Un accident au genou brise sa prometteuse carrière. Grâce à ses qualités athlétiques, douée pour l’alpinisme et le ski, et nouant les bonnes relations, consciente de l’effet qu’elle produit sur les hommes, elle devient une star de films de montagne. Elle tourne entre autres La Montagne sacrée, L’Enfer blanc du Piz Palü ou encore Tempête sur le Mont-Blanc. Le passage au cinéma parlant compromet ses ambitions, elle est finalement plus piètre comédienne, et elle se dirige vers la réalisation.
Créant sa propre société de production, la Leni Riefenstahl Produktion, elle réalise en 1932 son premier film, La Lumière bleue. Un titre qui fait penser à celui de L’Ange bleu, dont le rôle de Lola-Lola lui avait été soufflé par Marlene Dietrich. Son film attire une fois encore l’attention d’Hitler. Lors d’une rencontre, il lui avoue: « Mon impression la plus forte m’est venue de votre film La Lumière bleue. Surtout parce qu’il est peu ordinaire qu’une jeune femme parvienne à s’imposer contre les résistances et les goûts établis de l’industrie du cinéma. »
Riefenstahl confie avoir éconduit le Führer qui commençait à avoir la main baladeuse, ce dont doute le biographe. A partir de cette rencontre, Leni Riefenstahl s’engage sur la voie qui fera d’elle, à jamais au tribunal de l’Histoire, la cinéaste d’Hitler. Hitler en personne la chargera de filmer les grands-messes du régime, jusqu’au chef-d’œuvre, Olympia ou Les Dieux du stade. Pour ce documentaire sur les J.O. de Berlin 1936, elle innove avec des cadrages inédits, l’utilisation du travelling et l’invention de la Dolly, de grues, d’une caméra catapulte pour les épreuves de saut et même de caméras sous-marines. Les images d’une indéniable beauté plastique exaltent la musculature des corps, la virilité. Refusant de couper les séquences consacrées aux athlètes noirs, à commencer par l’américain Jesse Owens, elle donne également l’image d’un régime tolérant.
Pendant la guerre, elle commence le tournage de Tiefland, dont des figurants tziganes finiront déportés dans les camps de concentration… Pour ces faits et tant d’autres, Riefenstahl, qui est arrêtée par l’armée américaine, comparaît devant une commission d’enquête. Le 1er décembre 1948, elle est déclarée « non concernée » par la loi de dénazification. Par la suite, elle reconnaîtra simplement avoir été « naïve » dans son appréciation du régime hitlérien. « J’ai toujours vu plus le bon et le beau que le laid et le malade. Mon optimisme fait que je préfère naturellement capturer la beauté de la vie. » Devenue une pestiférée dans le milieu du cinéma, celle que la justice allemande classe comme « compagnon de route » du Reich, entame une carrière de photographe qui va redorer, au fil des années, son image. En Afrique, elle effectue plusieurs reportages, souvent raillés par les ethnologues pour leurs caractères « cosmétiques », sur la tribu des Noubas de Kau au Soudan.
Au fil des pages, Jérôme Bimbenet dresse le portrait d’une arriviste ambitieuse, intrigante et affreusement autocentrée, trop sûre de son éphémère talent et ne vivant que pour son plaisir et sa réussite personnelle. Il la dit « antisémite par opportuniste » et fascinée par Adolf Hitler au point de prendre l’initiative de le rencontrer et nous fait comprendre qu’elle est acquise à certaines thèses nationalistes ou à l’idéologie völkisch. Tout au long du texte, l’auteur met en doute la défense et les arguments longuement développés par la réalisatrice pour effacer cette ombre profonde qui entâche son CV et revenir dans la lumière. « Quelle est ma faute? », demande-t-elle, à Ray Müller qui tourne en 1993 un documentaire sur cette vie hors norme. Difficile de savoir si cette indignation est feinte ou sincère. « Elle passera le reste de sa vie à se justifier, sans jamais retrouver la gloire qui fut la sienne avant guerre », écrit Jérôme Bimbenet. « Je ne vois pas de quoi je devrais m’excuser », déclare-t-elle à chaque fois qu’on attend d’elle des paroles de repentance. Pour sa défense, elle avance que dans ses films il n’y a pas le moindre propos antisémite et qu’à cette période « tout le monde était ensorcelé » par le Führer.
Le livre est agréable à lire bien que l’éditeur eut pu mieux faire son travail puisque coquilles et tournures maladroites viennent trop souvent perturber la lecture. Personnellement, j’en ai appris plus sur Leni Riefenstahl dont l’œuvre se résumait à mes yeux au Triomphe de la volonté (1935) sur le congrès de Nuremberg, et les Dieux du stade (1938) sur les JO de Berlin. J’ignorais donc tout de son œuvre pré et post nazisme.
Très documenté, l’ouvrage de Jérôme Bimbenet nous livre ici une biographie vient contrebalancer de manière réfléchie les mémoires de Leni Riefenstahl, et confirme le verdict du tribunal de l’Histoire : Leni Riefenstahl a été une propagandiste du nazisme, sans fausse naïveté mais avec un réel talent et un sens esthétique qui lui était propre qui inscrivent son œuvre dans l’histoire du 7e art.