Histoire des femmes

Comme l’expliquent Ingrid Hayes et Magali Della Sudda dans leur éditorial, ce numéro spécial du Mouvement social permet de découvrir le résultat de recherches croisant trois histoires : celle des femmes et du genre, celle des classes populaires et celle du militantisme dans la France de l’après Deuxième Guerre mondiale. Ces recherches s’inscrivent dans les évolutions récentes de l’historiographie propre à l’histoire des femmes dont Ingrid Hayes et Magali Della Sudda rappellent rapidement la genèse et les transformations en France depuis son origine, en lien avec l’essor du féminisme.

Sur ce point, leur éditorial entre en « dialogue » avec l’entretien accordé par Michelle Perrot à Ingrid Hayes et Franck Georgi le 3 juillet 2018, publié dans ce même numéro du Mouvement social et intitulé « L’émergence des l’histoire des femmes dans l’après-68 ». En réalité, ce titre est un peu trompeur. Sur une dizaine de pages, deux ou trois seulement sont consacrées à la genèse de l’histoire des femmes ; Michelle Perrot y raconte principalement comment a été élaboré le numéro spécial du Mouvement social de 1978 consacré au travail des femmes en France au XIXe siècle1. Dans le reste de l’entretien, Michelle Perrot raconte « son » mai 68 et « ses » années 68 qu’elle vit principalement à La Sorbonne puis à Jussieu, ce qui n’est pas moins intéressant. On retrouve du reste dans la transcription de cet entretien toute la verve de Michelle Perrot qu’on a autant de plaisir à lire qu’à entendre.

Histoire des classes populaires et de femmes engagées

Dans leur éditorial, Ingrid Hayes et Magali Della Sudda justifient l’utilisation de l’expression « classes populaires » en se référant en particulier aux travaux de sociologues2 : « Les classes populaires ont récemment fait l’objet de recherches fondatrices, inscrites dans sillage du renouvellement épistémologique initié par Olivier Schwartz3. […] Les classes populaires regroupent une population hétérogène et segmentée qui a toutefois en commun d’être dominée sur le plan économique et social, situation liée à la faiblesses de ses ressources financières et à la petitesse de son statut professionnel, ainsi qu’à sa distance vis-à-vis de la culture dominante. »4 Par ailleurs, Ingrid Hayes et Magali Della Sudda expliquent pourquoi elles préfèrent évoquer « l’engagement des femmes » plutôt que leur militantisme : le deuxième terme renvoie trop étroitement à une appartenance syndicale et partisane alors que le premier permet de prendre en compte aussi des « mobilisations brèves et/ou très localisées, donnant lieu à une cristallisation organisationnelle faible »5.

Catholiques, communistes, syndicalistes et grévistes

Trois des cinq articles du dossier constitué pour traiter de « l’engagement des femmes des classes populaires en France depuis 1945 » portent sur le cas de femmes engagées dans des organisations communistes ou catholiques. Ainsi, dans « L’Union des femmes françaises pendant les Trente Glorieuses : entre « maternalisme », droit des femmes et communisme », Dominique Loiseau étudie une structure associative qui relève de la sphère communiste pour chercher « à saisir les modes d’approche du militantisme proposés aux femmes des quartiers populaires, de cerner qui sont les adhérentes, et en quoi leur adhésion, voire leur investissement, dépend de, et influe sur, leur vie personnelle, leur image de soi. »6

Côté catholique, dans « Femmes dans le mouvement familial : un militantisme populaire et genré (1935-1957) », Geneviève Dermenjian se penche sur le cas des militantes d’une organisation issue de l’action catholique : « Les mouvements familiaux populaires sont des organisations formées dans le deuxième tiers du XXe siècle, qui prolongeaient pour les adultes la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF), et se consacraient à la formation et à la promotion de la classe ouvrière dans le cadre de la famille, intégrant ainsi le mouvement social familialiste né en France au début du XXe siècle. »7

Le sociologue Lilian Mathieu a mené une enquête sur des militantes de la région Rhône-Alpes de la Confédération syndicale des familles, une organisation issue du catholicisme social mais qui se définit aujourd’hui « comme laïque et politiquement indépendante », se réclamant « de l’éducation populaire en misant sur l’auto-organisation des couches modestes et sur leur mobilisation collective. »8 C’est le résultat de cette enquête et son interprétation qu’il nous livre dans « La Confédération syndicale des familles : une enquête régionale. »

Deux articles, enfin, permettent d’aborder la question de l’engagement d’ouvrières dans les conflits sociaux et le syndicalisme. Dans « Ressorts et limites d’une prise de conscience féministe dans les conflits du travail (Roubaix, années 1970) », en quête d’un « féminisme ouvrier », Ingrid Hayes et Karel Yon étudient la place des femmes dans les mobilisations ouvrières de deux entreprises dont la main-d’œuvre est très féminisée : La Redoute et Deffrenne, le « Lip roubaisien. » Eve Meuret-Campfort, quant à elle, s’est penché sur le cas de l’usine Chantelle implantée en 1966 à Saint-Herblain, dans la banlieue de Nantes, pour produire de la lingerie féminine. Cette usine a fermé ses portes au milieu des années 1990 mais une partie de la main-d’œuvre a pu continuer à travailler dans une usine de la même entreprise jusqu’à que celle-ci cesse elle aussi son activité au milieu des années 2000. Cette main-d’œuvre est constituée en très grande majorité de femmes dont la moitié environ est syndiquée à la CGT ou à la CFDT. Le choix de ce sujet permet donc à Eve Meuret-Campfort de mener une étude comparée des leaders « cégétistes » et « cfdédistes », principalement sur la base d’entretiens avec ces dernières, pour « interroger les voies d’émancipation différenciées que ces syndicats valorisent et la façon dont les militantes et les militants les investissent. »9

Endettement des étudiants

En marge du dossier sur l’engagement des femmes des classes populaires en France depuis la Deuxième Guerre mondiale, Le Mouvement social publie un point de vue de Marianne Debouzy, professeur honoraire d’histoire américaine à Paris 8, sur la question de l’endettement des étudiants américains. En 2018, la dette étudiante américaine a atteint le niveau record de plus de 1 500 milliards de dollars. Elle fait l’objet de nombreux débats et publications aux Etats-Unis depuis plusieurs années. L’article de Marianne Debouzy, intitulé « L’endettement des étudiants : un cas américain », permet de prendre connaissance de ce « phénomène historique récent mais devenu massif, qui préoccupe désormais fortement la société civile et hypothèque l’avenir de nouvelles générations »10, d’en mesurer l’ampleur et de s’interroger sur les conséquences que pourrait avoir pour la France le développement excessif du même modèle de financement des études supérieures.

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2 Y.SIBLOT, M. CARTIER, I. COUTANT, O. MASCLET, N.RENAHY, Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 2015.

3 Olivier Schwartz, « Peut-on parler des classes populaires », La vie des idées, en ligne : https://laviedesidees.fr/Peut-on-parler-des-classes.html, 13 septembre 2011.

4 p. 9-10.

5 p. 11.

6 p. 37.

7 p.17.

8 p. 57.

9 p. 95.

10 p. 128.